Ainsi, le Kenyan Eliud Kipchoge se lance à nouveau à l’assaut du marathon en moins de deux heures! Le plus récent vainqueur du marathon de Londres (28 avril) en a fait l’annonce le 6 mai dernier via ses médias sociaux.

 

Il avait échoué par seulement 26 petites secondes une première fois en mai 2017 sur le circuit automobile de Monza, en Italie. L’événement, organisé par l’équipementier qui le commandite, Nike, s’était déroulé à huis clos et avait entraîné de nombreuses récriminations de la part des amateurs et puristes de course à pied. Les chaussures utilisées, les lièvres qui se relayaient près de lui, un véhicule placé devant pour le protéger du vent et des stations de ravitaillements mobiles faisaient en sorte que le chrono n’aurait jamais été homologué par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF).

 

Tout de même, il était venu bien près d’y parvenir et d’inscrire son nom dans l’histoire à titre de premier homme à passer sous la barre des deux heures au marathon.

 

Son deuxième essai se déroulera fort probablement en Grande-Bretagne en octobre prochain. Kipchoge devrait courir sur un parcours en boucle de quelques kilomètres dans les rues de Londres. Cette fois, le public sera admis et on estime que près de 250 000 personnes pourraient se masser le long du tracé pour l’encourager. Une source de motivation non négligeable pour aller chercher les 26 secondes qui lui manquent.

 

Mais pourquoi un tel engouement face à un homme qui court après un chrono très précis? Plusieurs explications sont possibles.

 

Roger BannisterUne course à l’exploit

 

Il y a d’abord que le chrono frappe l’imaginaire et a une connotation symbolique. C’est une des rares distances de l’athlétisme à offrir actuellement cette possibilité avec un chiffre rond! Une barrière physique et psychologique. La même frénésie avait fait son apparition à l’approche du premier homme capable de courir le 100 mètres en moins de dix secondes (Jim Hines en 1968),  de sauter plus de six mètres au saut à la perche (Sergueï Bubka en 1985) ou de courir le mile en moins de quatre minutes (Roger Bannister en 1954). D’ailleurs ce n’est pas un hasard si Kipchoge a choisi le 6 mai pour annoncer publiquement son intention de faire une autre tentative. Cette date  marquait le 65e anniversaire de l’exploit de Bannister au mile, une course qui lui avait permis de passer à l’histoire. Kipchoge a le même but!

 

Il y a l’argent en jeu également. Kipchoge est un millionnaire de la course à pied et pour cette nouvelle aventure, il vend littéralement ses services au conglomérat pétrochimique britannique Ineos qui souhaite réaliser un formidable coup publicitaire. Un peu comme l’avait fait Red Bull avec le parachutiste autrichien Felix Baumgartner en 2012 lorsqu’il avait réalisé le plus haut saut de l’histoire à l’époque. Kipchoge sera très bien payé pour être associé à Ineos. Tellement qu’il a accepté de renoncer au marathon des prochains mondiaux d’athlétisme, à Doha, le 5 octobre. Une course qu’il aurait fort probablement gagnée.

 

Mais surtout, l’intérêt de la prochaine tentative de Kipchoge repose sur le fait qu’il est actuellement le seul homme sur terre à pouvoir réaliser l’exploit. Le Kenyan de 34 ans est le plus grand coureur de fond de l’histoire et il lui manque cet exploit pour devenir une véritable légende sportive. Il suffit de jeter un coup d’œil à son curriculum pour s’en convaincre. Il est l’actuel détenteur du record du monde au marathon sur un parcours certifié (2 h 1 min 39 sec à Berlin en 2018). Il a gagné 11 des 12 marathons auxquels il a participé, dont ceux de Londres en 2015, 2016, 2018 et 2019 et celui des Jeux olympiques de Rio en 2016.

 

Le temps presse pour Kipchoge

 

Un marathonien est à son meilleur entre l’âge de 28 à 35 ans environ et le temps va commencer à lui manquer. C’est donc maintenant ou jamais et c’est la raison pour laquelle il a décidé de se jeter corps et âmes dans l’entraînement en vue de réaliser une course mémorable à l’automne. Il a affirmé qu’il voulait « marquer l’histoire ».

 

Eliud KipchogeUne étude de l’American College of Sports Medicine dévoilée en février dernier révélait qu’il faudrait attendre 2032 pour voir un marathonien passer sous les deux heures. Cette étude s’appuyait sur l’analyse de la progression des records du monde sur la distance depuis 1950. Et encore là, les auteurs de l’étude précisaient qu’il n’y avait que 10% de chance que cela se fasse en 2032 au plus tôt!

 

Si Kipchoge réussit son pari dans quelques mois, quelle sera la valeur de son exploit? Parlera-t-on du record du marathon? On ignore encore s’il profitera de la même assistance qu’à la course de Monza. Si c’est le cas, ce record ne sera pas homologué par l’IAAF. On parlera plutôt du premier homme à avoir parcouru cette distance (42,195 kilomètres) en moins de 120 minutes. Un astérisque permanent sera accolé à cette marque. N’empêche, ce serait une prouesse historique. Imaginez, cela signifie qu’il aura couru à plus de 21,1 km/h de moyenne!

 

J’ai déjà écrit, il y a deux ans, que je verrais un homme marcher sur Mars avant d’en voir un terminer un marathon en moins de deux heures. J’en suis moins certain. Nous sommes ici face à un surdoué de la course à pied. Un phénomène!

 

Si Eliud Kipchoge gagne son pari, ce sera certes un beau coup publicitaire, mais d’abord et avant tout un moment qui marquera l’histoire de la course à pied et du sport. Les paris sont ouverts.