Blaise Dubois n’a besoin d’aucune présentation dans le domaine de la course à pied. Le physiothérapeute de 46 ans, né en Suisse mais vivant au Québec depuis l’âge de 10 ans, est devenu l’un des meilleurs spécialistes internationaux de la prévention des blessures en course à pied. En 2008, pour offrir une formation continue sur le sujet, il a fondé La Clinique du Coureur.

Il lance ces jours-ci un formidable ouvrage, « La Clinique du Coureur, la santé par la course à pied ». Ce livre, écrit en collaboration avec le journaliste Frédéric Berg, deviendra rapidement une référence dans le domaine puisque tous les aspects liés à la course à pied y sont abordés en s’appuyant sur une synthèse rigoureuse de la science. Entraînement, nutrition, santé, chaussures et techniques de course ne sont que quelques-uns des sujets traités avec minutie par un impressionnant groupe d’experts internationaux.

Malgré un horaire très chargé – il arrivait à peine de Chamonix –, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Blaise Dubois au sujet de ce livre et pour parler de course à pied.

Blaise DuboisBlaise, parle-moi d’abord de ce livre de près de 500 pages. Une collaboration avec Frédéric Berg et plus de 50 experts internationaux. Votre objectif était-il d’offrir le livre de référence ultime aux coureurs?

C’est effectivement le cas. Nous voulions bien faire les choses et souhaitions que cela devienne un livre de référence puisque d’autres experts se joindront aux prochaines éditions lorsque le livre sera bonifié. C’est un ouvrage qui est rigoureux du point de vue scientifique puisqu’il est basé sur l’ensemble des données probantes qu’on connaît actuellement.

Combien d’années furent nécessaires pour sa création?

Nous avons travaillé sur le livre pendant deux ans. On ne croyait pas que ce serait aussi long, mais une fois lancé dans un tel projet, tu veux te rendre jusqu’au bout. Écrire des textes de vulgarisation basés sur la science pour le grand public nécessite de nombreuses recherches au préalable. Nous les avons réalisées avec La Clinique du Coureur qui oeuvre dans une quinzaine de pays. Nous enseignons les meilleures pratiques aux professionnels de la santé (podologues,  chiropraticiens, physiothérapeutes,  médecins, pédiatres, etc.), ce qui nous offrait une base de savoir importante. Il suffisait de le vulgariser pour le grand public.

Comment avez-vous fait pour convaincre autant d’experts internationaux d’y participer?

D’être la référence à l’international pour la prévention des blessures fait en sorte que nous sommes en contact avec des experts dans tous les domaines. Je les connais personnellement et les rencontre en congrès. C’était alors normal de leur demander de collaborer avec nous. Ce fut le cas avec, par exemple, l’Australienne Jill Cook, la spécialiste mondiale des blessures aux tendons (tendinopathie) et l’Américaine Tamara Hew-Butler, une spécialiste de l’hydratation dans les sports d’endurance en lien avec la santé. Tous les experts que j’ai contactés ont accepté de collaborer, ce qui enrichit beaucoup ce livre.

La Clinique du CoureurEst-ce un livre qui s’adresse davantage aux professionnels de la course à pied ou si c’est pour tout le monde?

Il s’adresse autant aux professionnels de la santé qu’aux coureurs capables de lire un ouvrage un peu plus consistant que ce qu’on propose habituellement.

La Clinique du Coureur que tu as fondé existe maintenant depuis plusieurs années. Vous avez offert des cours au Canada anglais, aux États-Unis, en Suisse, en France, en Belgique, en Espagne, en Angleterre, en Océanie, en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. L’entreprise se développe toujours dans plusieurs régions du monde. Est-ce que ce livre est un résumé de toutes les connaissances acquises et vécues lors de cette période de croissance?

Exactement! C’est un livre qui résume l’ensemble de ce que nous enseignons dans nos cours aux professionnels de la santé et de l’entraînement. Tout cela repose sur une solide base scientifique. Nous offrons actuellement des cours spécialisés de toutes sortes dans une quinzaine de pays.

Au dos du livre, il est écrit que « ce livre bouscule les vieilles croyances, change les pratiques et renverse les mauvaises habitudes ». Il y en a tant que ça?

Elles sont extrêmement nombreuses et teintées d’influences commerciales. En 2019, le marketing est très fort et nous fait croire à beaucoup de choses. Mais en dehors de cela, on a également de fausses croyances qui sont incrustées depuis longtemps.

Par exemple?

Pendant des années, on a dit aux coureurs qu’ils devaient boire avant d’avoir soif, car s’ils le faisaient lorsqu’ils sentaient la soif, il serait trop tard. Cela signifiait qu’ils étaient déjà déshydratés et courraient la chance d’avoir un coup de chaleur ou des problèmes de santé et de moins bien performer. En fait, plusieurs publications ont été faites à ce sujet récemment et nous les avons validées. Au final, on en est venu au consensus que le fait de boire à sa soif avant, pendant et après une course est la meilleure recommandation qu’on puisse faire aux coureurs. Cela réduit le risque d’avoir des complications comparativement à ceux qui boivent avant d’avoir soif et qui peuvent souffrir d’hyponatrémie, qui est une dilution des sels dans le corps parce qu’on a trop bu. Ça bouleverse donc les pratiques du coureur qui s’était toujours fait dire de boire avant d’avoir soif, surtout s’il faisait chaud! C’est un exemple, mais je pourrais en donner plusieurs autres sur les techniques de course, les chaussures, le renforcement, etc.

Blaise DuboisJustement, tu n’as jamais eu peur d’aller à contre-courant pour défendre tes opinions, notamment dans le dossier des chaussures où tu prônes le minimalisme depuis des années.

D’un point de vue scientifique, c’est un discours qui doit être plus nuancé et vulgarisé. Il n’y a aucune raison, autre que des aspects marketing, de porter les grosses chaussures qu’on essaie de nous vendre. Les technologies véhiculées par les compagnies de chaussures et la majorité des magasins au sujet de l’amorti dans les chaussures et l’antipronateur pour contrôler le mouvement des pieds n’ont pas de sens d’un point de vue scientifique et clinique. On ne prévient pas les blessures avec cela, car plus la chaussure est grosse, plus on altère la biomécanique du pied. On développe donc des coureurs qui sont moins efficaces et performants, mais qui sont également moins protecteurs pour eux-mêmes et qui augmentent leur risque de se blesser.

Il n’y a donc aucun intérêt à aller vers la chaussure maximaliste?

Si on se fie à l’ensemble de la littérature, c’est très clair! Un coureur qui veut performer a intérêt à aller vers des chaussures plus légères. Un coureur débutant devrait donc commencer directement en chaussures ayant un indice minimaliste d’au moins 70 % en raison de tous les avantages qui y sont associés. Plusieurs ont peur du mot minimaliste, car pendant plusieurs années, on pensait tout de suite aux chaussures five fingers ultra minimaliste et hyper mince. Mais il s’agit en fait d’un courant qui dit qu’un coureur débutant devrait commencer à courir avec des chaussures plus simples et plus près du sol sans un gros « coussinage » et amortissement pour essayer de moins altérer sa biomécanique de course. Petit bémol cependant, pour ceux qui sont habitués à des chaussures maximalistes et qui n’ont pas de blessures, alors il est conseillé de ne rien changer.

Une conférenceTu voyages beaucoup dans le monde pour enseigner, former et donner des conférences sur la prévention des blessures. Quelles observations fais-tu au sujet des coureurs et coureuses québécois? En quoi se distinguent-ils du reste du monde?

C’est une bonne question et c’est complexe d’y répondre. Je suis un coureur de trail et suis plus en contact avec ce groupe qu’avec les coureurs sur route. Le trail est plus nouveau au Québec, mais nous avons des terrains qui sont très techniques et accidentés avec peu de dénivelé. Je constate donc que des coureurs d’ici se distinguent à l’international dans des courses offrant ce genre de parcours. Le trail est en croissance importante et rapide ici et nous avons de bons coureurs et coureuses malgré le facteur limitant qu’est l’hiver. Cela explique probablement d’ailleurs pourquoi on produit moins de coureurs élites. Pour ce qui est de la course sur route ou sur piste, je dirais que c’est un peu pareil. La culture de la course à pied au Québec est bonne et on suit la tendance mondiale d’augmentation du nombre de coureurs et de compétitions.

Pourtant, les courses organisées pullulent au Québec, mais un lent déclin des inscriptions semble amorcé. Est-ce que cela t’inquiète?

Je ne connais pas les statistiques exactes, mais c’est intrigant. Je crois qu’il y a tellement d’événements sur route que plusieurs ont perdu des coureurs, car il y en a juste trop! On doit donc se demander s’il y a un déclin des coureurs ou un déclin des inscriptions en raison du trop grand nombre d’événements. Les gens ont peut-être tendance à sortir de la route pour aller dans les sentiers naturels ou dans la nature pour du trail qui est en augmentation de participation. Je crois qu’on assistera à une épuration des événements sur route au cours des prochaines années et que plusieurs ne survivront pas. La Clinique du Coureur organise deux courses de ce genre et je sais ce que ça implique au niveau financier.

En terminant, tu es une sommité mondiale dans la prévention des blessures en course à pied. Qu’est-ce qui te rend le plus fier lorsque tu regardes ton parcours et tes accomplissements depuis l’obtention de ton diplôme en physiothérapie de l’Université Laval en 1998?

Je suis physiothérapeute depuis 21 ans et je suis fier d’avoir réussi à garder un bel équilibre avec mes quatre enfants et ma blonde que j’aime. Je suis même grand-père! J’ai toujours réussi à continuer de courir et être actif pour demeurer en santé. Professionnellement, je suis très fier d’avoir fondé officiellement La Clinique du Coureur il y a onze ans, une entreprise qui est maintenant affranchie et libérée avec des gens heureux et pleinement mobilisés à l’intérieur de l’entreprise. Une quarantaine de personnes gravitent autour de La Clinique. Je suis également copropriétaire des cliniques de physiothérapie PCN, une autre entreprise où on a un grand souci du bien-être des employés pour offrir des soins de haute qualité. J’y travaille encore deux jours par semaine pour m’occuper de mes patients.