J’ai parfois tendance à exagérer, mais je ne crois pas le faire en affirmant  que de très (très) nombreuses personnes m’ont parlé cette semaine de l’exploit réalisé par le Kényan Eliud Kipchoge, samedi dernier (12 octobre), à Vienne. Pensez-y, il est devenu le premier homme à descendre sous les deux heures au marathon (1 h 59.40). Un exploit que je croyais impensable pour encore plusieurs années. J’avais même déjà écrit que l’homme irait sur Mars avant cela.

 

Pourtant, sans rien enlever à cette course formidable au record non-homologué de Kipchoge et ses 41 lièvres, c’est plutôt l’exploit réalisé le lendemain lors du Marathon de Chicago par la Kényane Brigid Kosgei qui m’a soufflé! Elle a battu le record féminin détenu depuis 2003, donc depuis 16 ans, par la Britannique Paula Radcliffe. Et elle l’a fait avec fracas. Son chrono final de 2 h 14.04 est 81 secondes plus rapide que la marque de Radcliffe. Pensez-y un instant. Dans un sport où les records se battent à coup de petites secondes, Kosgei a pulvérisé un des plus anciens records de l’athlétisme.

 

Alors que le record masculin a été amélioré à sept reprises depuis 2003, celui de Radcliffe tenait le coup. Établi lors du Marathon de Londres en 2003 avec l’aide de nombreux lièvres masculins, ce chrono semblait inatteignable. Il y avait bien eu la Kényane Mary Jepkosgei Keitany en 2017 (2h17.01), mais il lui manquait tout de même 96 secondes pour égaler Radcliffe. Un gouffre.Brigid Kosgei

 

Et puis voilà Brigid Kosgei qui chamboule tout! Elle faisait déjà office de favorite à Chicago, surtout après avoir couru le demi-marathon féminin le plus rapide de l’histoire au Great North Run au Royaume-Uni il y a quelques semaines (1 h 04.28). Elle était la championne en titre et avait remporté le Marathon de Londres en avril dernier.

 

La jeune femme de 25 ans a amorcé le Marathon de Chicago à un rythme d’enfer, tellement que la plupart des commentateurs sur place ou suivant l’épreuve à distance affirmaient qu’il lui serait impossible de le maintenir. À mi-parcours, elle était à 1 h 06.59. Là, tout le monde a commencé à y croire. Son temps de passage était une minute plus rapide que celui de Radcliffe. Cette dernière, présente à Chicago, a bien compris qu’il se passait quelque chose.Brigid Kosgei et Paula Radcliffe

 

Il fallait voir le visage de la Britannique à l’arrivée lorsqu’elle est allée féliciter Kosgei pour comprendre qu’elle était sous le choc. Si elle s’attendait à ce que son record soit battu un jour, Radcliffe ne croyait pas qu’il le serait par cette marge. Et lorsque la Kényane a ajouté qu’elle pouvait courir encore plus vite, elle a semblé perplexe.

 

Peut-être Paula avait-elle un doute. Après tout, l’agent de Kosgei, Federico Rosa,  a dirigé les carrières d’un grand nombre de coureurs et coureuses élites reconnus coupables de dopage et bannis. On a qu’à penser à la gagnante du Marathon de Londres en 2016, Jemima Sumgong.

 

Mais bon, attendons avant d’accuser Kosgei de quoi que ce soit et donnons-lui le bénéfice du doute et la gloire qu’elle mérite. Demeurons prudents et attendons la suite. Sa course demeure, à mes yeux, un exploit aussi important que celui de Kipchoge. Seul l’objectif avec un chiffre rond était moins spectaculaire.Eliud Kipchoge

 

Ces deux records lors d’une même fin de semaine soulèvent toutefois une petite controverse. Celle des chaussures. Tant Kipchoge que Kosgei portaient les fameuses Nike Vaporfly Next %. Selon des estimations très conservatrices, ces souliers de course offriraient une amélioration de la performance de quatre à cinq pourcent. Cela se traduit, pour des athlètes élites comme Kipchoge et Kosgei, par un gain de 60 à 90 secondes sur un marathon.Vaporfly

 

Pourquoi? Car ces chaussures révolutionnaires ont été pensées et conçues pour battre des records. La semelle cache une plaque en fibre de carbone sur toute la longueur du pied, ce qui offre une sensation de propulsion augmentée pour accélérer le rythme.

 

Dans sa réglementation, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) stipule, qu’une chaussure ne doit pas procurer une aide ou un avantage inéquitable et qu’elle doit être accessible à tous. Deux points qui ne semblent pas être respectés dans le cas présent. Seuls les athlètes de l’équipementier Nike peuvent avoir cette chaussure novatrice.

 

Il sera intéressant de voir si l’instance suprême de l’athlétisme légifèrera plus sévèrement.  Souvenez-vous des fameux maillots de bain une pièce LZR Racer portés lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008. 98% des médaillés utilisaient ce maillot qui augmentait la flottabilité des nageurs.  La Fédération internationale de natation (FINA) avait réagi en interdisant leur usage.Michael Phelps

 

Bien sûr, on ne pourra jamais empêcher l’évolution technologique. Il est clair que les chaussures de course portées actuellement par la grande majorité d’entre nous sont beaucoup plus performantes que le petit bottillon de cuir de Spyridon Louis lors de sa victoire au premier marathon olympique en 1896 à Athènes. Mais il est bon de se demander jusqu’où cette aide technologique doit aller avant de transformer le coureur en « passager » de ses chaussures.

 

Bravo à Kipchoge et Kosgei. Leurs exploits sont remarquables. Mais auraient-ils battus des records sans leurs chaussures révolutionnaires?