Max Verstappen est maintenant le nouveau champion du monde de Formule 1. Peu de gens auraient pu prédire ce dénouement à dix tours de la fin, alors que Lewis Hamilton était confortablement installé en tête, contrôlant la course depuis le début. Même Christian Horner disait au micro de Sky Sports qu’il allait avoir besoin d’un miracle pour l’emporter.

 

Et ce miracle est arrivé lorsque Nicholas Latifi a frappé le mur en fin de course avec une poignée de tours à faire.

 

On connaît la suite, et l’écurie Mercedes n’était pas très heureuse du dénouement, déposant deux protêts à l’issue de l’épreuve, dont un concernant la procédure entourant la voiture de sécurité. Les deux protêts ont été rejetés par les commissaires, mais l’écurie de Toto Wolff a signifié son intention d’interjeter l’appel et a maintenant quelques jours pour le déposer officiellement.

 

D’où vient cette controverse? Je vais tenter de vous expliquer ma vision de ce qui s’est passé dimanche.

 

Premièrement, allons voir ce que les règlements sportifs de la Formule 1 stipulent concernant la voiture de sécurité.

 

Tout d’abord, ce n’est pas nouveau que les voitures accusant un tour de retard peuvent dépasser la voiture de sécurité afin de regrouper les meneurs ensemble. C’est même la procédure normale. Ce qui était plus surprenant, c’est que le directeur Michael Masi ait pris la décision inverse auparavant, avant de revenir sur sa décision.

 

Au final, seulement les cinq voitures entre Hamilton et Verstappen ont pu le faire. Est-ce qu’on peut permettre seulement à quelques voitures de suivre cette procédure? Le règlement est le suivant au point 48.12 de la réglementation sportive.

 

« … any cars that have been lapped by the leader will be required to pass the cars on the lead lap and the safety car. »

Je l’indique en anglais puisqu’il a été rédigé ainsi et pour le plus de clarté possible. En résumé, cela indique que les pilotes qui ont un tour de retard sur le meneur doivent dépasser les voitures sur le tour du meneur et la voiture de sécurité. Red Bull estime que « any cars » ne veut pas dire « all the cars » ou « toutes les voitures ». Je vous laisse juger ce point.

 

Par contre, si on continue notre lecture du point 48.12, on arrive sur un enjeu très important dans le dossier qui nous regarde.

«Unless the clerk of the course considers the presence of the safety car is still necessary, once the last lapped car has passed the leader the safety car will return to the pits at the end of the following lap. »

 

Si j’y vais d’une petite traduction libre, cela indique qu'« à moins que la direction de course considère que la présence de la voiture de sécurité est toujours nécessaire, une fois que le dernier retardataire a dépassé les meneurs, la voiture de sécurité va retourner dans les puits à la fin du tour suivant. »

 

Assurément, cette partie de la procédure n’a pas été suivie, dimanche. La voiture de sécurité est entrée aux puits lors du même tour que les retardataires ont pu dépasser la voiture de tête, et non lors du tour suivant. Cela fait une grande différence. Si la procédure avait été suivie à la lettre, la course n’aurait pas été relancée et Lewis Hamilton serait champion du monde pour une huitième fois.

 

On peut donc comprendre la réaction de Mercedes. Il faut garder en tête qu’à chacun des tours, les stratèges de chaque écurie calculent et réfléchissent à ce qu’ils vont faire si une voiture de sécurité est déployée. On a d’ailleurs entendu Mercedes demander à Hamilton, plus tôt dans la course, quels pneus il préférait en cas de voiture de sécurité.

Quand Nicholas Latifi a frappé le mur, c’est Mercedes qui a dû prendre une décision très rapidement. Est-ce qu’on fait entrer Lewis afin de lui permettre d’attaquer avec de bons pneus à la relance? Mais si la course n’est pas relancée et que Red Bull laisse Verstappen en piste, ça veut aussi dire que Mercedes lui offre alors la victoire sur un plateau d’argent…

 

L’écurie allemande a donc choisi de garder Hamilton en tête, calculant probablement qu’en suivant les procédures établies par la réglementation sportive, la course ne serait pas relancée. C’est d’ailleurs ce que dit l’ingénieur de piste de Hamilton, Peter Bonnington, par radio.

 

Bonnington : « Voici la situation. Verstappen s’est arrêté, il avait un arrêt gratuit. Nous aurions perdu la position à Verstappen. Il restera 4 tours à faire lorsque tu croiseras la ligne d’arrivée. Le peloton est dispersé, on devra d’abord le regrouper. Puis, il faudra laisser passer les retardataires. La course pourrait ne pas reprendre. »

 

Hamilton : «F***. Il sera juste derrière moi?»

Bonnington : « Il le sera, une fois qu’on aura réussi à refaire l’ordre. Ça prendra du temps à démêler. »

Hamilton : « Mais il aura de nouveaux pneus? »

Bonnington : « En effet, mais on aurait perdu la position si on s’était arrêté. »

 

Bref, on a parié que la course ne serait pas relancée. Et c’est ce qui aurait dû se passer si on se fie à la réglementation entourant la voiture de sécurité.

 

 

Beaucoup de zones grises

 

Mais ça, c’est uniquement si on se fie à cette portion de la réglementation. Or, en Formule 1, il y a toujours des zones grises. Et il semble y en avoir encore une fois, notamment lorsqu’on lit la décision des commissaires de rejeter le protêt de Mercedes.

 

Il y a notamment ce passage qui a retenu mon attention. Le directeur de course, Michael Masi, a affirmé devant les commissaires que « depuis longtemps, les équipes se sont entendues que lorsque c’est possible, il est fortement désiré que les courses se terminent sous le drapeau vert », et donc, pas sous la voiture de sécurité.

 

Ça aussi, c’est important. Pendant la saison, plusieurs rencontres sont organisées entre la direction de course, les pilotes et les écuries, afin de discuter des règlements et de leur application. Selon Masi, toutes les équipes, dont Mercedes bien sûr, se sont entendues sur l’idée sportive que tout doit être fait dans la mesure du possible afin de ne pas terminer une course sous un drapeau jaune.

 

Est-ce que cela implique de ne pas suivre certaines procédures à la lettre? Est-ce que cela signifie que la procédure de la voiture de sécurité représente davantage un guide à suivre en temps normal, mais qu’il peut être modifié selon le contexte par le directeur de course?

 

Si c’est effectivement ce qui a été convenu par les écuries, alors Mercedes aurait dû se douter de la tournure des événements. Personne ne voulait voir une des courses aux titres les plus relevées de l’histoire se terminer sous un drapeau jaune. On aurait dû prévoir que Masi ferait tout en son possible pour relancer l’épreuve.

 

Il était tout à fait souhaitable que la course se termine sur le vert, en laissant les deux pilotes décider cela entre eux, en piste. En précipitant un peu la relance, est-ce que Masi ne s’est pas simplement assuré de respecter ce souhait des équipes de ne pas terminer une course derrière une voiture de sécurité?

 

De plus, dans leur verdict, les commissaires ont aussi noté le point 15.3 e) dans lequel il est stipulé que le directeur de course possède l’autorité supérieure lorsqu’il est question de l’utilisation de la voiture de sécurité. Selon les commissaires, cela inclut la décision d’utiliser la voiture de sécurité, mais aussi celle de la retirer du tracé quand il le juge approprié. Ainsi, selon l’interprétation des commissaires, Masi était en droit, de par son statut de directeur de course, de ne pas suivre la procédure à la lettre.

 

Les pilotes n’y peuvent rien

 

Bref, vous voyez qu’il n’est pas facile de s’y démêler. Si Mercedes a des articles de règlements qui lui semblent favorables, Red Bull a aussi bien des façons de se défendre. On verra comment le dossier évoluera au cours des prochains jours.

 

Par contre, une chose est certaine, c’est que les deux pilotes n’ont absolument rien à se reprocher. Je trouve vraiment dommage qu’ils se retrouvent encore une fois au centre d’une polémique, alors qu’en piste, ils se sont battus férocement, mais proprement.

 

Je vois plusieurs commentaires sur les médias sociaux qui estiment que Verstappen a volé son titre, qu’il ne le mérite pas, que ça vient ternir son championnat. Pour moi, ce qui s’est passé dimanche ne change rien.

 

Verstappen termine la saison avec 10 victoires, contre huit pour Hamilton. Il a 10 positions de tête, contre 5 pour son rival. Et le nombre de tours menés est largement en sa faveur.

 

Oui, la voiture de sécurité est arrivée au moment parfait pour lui. Mais c’est comme ça en Formule 1. Ça arrive régulièrement qu’un pilote échappe une course qu’il dominait en raison d’un drapeau jaune ou rouge au mauvais moment. Hamilton en a aussi bénéficié cette saison, comme à Imola pour ne nommer qu’un exemple. L’occasion s’est présentée à Max, et il la saisit. Pour moi, il n’y aura absolument pas d’astérisque au côté de son nom dans la liste des champions du monde. Il mérite totalement le droit d’apposer le numéro 1 sur sa voiture l’an prochain.

 

Et quant à Hamilton, il mérite aussi des éloges. Depuis 2016, il n’avait pas affronté une opposition aussi forte que celle de Max cette année. À un certain point, on croyait l’écart trop grand. Mais Hamilton s’est battu, il n’a jamais baissé les bras, et sa poussée en fin de saison était remarquable.

 

Bref, dans cette controverse, ils n’y sont pour rien. C’est à la FIA de se regarder dans le miroir. Si on ne peut reprocher à Masi son désir de ne pas terminer la course sous le drapeau jaune, on peut se demander s’il n’est pas trop hésitant lors de sa prise de décision. Sa volte-face concernant les retardataires paraissait mal.

 

Un directeur de course doit faire respecter ses décisions, même si elles peuvent soulever l’ire de Christian Horner ou Toto Wolff. Son rôle est d’abord et avant tout de faire respecter les règles en place. Et quant à la FIA, son rôle est d’éliminer le plus de zones grises possibles afin d’aider le travail de son directeur. Espérons qu’on apprendra de nos erreurs…

 

En terminant, un petit mot pour vous remercier une fois de plus, chers lecteurs du RDS.ca, d’avoir été au rendez-vous. En espérant que vous avez apprécié ces chroniques, et surtout, que cette saison 2021 de Formule 1 vous a plu. À bientôt!