Par Pierre Houde - Il suffit de la survoler lentement, en petit avion, comme je le fais à plusieurs reprises pour réaliser à quel point l’Ile Notre-Dame était un endroit tout naturel pour y établir un circuit de Formule 1. Bien sûr, les pilotes diront parfois du circuit Gilles-Villeneuve qu’il est un peu « ennuyant », qu’il est dénué des ces courbes rapides qu’ils adorent négocier à la limite du décrochage. Les directeurs d’écurie diront que l’espace est plutôt restreint dans la région des paddocks. Bernie Ecclestone dira parfois qu’il a consenti un « prix d’ami » pour que la F1 demeure à Montréal pour plusieurs années encore. Mais en toile de fond de ces commentaires exprimés ici et là, il y a ceux qui reviennent fréquemment et unanimement. Si Montréal craque pour la F1 et son Grand Prix, le grand cirque craque pour Montréal. C’est une histoire d’amour qui a commencé en 1978 dans des circonstances hollywoodiennes et qui perdure encore aujourd’hui.
Les années « campagne »
C’est à l’initiative du fabricant de cigarettes Player’s qu’un Grand Prix de F1 fut tenu au Canada pour la première fois, en 1967. Le centenaire de la confédération canadienne a généré quantité de projets d’envergure dont, ironiquement, Expo 67, qui deviendra 11 ans plus tard, le terrain d’accueil de ce même GP. La venue d’une manche du Championnat mondial était un projet tout naturel pour ce contexte historique.
Il fut décidé au départ, avec logique et rectitude sur le plan politique, qu’une alternance allait se faire entre deux circuits permanents qui partageaient des caractéristiques à peu près semblables, surtout au niveau des défis sur le plan du pilotage. Situés en plein campagne, dans un décor enchanteur et offrant des dénivellations importantes, le premier fut celui de Mosport, en Ontario, situé à une centaine de kilomètres à l’est de Toronto tandis que le deuxième fut celui de Mont-Tremblant, aussi situé à une centaine de kilomètres de Montréal, au nord. Le légendaire Jack Brabham fut le premier gagnant de la toute première édition tandis que Dennis Hulme remporta la toute première, à Tremblant.
L’alternance ne dura que quatre ans. Après la présentation du Grand Prix de 1970, le circuit québécois fut jugé trop dangereux et Mosport devint le seul circuit à accueillir la F1 jusqu’en 1977.
L’émergence de Gilles Villeneuve
Au cours des années 1970, un nom a commencé à circuler rapidement dans les cercles du sport motorisé, non seulement chez nous, mais à travers l’Amérique et éventuellement, en Europe. Si Jacques Duval fut le véritable précurseur en tant que pilote québécois ayant eu un rayonnement sérieux hors Québec, un certain Gilles Villeneuve s’est mis à attirer de plus en plus l’attention avec ses coups de volant magiques et sa propension à repousser les limites, en Formule Atlantique surtout. En 1977, Villeneuve eut droit à un premier essai en Grand Prix, sur une McLaren vieille d’un an et Ferrari eut tôt fait de lui offrir un volant permanent dès lors.
C’est dans la foulée de cet intérêt croissant pour la F1 et son nouveau « petit prince » que la Brasserie Labatt y vit une opportunité unique d’accroître sa visibilité et sa notoriété. Après quelques hésitations entre Montréal et Toronto, il fut établi qu’un éventuel « Grand Prix Labatt du Canada » devait avoir lieu au Québec et pas ailleurs. Mais où ?
Plusieurs projets ou idées furent mis sur la table. L’un d’eux, imaginez, incluait le Stade olympique, à l’intérieur duquel il y aurait eu un virage en épingle et qui aurait permis à plus de 60,000 personnes d’assister à cette portion de la course !
C’est finalement à vol d’oiseau que l’autorité sportive nationale, via son représentant Roger Peart, eut cette « révélation » : il y avait là, au beau milieu du fleuve Saint-Laurent, une petite île artificielle bâtie pour Expo 67, fruit du recyclage de la terre émanant du creusage du tunnel Louis-Hyppolite Lafontaine et dont le déploiement s’avérait idéal pour installer rapidement un circuit temporaire. Avec un contour naturel d’environ 5 kilomètres, l’île Notre-Dame offrait la perspective de deux virages en épingle serrés et quelques belles et longues lignes droites. Sur le plan de l’organisation et surtout de la mise en marché, c’était idéal : proximité du centre-ville, accès par métro, décor enchanteur, terrain connu mondialement depuis l’exposition universelle, etc.
Roger Peart aiguisa donc son crayon et conçut ce tracé qui, au fil de toute son histoire, garda son identité intacte. Malgré quelques retouches, il fut dès sa naissance reconnu comme un « circuit de vitesse et de gros freinages » et fut rapidement étiqueté comme un « mini Monza ». Avec de l’eau tout autour et même à l’intérieur de sa propre « structure » (dont le bassin olympique), l’île Notre-Dame ne pouvait offrir que son contour comme base de tracé. Le travail fut exécuté à une vitesse folle, une course d’homologation eut lieu et le 8 octobre 1978, par un temps très froid, Montréal présenta son Grand Prix pour la toute première fois, sur son île artificielle.
Ce nouveau circuit n’aurait pu espérer un sceau d’approbation plus éloquent lors de l’agitation du drapeau à damier. C’est Gilles Villeneuve, lui-même, qui le reçut en premier, pour la toute première fois. Et il n’aurait pu se trouver un nom plus digne pour le reste de son histoire. C’est Gilles Villeneuve qui lui a donné, en 1982, quelques semaines après sa mort tragique !
Le « Petit Prix » et la guerre des brasseries
On disait souvent au 20e siècle que les guerres (malheureusement) faisaient avancer le progrès. C’est une affirmation qui est aussi un peu vrai dans le cas du Grand Prix du Canada et de son circuit actuel. Et le hasard a voulu que votre humble chroniqueur se retrouve au beau milieu de la tourmente.
En tant que directeur général du Grand Prix Labatt du Canada en 1986, j’ai reçu la visite des autorités sportives et commerciales après la fin de l’épreuve, remportée par Nigel Mansell, sur Williams-Honda. Nous avions eu la chance d’avoir un bel événement, sans trop de problèmes et la météo avait collaboré jusqu’à la fin. Autant la Fédération internationale que Bernie Ecclestone étaient vraiment heureux du déroulement de tout le weekend et leurs bons mots à l’égard de notre équipe furent très réconfortants.
Le visage de Bernie et surtout celui du délégué technique de la FISA, Derek Ongaro, devinrent cependant plus sévères quand ils se mirent à parler de l’avenir. En clair, l’infrastructure de l’île Notre-Dame était devenue désuète et il fallait procéder à des travaux majeurs si nous voulions conserver les droits de présentation du Grand Prix sur le circuit Gilles-Villeneuve. La toute petite tour de contrôle à l’extrémité est du circuit, l’absence d’une vraie ligne des puits et de garages fermés, la piètre qualité du revêtement n’étaient que quelques-uns de leurs griefs. Il y avait aussi les installations pour la presse écrite, pour les télés du monde entier, etc. Bref, des millions de dollars étaient nécessaires pour refaire une beauté au circuit.
Mais où prendre l’argent ? Les investissements publiques étaient plutôt rares à l’époque pour des événements comme la F1. J’ai quand même présenté un plan d’affaires ambitieux à la Brasserie Labatt, qui nous permettrait une croissance de revenus substantiels, mais j’ai rapidement senti que la corporation et sa maison-mère n’étaient guère ouverts à de tels efforts à ce moment de leur histoire. J’ai donc quitté mon poste, à regret, redoutant une suite malheureuse.
À peine quelques semaines plus tard, une bombe éclata. La Brasserie Molson venait de signer une entente avec Bernie Ecclestone pour la commandite du Grand Prix du Canada, entente qui incluait les travaux nécessaires exigés par les autorités. Les dirigeants de Labatt étaient en furie. Ils n’acceptaient pas que Bernie n’ait pas cherché à négocier plus longtemps avec eux. Ils promirent la guerre à leur concurrent !
Tous les moyens furent mis en œuvre pour bloquer l’organisation d’un Grand Prix Molson sur le circuit Gilles-Villeneuve. C’est finalement l’entente d’exclusivité entre Labatt et l’autorité sportive nationale qui vint à bout du projet Molson. Mais pour que l’injonction soit valide, il fallait que Labatt et l’ASN organisent conjointement un événement sur l’île Notre-Dame. 1987 fut donc l’année du « Petit Prix », un grand weekend de sport automobile sans F1, qui eut un succès, disons, plutôt modeste !
L’histoire connut finalement un dénouement heureux au début de 1988, de par les pressions populaires, de celle des gens d’affaires et du maire de Montréal de l’époque, Jean Doré. Labatt cessa sa démarche et la voie fut libre pour un premier GP Molson. Avec à peine quelques mois de délai, un groupe de passionnés se mit à bâtir ce qui est encore aujourd’hui l’infrastructure principale qui trône à l’extrémité ouest du circuit. Il aura fallu la perte de l’événement pendant un an, issue d’une guerre corporative, pour que Montréal se dote d’installations à la hauteur des attentes !
Au fil des années qui ont suivi, le circuit a subi quelques transformations non-négligeables. On notera, entre autres,la suppression du « pif-paf » (comme dit si bien Christian Tortora), un enchaînement fou au cœur de la longue ligne droite du bassin olympique, que les plus culottés prenaient à fond. Il y eut aussi la refonte complète de la sortie des puits qui, dans sa version passée, aurait pu coûter la vie à Heinz-Harald Frenzen.
François Dumontier, le promoteur de l’épreuve, a maintenant le mandat de faire peau neuve à son tour. Après plus de 25 ans, le temps est venu. Mais cette fois, tout se fera sans guerre, heureusement !
Quelques données techniques, les dépassements et les accrochages dignes de mention sur la piste de Montréal (rédaction et recherche d'images par Bertrand Houle)
Seulement trois pilotes ont remporté le Grand Prix du Canada à au moins trois reprises. Coup d'oeil sur leurs exploits:
Nelson Piquet
Date de naissance: 17 août 1952
Lieu de naissance: Rio de Janeiro, Brésil
Victoires à Montréal: 3 (1982, 1984, 1991)
Positions de tête: 3 (1980, 1981, 1984)
Podiums: 5 (1982, 1984, 1986, 1990, 1991)
Fort de son championnat des pilotes en 1981, Nelson Piquet avait toutes les raisons de croire que l'année 1982 serait bonne pour lui. Toutefois, l'histoire a été toute autre.
Après avoir terminé la campagne 1981 avec six courses de suite dans les points, Piquet a collectionné les abandons, disqualifications et suspensions, si bien qu'il s'est présenté à Montréal, sixième course du calendrier, avec deux maigres points.
Le circuit Gilles-Villeneuve sera finalement le seul baume sur la saison de Piquet. Dans une course marquée par le décès de Riccardo Paletti, Piquet a souffert, une fuite d'huile à l'avant de la voiture lui brûlant sévèrement les pieds pendant plus de 60 tours, mais a signé ce qui sera la seule victoire de sa saison.
La suite des choses sera plus heureuse pour Piquet à Montréal. En huit autres participations, le Brésilien marquera des points à six reprises, signant quatre podiums dont deux victoires, en 1984 et 1991.
À l'image de 1982, l'épreuve de Montréal en 1984 est arrivée à un bon moment pour Piquet, qui venait d'être exclu des points lors de ses six premières courses (cinq s'étant soldées par des abandons). C'est notamment en raison de ces nombreux problèmes moteur que Brabham a décidé d'ajouter un radiateur au nez de la voiture, pour en améliorer la fiabilité.
La stratégie portera ses fruits et Piquet remportera la course, après avoir décroché la position de tête (et signé le tour le plus rapide en course, ce qui confirmera son quatrième "grand chelem" en F1). Toutefois, cette victoire a eu un prix: la chaleur dégagée par le radiateur a littéralement percé un trou dans les bottes du pilote, qui s'est sévèrement brûlé le pied droit lorsqu'il appuyait sur l'accélérateur. C'est finalement pieds nus que Piquet est monté sur le podium, après avoir reçu les premiers soins. Pour l'épreuve suivante, il aura un petit bac de glace dans le cockpit, pour soulager ses brûlures. Il commentera à la blague qu'il conduit "le véhicule réfrigéré le plus rapide du monde".
L'édition 1991 retiendra particulièrement l'attention. S'élançant de la huitième place, Piquet a été épargné par les bris mécaniques qui ont fait pas moins de 17 victimes, dont les Ferrari de Jean Alesi et Alain Prost et les McLaren de Ayrton Senna et Gerhard Berger. Les Williams de Riccardo Patrese et de Nigel Mansell semblaient se diriger vers un doublé facile, mais Patrese a eu des ennuis avec sa boîte de vitesses, glissant finalement au troisième rang.
Mais le plus insolite reste le résultat de Mansell. En avance sur Piquet au dernier tour, Mansell a commencé à saluer la foule, en route vers le drapeau à damiers. Il a toutefois tellement ralenti la cadence de son moteur que ce dernier s'est bloqué. N'ayant plus la possibilité de changer de vitesse, Mansell n'a eu d'autre choix que d'abandonner, officiellement en raison d'un problème électrique (il a finalement terminé sixième). Piquet a profité de cette malchance pour croiser l'arrivée le premier et signer sa troisième victoire au Canada, dont sa dernière en Formule 1. Lorsqu'il quittera la scène de la F1, il sera le pilote le plus décoré de l'histoire de l'épreuve de Montréal...avant qu'un certain Michael Schumacher ne fasse son entrée.
Michael Schumacher
Date de naissance: 3 janvier 1969
Lieu de naissance: Hürth, Allemagne
Victoires: 7 (94, 97-98, 2000, 2002-04)
Positions de tête: 6 (94, 95, 97, 1999-01)
Podiums: 12 (1992-94, 97, 98, 2000-06)
Michael Schumacher a littéralement réécrit le livre des records de la Formule 1, et le circuit de Montréal n'a pas échappé à sa domination. De ses 68 positions de tête en carrière, six (8,8%) ont été enregistrées au Canada et trois se solderont par des victoires.
Schumi maintiendra également des statistiques similaires dans les autres départements, signant sept de ses 91 victoires en carrière (7,7%) et 12 de ses 155 podiums (7,7%).
Ironiquement, c'est peut-être sa course 2001, où la victoire lui a échappé, qui aura été l'une de ses plus satisfaisantes. C'est que le seul pilote qui terminera devant lui sera nul autre que Ralf...Schumacher. Michael terminera deuxième, confirmant le premier doublé de frères de l'histoire de la Formule 1.
Avec 12 podiums à Montréal, il serait peu probable que Schumacher soit rejoint un jour. Notre dernier champion est peut-être celui le mieux placé pour réussir l'exploit.
Lewis Hamilton
Date de naissance: 7 janvier 1985
Lieu de naissance: Stevenage, Royaume-Uni
Victoires: 7 (2007, 2010, 2012, 2015, 2016, 2017, 2019)
Positions de tête: 6 (2007, 2008, 2009, 2015, 2016, 2017)
Podiums: 8 (2007, 2010, 2012, 2013, 2015, 2016, 2017, 2019)
Le parcours de Lewis Hamilton a été parsemé de plus de succès que d'échecs. Dès son entrée sur le circuit, le jeune pilote de 22 ans signera pas moins de neuf podiums consécutifs, une marque qui tient toujours. L'épreuve de Montréal, qui faisait partie de cette séquence, gardera une place de choix car il s'agira de la toute première victoire du Britannique.
Avec sa victoire aux États-Unis la semaine suivante, Hamilton devenait le deuxième pilote - après Jacques Villeneuve - à signer deux victoires à sa saison recrue.
Mais l'épreuve de Montréal n'aura pas toujours souri à Hamilton. L'année suivante, il est victime d'un accrochage avec Kimi Raikkonen dans les puits. Après une saison sans arrêt à Montréal, il renouera avec la victoire en 2010, abandonnera en 2011 et remontera sur la plus haute marche du podium en 2012.
La dernière fois que Hamilton a amorcé la saison avec des podiums à chaque course avant Montréal, il s'était imposé sur le circuit Gilles-Villeneuve. S'il devait récidiver cette année, il prendrait seul la deuxième place de tous les temps avec quatre victoires au Canada, et se hisserait également au deuxième rang avec cinq podiums.
Par Pierre Houde - Ce n’est certainement pas scientifique, mais il y a de bizarres et tristes équations qui reviennent inévitablement dans la vie. Les tragédies aériennes par exemple, bien que rares, semblent survenir les unes collées sur les autres. L’histoire du Championnat du monde de Formule1 est ainsi faite. Si Ayrton Senna demeure encore aujourd’hui le dernier pilote mort en piste lors d’un weekend de Grand Prix, son décès, survenu à Imola en 1994, fut l’un des maillons d’une chaîne qui ne tient que par la chronologie des événements. En effet, si on pouvait imputer au formidable essor technologique des années 1960 et à l’absence scandaleuse d’infrastructures adéquates les nombreuses pertes de vie d’alors, celles des 40 dernières années suivirent un parcours plus aléatoire, bien qu’elles soient regroupées dans le temps.
L’année 1982 s’inscrit directement dans cette perspective. Et Montréal ne put échapper à ce brouillard épais qui enveloppa la F1 cette année-là. Le 13 juin 1982, dès le feu vert, le Grand Prix du Canada connut alors le seul accident fatal de son histoire à survenir en piste. Un jeune Italien de 23 ans, prenant le départ pour la deuxième fois de sa carrière seulement, connut un destin tragique, à peine après avoir parcouru quelques mètres…
Dès le commencement…
Comme s’il allait y avoir une série d’éléments annonciateurs, la saison 1982 s’élança de travers dès le commencement. Il est donc important de s’offrir un préambule complet avant d’aborder l’accident fatal de Montréal.
Avant même le début du calendrier, il y avait une grogne montante chez les pilotes quant à la sécurité des monoplaces. Le principe de l’effet de sol avait été poussé à une limite dangereuse et rendait les voitures totalement incontrôlables dès qu’elles perdaient leur adhérence au sol. Nous étions aussi à l’ère des moteurs turbo, une brillante invention de Renault dans les années 1970, utilisée par certaines écuries dont Renault, bien sûr, mais aussi par Ferrari et Brabham. Ces moteurs offraient un surplus de puissance, certes, mais ils étaient lourds et surtout, réagissaient avec un certain retard, ce qui rendait les pilotes nerveux à chaque ré-accélération. C’était aussi l’époque de la guerre des pneus, avec ces fameuses gommes de qualifications qui n’étaient conçues que pour le fameux tour « ultime » et qui tombaient en lambeaux tout de suite après. Ce fut, ironiquement, la première fois que le nombre de trains de pneus fut limité en qualifs, soulevant l’ire de Gilles Villeneuve, alors que le nombre total de voitures admises au départ était passé de 24 à 26. Bref, il y avait des griefs légitimes pour les pilotes.
Il y en avait aussi pour les deux grandes autorités qui régissaient la F1, la Fédération internationale du sport automobile (FISA) et la Formula One Constructors Association (FOCA), créée par Bernie Ecclestone, qui se livraient une guerre sans merci à l’époque pour le contrôle du Championnat du monde.
Le lever de rideau se fit donc dans une ambiance extrêmement tendue à Kyalami, en Afrique du Sud, le 23 janvier. En plus de leurs griefs sur le plan technique, les coureurs en avaient aussi gros sur le cœur à propos des nouveaux principes d’obtention de leur « super-licence » à un point tel qu’une grève des pilotes fut organisée à l’initiative de Niki Lauda. Elle dura 24 heures, la course eut bel et bien lieu mais elle eut aussi pour effet d’ouvrir un très long débat qui éventuellement, força l’annulation du GP suivant, celui d’Argentine.
Le 23 avril, le grand cirque débarque à Imola et encore une fois, les problèmes politiques font rage. C’est le maintien d’une décision des commissaires du GP du Brésil d’exclure Nelson Piquet et Keke Rosberg pour non-respect du poids minimum qui souleva l’ire des équipes « d’allégeance FOCA » et plusieurs d’entre elles décidèrent de boycotter l’épreuve. Il y avait donc 14 voitures au départ, dont les deux Ferrari de Gilles Villeneuve et de Didier Pironi qui éventuellement, se retrouvèrent aux avant-postes, très loin devant les autres.
La suite est bien connue. Menant la course vers la toute fin et croyant à une politique claire de non-agression, Villeneuve se fit doubler deux fois par son coéquipier, ce qui lui coûta une victoire assurée. Hors de lui, blessé profondément, le Québécois cracha son venin vers Pironi, après la course et aussi lors d’une conférence de presse organisée par le Grand Prix du Canada, quelques jours plus tard. On avait déjà hâte de vivre l’affrontement au sommet entre les deux, à Montréal, environ un mois plus tard.
Ce rêve fut brisé le samedi 8 mai de la même année, à Zolder, quand la roue avant gauche de la Ferrari de Villeneuve toucha l’arrière droite de la March de Jochen Mass, en qualifications. Villeneuve, qui tentait de battre le meilleur temps de Pironi avec un mélange insensé de pneus usés, devint le premier pilote à perdre la vie en piste, lors d’un weekend de Grand Prix, depuis Ronnie Peterson à Monza en 1978…
Sombre période
Afin de maximiser les chances d’une météo agréable, le Grand Prix du Canada de 1982 fut le premier à être disputé au printemps, au lieu du début d’automne, comme c’était le cas depuis 1978. Or, comme s’il avait fallu en ajouter encore sur cette année horrible, la météo fut l’une des plus mauvaises dans toute l’histoire de la course à Montréal. Le dimanche 13 juin, il faisait un froid de canard sur l’Ile Notre-Dame, le ciel était couvert et l’humidité nous rongeait les os !
Comble de malchance et autre coup dur du destin, les opérateurs de métro et chauffeurs d’autobus déclenchèrent la grève au moment de la tenue du GP, forçant le directeur de l’époque, Normand Legault, à trouver des moyens de fortune pour permettre aux gens de s’amener au circuit. Sans métro, particulièrement, c’était tout un défi et le nombre total de spectateurs en souffrit, bien sûr.
Dès l’ouverture des tourniquets, le vendredi matin et même lors de l’installation de nos équipements de radiodiffusion, quelques jours plus tôt, il y avait une lourdeur et une mélancolie extrêmement douloureuses qui flottaient autour du circuit. La mort de Gilles Villeneuve ne passait tout simplement pas ! On ne voulait pas y croire, on en voulait encore au destin ! L’attribution de son nom au circuit de l’Ile Notre-Dame ne faisait qu’ajouter au deuil insurmontable du moment.
La triste histoire du GP du Canada de 1982 prit une tournure encore plus émotive quand Didier Pironi décrocha la position de tête et qu’il se présenta en conférence de presse, devant une salle composée principalement de journalistes québécois. Rarement avait-on vu un pilote aussi mal à l’aise devant les médias ! Nerveux, raidi sur sa chaise, Pironi cherchait par tous les moyens à éviter la controverse d’Imola. Il voulait convaincre la presse québécoise que Gilles était son ami, qu’il n’y avait pas « d’agenda » entre eux, que tout cela n’était qu’une malheureuse mésentente, purement aléatoire et qu’il dédiait sa course à la mémoire du disparu. Le problème pour Pironi était que son auditoire était composé d’une grande quantité de journalistes qui avaient aussi assisté au point de presse de Villeneuve, après Imola. Disons que son niveau de conviction fut plutôt faible, d’autant plus que, rongé par le stress, il fut pratiquement incapable de s’exprimer en anglais ce jour-là.
Le drame
À quelques minutes du lancement de la course, la grille de départ du Grand Prix du Canada de 1982 se complèta pour de bon, dans la portion est du circuit de l’Ile Notre-Dame, où étaient concentrées alors les opérations de l’épreuve (tour de contrôle, ligne des puits, etc.).
Prenant place à la dernière ligne, à l’avant-dernière position aux côtés du britannique Geoff Lees, un jeune pilote italien s’apprête à vivre une étape importante de sa jeune carrière. Pilotant pour la modeste écurie Osella, Riccardo Paletti, 23 ans, s’élancera en course pour la deuxième fois seulement, lui qui fit partie de la grille allégée d’Imola. Cette fois, il y est de plein droit, ayant survécu aux qualifications. Il est du côté impair de la piste, donc dans la ligne immédiate du détenteur de la position de tête, Didier Pironi.
Le feu rouge apparaît et le rugissement habituel des moteurs se fait entendre. Pironi ressent sûrement la pression de s’élancer en premier, quelques mètres à peine derrière l’inscription « Salut Gilles », peinte par le directeur technique André Gervais et son équipe, une idée du collègue Pierre Lecours. À l’apparition du feu vert (procédure de départ de l’époque), Pironi cale son moteur et reste immobile à la position numéro 1 ! Le pilote français lève le bras et la plupart des autres coureurs derrière lui réussissent à contourner la Ferrari. Alain Prost, Bruno Giacomelli, Keke Rosberg, Andrea De Cesaris, Niki Lauda et Derek Daly eurent tous la bonne réaction mais ce fut beaucoup plus difficile pour ceux partis en fond de grille. Ainsi, Raul Boesel, s’élançant de la 21e place, fut le premier à toucher à la Ferrari, à la gauche et entraîna dans sa déroute quelques voitures du côté pair de la grille. Suivant immédiatement derrière, aveuglé par tout ce chaos, par la poussière et les résidus de gomme, atteignant déjà les 160 km/h, Riccardo Paletti fonça tout droit vers Pironi. L’Osella frappa de plein fouet la Ferrari immobilisée. Cette scène horrible se passa sous les yeux de la maman de Riccardo, assise dans les gradins, devant la ligne de départ…
Le jeune pilote n’eut aucune chance. Il fut tué sur le coup ! L’incendie qui s’est déclenché peu de temps après et le temps fou qu’il fallut pour l’extirper de la carcasse de sa monoplace n’eurent donc aucune incidence sur son tragique destin. Dès les premières secondes qui suivirent l’accident, Pironi, sorti de sa monoplace, fit tout en son possible pour aider les équipes d’intervention, surtout pour combattre l’incendie. On a peine à imaginer son état d’esprit du moment, compte tenu de toutes des circonstances énumérées plus haut.
La course fut relancée beaucoup plus tard. Elle fut remportée par Nelson Piquet qui subit de graves brûlures aux pieds, résultat d’une fuite d’huile chaude dont il fut victime pendant 60 tours ! Même le vainqueur ne pouvait échapper à la malchance, en ce 13 juin 1982 ! Pironi, le cœur et la tête ailleurs, termina l’épreuve avec trois tours de retard.
Suite, répercussions et destin…
Les événements dramatiques ne s’arrêtèrent pas là pour la F1 et particulièrement pour Didier Pironi, en 1982. Après une heureuse séquence de trois podiums de suite à Montréal, dont une victoire en Hollande, il fut à son tour victime d’un accident épouvantable, en qualifications du Grand Prix d’Allemagne, le 7 août. Roulant à toute vitesse sur le tracé d’Hockenheim, sous une pluie diluvienne, il percuta la Renault d’Alain Prost, qui roulait au ralenti devant lui. La Ferrari prit son envol, retomba au sol le nez devant, broyant les jambes du pilote français. On craint alors l’amputation, ce que Pironi évitera finalement après avoir supplié les médecins de ne pas s’y résoudre.
Dès 1983 et après cette année maudite, la F1 se transforma sensiblement. Les jupes aérodynamiques furent interdites et l’imposition d’un fond plat, sous les monoplaces, mit fin automatiquement à l’utilisation de l’effet de sol. Le poids minimal des voitures fut rabaissé dans le but de décourager davantage l’utilisation des moteurs turbo (qui seront officiellement interdits pour de bon en 1989).
En 1986, encouragé par une réhabilitation physique heureuse et avec une sérénité d’esprit renouvelée, Didier Pironi tentera un retour en monoplace, mais devra oublier l’idée, faute de performances suffisantes en essais privés.
Il passera alors aux courses de bateaux « offshore », sa nouvelle passion et remportera même une victoire en Norvège, en août 1987. Quelques semaines plus tard, aux larges de l’Ile de Wight, en Angleterre, son embarcation surnommée « le Colibri » prit son envol et se retourna à très haute vitesse. Pironi y trouva la mort, tout comme ses deux membres d’équipage. Le destin venait finalement de rejoindre celui qui l’avait taquiné cinq ans plus tôt et qui fut au cœur de celui d’autres pilotes, en grande partie sans qu’il en soit vraiment responsable...
Avec ses longues lignes droites et ses virages serrés, le circuit Gilles-Villeneuve est l'un des plus appréciés des pilotes année après année. Il représente des défis de taille, où certains virages sont abordés à plus de 300 km à l'heure, et où la tentative d'aller chercher un petit dixième de seconde peut coûter très cher.
Damon Hill, Michael Schumacher et Jacques Villeneuve l'ont tous appris à leurs dépens lors de l'épreuve de 1999. À la dernière chicane de la piste avant de sauter sur la ligne départ/arrivée, les trois pilotes, tous d'anciens champions du monde, ont poussé leur monoplace un peu trop à fond et ont abouti dans le muret, qui portait l'affiche "Bienvenue au Québec". Le mur est rapidement devenu "le mur du Québec".
Depuis cette fameuse année 1999, le mur a continué de faire des victimes, forçant plusieurs ex-champions de différentes catégories à abdiquer à la suite du virage. D'abord connu sous le nom de mur du Québec, la portion du circuit a ensuite été surnommée le mur des champions.
Parmi les pilotes victimes d'un accrochage, on retrouve notamment Alexander Wurz (ancien champion des 24 Heures du Mans) en 1997, Ricardo Zonta (champion FIA GT sports) en 1999, Nick Heidfeld (ancien champion F3000) en 2001, Rubens Barrichello (ancien champion Formule 3 Britannique) en 2002, Nico Rosberg (ancien champion GP2) et Juan Pablo Montoya (ancien champion CART) en 2006, sans oublier les champions F1 Jenson Button en 2005 et Sebastian Vettel en 2011. Qui sera le prochain?
Même s'il n'aura remporté que six victoires en Formule 1, Gilles Villeneuve a laissé une marque permanente sur le circuit et s'est hissé parmi les grands grâce à sa détermination et son goût de vaincre.
Ses premiers faits d'armes en course auto, il les fera à l'école de pilotage de Jim Russell sur le circuit Mont-Tremblant, celui-là même qui accueillait le Grand Prix du Canada quelques années plus tôt. Déjà, son idée était faite: il sera plus tard pilote de F1.
Vainqueur en Formule Ford au cours de l'année 1973, il ajoutera le titre en Formule Atlantique deux ans plus tard. Il s'illustrera particulièrement au Grand Prix de Trois-Rivières devant plusieurs pilotes de F1 pour recevoir un appel de McLaren, prête à lui consentir un essai.
Malgré des résultats finaux moyens, sa hargne en piste lui permettra de mettre la main sur un volant de la prestigieuse Ferrari, avec qui il passera toute sa carrière. Il soulèvera la foule de tous les coins du monde par sa rage de victoire et par son refus de baisser les bras en piste. Sa bataille épique contre René Arnoux en 1979 est encore aujourd'hui considérée comme un des plus beaux moments dans l'histoire de la F1.
Son plus grand moment, c'est toutefois à Montréal qu'il le vivra. Après une saison décevante, Gilles fera bien en qualifications à son premier Grand Prix national, décrochant la troisième place. Il fera encore mieux en course, décrochant la première victoire de sa carrière et confirmant sa place dans le circuit automobile le plus relevé au monde.
Quelques semaines seulement après sa mort à Zolder, on rebaptisa le circuit de Montréal le circuit Gilles-Villeneuve, en plus d'y peindre "Salut Gilles" sur la ligne de départ pour lui rendre hommage.
La passion de la course auto coulait aussi dans les veines de Jacques. Après un passage en Formule 3, Jacques connaîtra deux brillantes saisons en CART, terminant d'abord sixième du classement (et deuxième des 500 milles d'Indianapolis) en 1994 avant de remporter les 500 milles et le titre l'année suivante.
En pleine ascension et rejoignant l'écurie de l'heure en F1 - Williams-Renault - Jacques a tout ce qu'il faut pour viser les plus hauts sommets. Il décrochera d'ailleurs la position de tête à sa toute première épreuve, devenant seulement le troisième pilote de l'histoire à réussir l'exploit.
Il ne pourra rééditer l'exploit de son père de remporter la course de Montréal, son meilleur résultat étant une deuxième place en 1996. Mais l'année suivante, Jacques réalisera un rêve inachevé par Gilles, soit celui de remporter le titre au terme d'une lutte de tous les instants avec Michael Schumacher.
L'arrivée du Grand Prix au Canada a permis à plusieurs pilotes, dont Gilles, de rêver à la prestigieuse série. Ses exploits par la suite ont consolidé les succès de l'épreuve, tout en ouvrant la voie à plusieurs autres générations de pilotes.