MONTRÉAL - Après un éreintant chemin de croix de 11 jours, 22 heures et 25 minutes, Sébastien Sasseville a franchi le fil d'arrivée de la Race Across America à Annapolis, dans le Maryland, un exploit en soi, même si l'expérience ne s'est pas totalement déroulée comme il le souhaitait.

« Dans la catégorie solo, on était 35 au départ et 14 ont terminé, dont moi, en 12 place, cinquième dans ma catégorie d'âge, a-t-il raconté à La Presse Canadienne. C'est certain que ce n'est pas un gros bassin et il y a toujours la question : ai-je terminé 12 sur 35 ou 12 sur 14? Je pense que c'est 12 sur 35 dans mon cas.

« Nous avions des objectifs ambitieux, mais mon corps s'est complètement effondré lors de la neuvième journée. À partir de ce moment-là, tout est allé aux poubelles et l'objectif est devenu de terminer, car si tu reviens avec DNF (Did not finish, n'a pas franchi le fil d'arrivée), rien de ce que tu as fait n'existe. »

La Race Across America est un périlleux parcours de 4800 km, soit 30 % plus long que le Tour de France, ponctué de 54 500 m de dénivellation sur 12 États et qui doit être complété en moins de 12 jours. Au jour 9, le corps de Sasseville, qui est atteint de diabète de type 1, ne voulait plus continuer.

« Ce n'est pas en lien avec mon diabète. Mais dès le jour 1, nous étions dans le désert et nous avons fait un arrêt très long, de cinq heures. Nous trouvions que de rouler au soleil, à 45 degrés Celsius, ça coûterait trop cher physiologiquement. Mais sur ces cinq heures, je n'ai dormi que 45 minutes. C`est un gros problème. J'ai le sommeil super fragile : même après 525 km, j'ai eu de la misère à dormir », a-t-il expliqué.

« Jour 2, problème logistique : on n'arrive pas à se rendre où on voulait pour dormir. On improvise alors une solution, mais je n'ai pas dormi du tout. Jour 3, on a un premier point à franchir, sinon on est éliminé. On est passé juste, avec 90 minutes d'avance sur l'heure limite, mais je n'ai dormi que deux heures. Après trois jours et 1500 km à pédaler, je n'avais dormi que 2 h 45. J'étais une bombe à retardement. On savait que je n'allais pas tenir. Au jour 9, j'ai cassé. »

Frustré, peiné et incapable d'aborder rationnellement la situation, Sasseville se laisse alors guider par son équipe.

« Cognitivement, je n'étais plus là et c'est l'équipe qui a pris le contrôle de la situation. Je leur en serai redevable toute ma vie. Ils m'ont forcé à aller me coucher pendant cinq heures et établi le nouvel objectif : terminer la course.

« À mon réveil, il me restait trois jours et 1000 km à franchir. Ils ont établi le plan de match : une journée de 400 et deux journées de 300 km. Mais tu ne te réveilles pas frais comme une rose : tu es encore démoli. J'ai dormi de 17 h à 22 h, la nuit commence, et tu es brisé, mais tu n'as plus de jeu. Il restait 60 heures pour franchir ces 1000 km. C'est vraiment demandant mentalement et psychologiquement, pour toi, mais aussi pour l'équipe », a-t-il dit.

Exclus, donc, tous les objectifs de performance qu'il souhaitait atteindre.

« Physiquement, j'avais ce qu'il fallait pour terminer parmi le top-5. Jusqu'au jour 9, j'étais sixième au classement général. J'étais prêt.

« Ce qui a coûté des places au classement, c'est de l'inexpérience. Je suis super à l'aise avec ça et je ne suis pas déçu. On a fait ce qu'on voulait et encore plus. Il y a plus de gens qui atteignent le sommet du mont Everest (ce qu'il a déjà accompli) que la Race Across America. J'en suis très fier. D'avoir terminé 12 au lieu de neuvième, est-ce que ça change réellement de quoi dans l'histoire? Pas tant », a-t-il assuré.

« Je suis tellement fier, j'en perds mes mots. L'histoire ici, c'est l'équipe. Très tôt, on s'est rendu compte que ce n'est pas de donner du Gatorade à un cycliste qui est difficile. L'engagement est à la mode, mais c'est plus que de l'engagement: c'est une famille qui avait un projet à coeur. C'est pour ça que j'ai pu offrir une si bonne performance dans cette course », a-t-il ajouté.

Et maintenant?

« Mon prochain défi, ce sera de ne pas avoir de défi! Je veux m'obliger à profiter de la vie un peu plus. Ça fait des années que je suis dans une structure d'entraînement. Il y a plein de petites choses que je ne vis pas : des soupers entre amis, travailler sur ma maison, des choses super banales comme prendre un week-end pour aller en vacances », a énuméré Sasseville.

« Je me donne un an avant de planifier une nouvelle aventure. Comme ça demande environ un an de préparation, ça veut dire que ma prochaine aventure arriverait dans deux ans. Ça donne de bons coups sur le corps, et je ne suis plus certain de vouloir vivre ça tous les ans », a-t-il reconnu.

Une nouvelle Race Across America est-elle possible?

« Oui, je recommencerais. Peut-être pas demain, pas l'année prochaine, mais c'est tellement enrichissant. Les gens voient le vélo, mais c'est la pointe de l'iceberg. Ce que tu vis comme athlète, comme personne, la préparation, l'expérience, les liens avec l'équipe qui se sont tissés. C'est l'expérience d'une vie », a-t-il conclu, visiblement heureux.