MONTRÉAL – L’effervescence était palpable au tournant des années 2010 dans le plus populaire gymnase d’arts martiaux mixtes au Canada. La présence de l’un des champions les plus dominants de l’histoire du sport ne nuisait certainement pas, mais le rayonnement du Tristar Gym dépassait largement la notoriété de Georges St-Pierre.  

Il y a une décennie, le repère montréalais était le lieu d’entraînement d’une multitude de combattants locaux qui faisaient partie de l’élite mondiale ou qui étaient sur le point d’y accéder. John Makdessi faisait ses débuts à l’UFC. Yves Jabouin et Ivan Menjivar allaient le suivre avec la dissolution de la WEC. Nordine Taleb, Alex Garcia, Mike Ricci, Aiemann Zahabi  et Olivier Aubin-Mercier prenaient de l’expérience sur la scène locale en attendant l’appel des grandes ligues. David Loiseau, un pionnier parmi ces nouveaux visages, était encore dans les parages. 

Et le succès débordait à l’extérieur des murs du Tristar. Chez BTT, Patrick Côté revenait à l’action après sa blessure subie en combat de championnat du monde contre Anderson Silva. Sur la Rive-Sud, Steve Bossé avait entrepris un parcours atypique qui le mènerait à l’UFC. À Québec, Guillaume De Lorenzi faisait tranquillement son chemin vers les tournois de Bellator. 

Cette inspirante collection de combattants a, au cours des dernières années, commencé la passation du flambeau à la prochaine génération. Mais trois ans après le dernier combat de GSP, la relève peine à s’émanciper au Québec. Charles Jourdain, de Beloeil, et Marc-André Barriault, de Gatineau, sont les deux seuls combattants locaux à être entrés dans l’octogone de l’UFC dans la dernière année. 

Les passionnés qui continuent de laisser chaque jour sueur et sang sur les tapis d’entraînement vous jureront qu’il y a toujours autant de qualité dans les gymnases de la province. 

« Je peux te garantir qu’on a du gros talent au Québec, autant chez les jeunes pros qu’au niveau amateur, affirme Lévis Labrie, qui a délaissé une brève carrière de combattant en 2012 et qui est aujourd’hui un entraîneur spécialisé en combat debout. En fait, il y a des amateurs aujourd’hui qui battraient plusieurs pros d’il y a quatre ou cinq ans. Le niveau a vraiment augmenté. Tout ce qui manque, c’est une plateforme. »

Même avant que la crise sanitaire actuelle ne rende impossible la tenue d’événements de sports de combat au Québec, la scène locale d’arts martiaux mixtes tournait au neutre. L’organisation TKO, le plus gros joueur dans la promotion d’événements depuis trois ans, a fini l’année 2019 sur l’annulation de deux galas et n’a pas accueilli de spectateurs depuis 16 mois. La nouvelle New Era Fighting n’a présenté qu’une seule carte depuis sa création au printemps dernier. Celle-ci était composée principalement de combats de boxe. 

La situation détonne avec les options qui existaient il y a dix ans. Entre 2009 et 2013, au moins six organisations se sont chevauchées sur le territoire québécois. Xtreme MMA a tenu des galas de Victoriaville au Saguenay. Ringside et Instinct se sont partagé la tarte dans la région montréalaise tandis que Wreck MMA et Hybrid Combat Promotions ont fait la même chose en Outaouais. La Ligue d’Arts Martiaux Mixtes du Québec (LAAMQ) a quant à elle couvert pendant quelques années le territoire de la Capitale nationale. 

Cet oasis est aujourd’hui complètement asséché, forçant les combattants à ronger leur frein, chercher ailleurs ou carrément accrocher leurs gants. Le sport, répèteront plusieurs des intervenants interrogés, n’est pas en santé. 

« Il n’y a plus rien qui se passe » 

« C’est sûr que le MMA au Québec, c’est pas un sport qui est à la hausse, constate Yohan Lainesse. On a des combattants, mais c’est dur de performer parce qu’on n’a pas de plateforme. C’est surtout ça qui fait que certains des gars lâchent, abandonnent, parce qu’ils ne sont pas capables de combattre. Ça prend beaucoup de persévérance, de résilience. »

Lainesse, 28 ans, a commencé sa carrière sur le tard, mais était sur un élan qui lui donnait bon espoir de réaliser à court terme son objectif d’atteindre le plus haut niveau de son sport. En dix mois, il a gagné ses trois premiers combats pros sous la bannière de TKO. Puis tout s’est arrêté. 

« C’est sûr que depuis que TKO est parti - 16 mois pour moi sans combattre – ça a été très difficile. J’avais enchaîné toutes mes victoires au niveau amateur, j’avais enchaîné mes victoires au niveau pro... j’étais supposé me battre à chaque deux, trois mois. Et là pendant 16 mois, boom, il n’y a plus rien qui se passe. »

Lainesse lance souvent à la blague qu’avoir su, il serait resté dans les rangs amateurs afin de pouvoir rester actif. Les événements d’arts martiaux mixtes amateurs sont illégaux au Québec, mais des organisations comme la Montreal Fight League (MFL) et Fightquest continuent de tenir des événements dans les communautés autochtones autour de l’île de Montréal. 

À 22 ans, Abdel Rebai suit patiemment toutes les étapes qui le mèneront, espère-t-il, vers le niveau professionnel. Il s’est initié aux arts martiaux à la fin de l’école secondaire. Il a d’abord fait ses classes en jiu-jitsu, puis a commencé à participer à des « smokers », des combats d’exhibition organisés le samedi soir au Tristar où les combattants portent des casques protecteurs et des gros gants. 

« On le fait parce qu’il n’y a pas beaucoup d’options en MMA au Québec, dit le jeune Algérien. On est obligé d’aller vers des compétitions de boxe ou de jiu-jitsu pour rester actifs et acquérir l’expérience que ça prend avant de monter professionnel. »

En fin de semaine, Rebai a battu l’Ontarien Adam Gladue pour porter sa fiche amateur à 2-1.

« C’est un peu difficile de trouver des combats parce qu’il n’y a pas beaucoup d’organisations, avoue-t-il. Il y a juste MFL et tu as tout le Québec et l’Ontario qui veut se battre sur ces cartes. »

Un exil forcé

Tommy Morrisson n’a jusqu’ici eu aucune difficulté à demeurer actif. Le Montréalais possède la ceinture de champion des poids mouches chez MFL et Fightquest. Il croit qu’il pourra ajouter une victoire à sa fiche de 7-1 en novembre, mais il s’attend à ce que les adversaires potentiels soient bientôt de moins en moins nombreux. À 125 livres, il commence à avoir fait le tour du jardin. Il croit qu’il sera mûr pour un passage chez les pros quelque part en 2021 et il n’attendra certainement pas que les promoteurs québécois redémarrent la machine pour mettre son plan à exécution.

« J’ai été approché par des organisations aux États-Unis. Moi ça ne me dérange pas, le Canada ou les États-Unis. L’organisation qui me donne la meilleure offre, c’est là que je vais aller, explique le confiant jeune homme. Lévis s’occupe de ça avec mon père. Moi je fais juste suivre. Quand viendra le temps, on va s’asseoir et on va regarder ça. »

S’exiler s’avère pour l’instant la seule option sur la table pour les combattants québécois qui désirent éviter de tomber dans l’oubli. Dans une entrevue récente, l’ancien champion des poids plumes de TKO, Alex Morgan, nous disait avoir récemment signé un contrat avec une organisation française et espérer faire ses débuts transatlantiques en novembre. Corinne Laframboise, qui a disputé cinq combats à TKO et un autre chez New Era, a dû s’envoler à Abou Dabi pour ses deux derniers combats. 

Lainesse, lui, a trouvé sa solution de rechange à Philadelphie. Peu de temps après avoir pris la décision de se dénicher un agent – il fait affaire avec Jeremy Rubin de l’agence ESS Fight – celui qu’on surnomme « White Lion » est parti se battre pour le compte de l’organisation Cage Fury Fighting Championships (CFFC). Pour son retour à la compétition, il a battu le favori local Connor Dixon par K.-O. technique au premier round. 

Comme c’était le cas avec TKO, sa performance a été vue en direct – et est toujours accessible - sur la UFC Fight Pass, la plateforme de webdiffusion de l’organisation qu’il tente de séduire. Il vise un retour à l’action dès le mois d’octobre. « À 4-0, avec trois K.-O., je ne suis pas très loin de me faire voir par l’UFC », croit-il. 
« C’est un sport qui est quand même ingrat, reconnaît Lainesse, qui gagne sa vie comme entraîneur de kickboxing chez LV jiu-jitsu à Beloeil. Quand t’as ta chance de performer, manque-là pas. À Philadelphie, si je voulais que l’organisation me remarque et veuille me garder, je n’avais pas le choix de faire une bonne performance. La pression est grande. Mais je trouve que c’est ce qui fait la beauté de ce sport. »

Si le contexte difficile en a freiné plus d’un, Abdel Rebai entend continuer à tracer son chemin malgré les difficultés. 

« C’est sûr que ça sera plus de travail, entrevoit-il. Au début, c’est difficile d’avoir une organisation qui a à cœur tes intérêts et qui veut prendre en charge tes déplacements... Si c’est au Québec, ça ne coûte pas cher de te faire combattre. Les autres organisations préfèrent mettre leurs gars locaux en premier et ensuite boucher les trous avec les gars à l’extérieur. Mais j’aimerais aller m’entraîner en Thaïlande bientôt, faire quelques combats de muay thaï. L’été prochain, j’aimerais faire le saut chez les pros. » 

« Quand j’ai commencé, j’ai su tout de suite que ce n’était pas un sport facile et que si on le faisait, il fallait s’y mettre corps et âme, conclut Tommy Morrisson, qui allie sa passion avec des études en génie informatique à l’Université Concordia. C’est ce que j’ai décidé de faire. C’est sûr qu’au début, c’était plus un rêve. Je le voyais comme quelque chose que j’aimerais bien. Mais ça doit faire quelques années que je vois plus sérieusement et je vais faire tout ce qu’il faut pour que ça arrive. »