MONTRÉAL – Charles Jourdain ronge son frein depuis sa spectaculaire victoire contre Doo Ho Choi en décembre dernier.

Le combattant québécois attend que l’UFC lui trouve un adversaire depuis qu’il a consenti à se battre lors de l’événement qui doit avoir lieu à Saskatoon en juin. « Mais si c’était juste de moi, je me serais battu en janvier, en février, en mars », fait comprendre l’athlète de Beloeil.

Les consignes d’isolement et les appels à la prudence en lien avec la propagation de la COVID-19 en Amérique du Nord n’ont en rien altéré son désir de compétition. À l’instar de son compatriote Marc-André Barriault, qui racontait au collègue Benoît Beaudoin qu’il était prêt à accepter un combat de dernière minute avant que l’UFC ne se résigne à annuler les trois prochains galas prévus à son calendrier, Jourdain veut que ses patrons sachent qu’il est à un coup de fil de faire ses valises et de régler son GPS vers l’octogone le plus près.

« Si on me dit demain : " Charles, va à Vegas. Prends ton auto, on te paye le gaz, on te paye l’hôtel ", je vais y aller. Je n’ai aucun problème avec ça, a déclaré le poids plume de 24 ans en entrevue à RDS. Les aéroports sont fermés, moi je m’en fous. Je ne suis pas un père de famille, je n’ai pas autant de responsabilités que d’autres fighters. »

Jourdain ne veut pas paraître insensible aux effets potentiels du coronavirus et aux nombreux avertissements qui se multiplient afin de l’enrayer. Mais l’avancement de sa carrière demeure au cœur de ses priorités. Il est dans la fleur de l’âge, a toujours dit qu’il ne prévoyait pas se battre pour un chèque jusqu’à la trentaine et veut profiter au maximum du momentum que lui a procuré sa plus récente performance.

Lorsque l’UFC l’a contacté pour l’inscrire à la carte de Saskatoon, il a proposé les noms d’Edson Barbosa et Yair Rodriguez comme des adversaires potentiels auxquels il voulait se frotter. Et si la compagnie devait lui offrir une place sur la carte qui mettra en vedette Khabib Nurmagomedov et Tony Ferguson – le président Dana White a toujours l’intention de livrer cet événement attendu pour le 18 avril – il n’hésitera pas à se déplacer n’importe où dans le monde pour être de la partie.

« N’importe qui, n’importe quand ». Cette devise, qui a notamment propulsé Conor McGregor et Donald Cerrone vers une lucrative popularité, Jourdain y a toujours adhérée et continuera de le faire.

« Je m’en fous si c’est une foule de 20 000 personnes ou si on est dix dans une salle. J’aime me battre, insiste-t-il. Ça ne me dérangerait pas de me battre dans une salle vide. Tu entends vraiment les sons quand tu frappes quelqu’un, c’est beaucoup plus violent. L’aspect spectacle vient de descendre énormément. Tu es vraiment une bête de cirque, mais sans crowd. Il y a quelque chose de pur là-dedans et j’aimerais ça le vivre. »

« On est sous-payé »

L’ancien champion de l’organisation TKO l’admet sans détour : cette prise de position, qui correspond à celle de plusieurs de ses confrères, n’est pas non plus étrangère aux conditions précaires dans lesquelles de nombreux combattants d’arts martiaux mixtes pratiquent leur métier.

Contrairement à la majorité des athlètes professionnels, qui touchent un revenu garanti pour la durée de leur contrat, les combattants embauchés par l’UFC sont payés à l’acte. Ils ne touchent pas un sous si une blessure, un forfait de leur adversaire ou – surprise! – une pandémie force l’annulation d’un combat.

Cette injustice, qui était décriée bien avant l’apparition des circonstances exceptionnelles qu’on connaît, se retrouve amplifiée par les récents développements. En gardant ses mains bien serrées sur le gros bout du bâton, Dana White sait pertinemment qu’il trouvera toujours assez de volontaires prêts à le suivre dans ses projets égocentriques, risquant leur santé pour une chance de renflouer leur portefeuille.

« À 100%, répond Jourdain quand on lui soumet cette hypothèse. On n’est pas dans un sport où on fait énormément d’argent. Juste hier, je regardais combien Floyd Mayweather avait fait pour son combat contre McGregor et je pense que ça revenait à quelque chose comme 206 000$ à la seconde. C’est incroyable quand on regarde ça. »

« C’est vrai qu’on est sous-payé. Moi, en ce moment, je suis considéré classe C avec l’argent que je fais. Quand tu commences à monter les échelons, quand tu arrives dans ce que j’appelle la classe A ou la classe B, ça monte quand même assez rapidement.  Mais la semaine dernière, je regardais les salaires de l’UFC 248. Joanna Jedrzejczyk, qui s’est battue contre Weili Zhang, a fait 106 000$. Je n’en revenais pas. Pour une personne qui s’est autant donnée à ce sport, qui a fait des ‘main events’ de fou, qui a défendu son titre à plusieurs reprises... Ça m’a un peu choqué. J’ai trouvé ça très décevant. »

« Mais qu’est-ce que tu veux? Moi, j’aime me battre. Pour l’instant, c’est ce que j’aime faire. »

Pour l’instant, Jourdain se sent à l’abri financièrement. Le boni de 50 000$ que sa performance contre Choi lui a permis de toucher lui procure un réconfortant sentiment de sécurité. Mais il ne lui a pas permis réaliser le rêve qu’il avait exposé au grand jour après la plus importante victoire de sa carrière.

« Les gens me posent encore la question : ‘Pis, es-tu finalement parti de chez tes parents?’ La réponse, c’est non. Vu ma situation financière, quand je veux avoir un prêt, on me dit que c’est très risqué. Je dois me prendre une assurance qui coûte une fortune et je dois fournir une énorme mise de fond sur la propriété que je veux acheter. En faisant ça, je me serais retrouvé avec peu d’argent dans mes poches. Ensuite, si je me brise une main et que j’en ai pour un an sans me battre, une maison à payer, ça ne serait pas la meilleure solution. Je voulais être sûr d’avoir un combat. »

Et donc, en ces temps de crise, « Air » Jourdain continuera de nager à contre-courant et attendra l’appel qui lui permettra de précipiter son retour au travail.

« J’ai envie de me battre, réitère-t-il. On ne fait pas des énormes payes et je veux essayer de faire le plus de fights possibles. En plus, après mon prochain combat, dépendamment de ma performance, c’est là que [l’UFC] pourrait négocier mon prochain contrat. J’ai besoin d’avoir une grosse performance, de gagner avec une grosse performance. »