Karine Belleau-Béliveau fut une des meilleures coureuses canadiennes sur 800 mètres au début des années 2010. Celle qui était venue tardivement et un peu par hasard à l’athlétisme s’était classée 6e aux Jeux de la francophonie en 2009 à Beyrouth sur 800 et 1500 mètres.

À deux reprises, en 2013 et 2014, elle avait terminé deuxième au Canada sur 800 mètres, une distance très stratégique. Elle avait même participé au Mondiaux d’athlétisme, à Moscou, en 2013.

Dotée d’une redoutable pointe de vitesse, tous les espoirs étaient permis pour une participation aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Mais une série de blessures est venue contrecarrer les plans de l’athlète maintenant âgée de 35 ans.

Véritable battante, la voilà de retour en forme après une pause salutaire, prête à tout donner une dernière fois pour ne pas rater le prochain rendez-vous olympique de Tokyo en 2020.

J’ai eu le grand plaisir de m’entretenir avec elle.

Karine, pourquoi avoir décidé d’arrêter l’athlétisme en 2016?

J’étais blessée, une fracture de stress à un tibia, et je n’avais pu me qualifier pour les Jeux olympiques de Rio. J’avais choisi de faire une pause pour guérir et ne pas aggraver mes blessures. De plus, mon contrat avec mon commanditaire (MediaGrif) qui m’avait supporté pendant cinq ans se terminait. Je m’entraînais alors à temps plein à Guelph, en Ontario, depuis deux ans avec le club Speed River. Je devais donc assurer mon avenir et j’ai pris la décision de revenir à Montréal pour me trouver un emploi et entreprendre des études en éducation physique à l’Université McGill. Il faut savoir que les blessures peuvent coûter très cher en frais de traitements à un athlète lorsqu’il doit les financer lui même. Moi je n’ai jamais pu obtenir le brevet d’Athlétisme Canada qui défraie les soins associés à une blessure pendant deux ans.

Avais-tu essayé de courir à nouveau après la guérison de tes blessures?

Oui. J’ai dû y aller graduellement et prudemment. Je me sentais un peu débalancée. Je m’entraînais pour faire sous les deux minutes au 800 mètres dans l’espoir d’une qualification olympique et je devais avoir une mécanique parfaite. Je compare souvent les athlètes de pointes à des voitures de F1. Ce sont des bolides hyper performants, mais hyper fragiles également. La biomécanique d’un athlète est très précise. Je sentais que j’avais un léger blocage dans une hanche et ça me demandait beaucoup de physiothérapie. J’ai donc eu à renoncer temporairement à la course. D’où ma décision de revenir à Montréal pour me trouver un emploi et prendre un certain recul par rapport à mon sport. Mais j’avoue que ce fut une période frustrante, car j’étais déçue de ne pas pouvoir fournir la marchandise pour mon commanditaire et tous ceux qui croyaient en moi.

Karine Belleau-BéliveauÀ l’intérieur de toi, savais-tu que tu allais renouer avec ton sport un jour?

Absolument! Je l’ai réalisé à la fin de l’automne 2018 alors que je m’entraînais pour le plaisir sous les couleurs des Martlets de l’Université McGill. Je faisais plus du maintien de forme physique qu’autre chose, mais j’ai tout de même décidé de m’inscrire à un 1000 mètres avec eux en décembre 2018 et j’ai gagné facilement (2:52). Ce n’est pas un chrono exceptionnel, car j’avais amorcé ma course de manière trop conservatrice. Je voulais être prudente après une longue absence des compétitions. Je ne suis pas quelqu’un qui a besoin de s’entraîner beaucoup pour performer à un haut niveau et cette course fut un bon indicateur que j’avais toujours ça en moi!

Tu as donc décidé de laisser de côté des études à nouveau pour te consacrer à l’athlétisme?

Exactement. Une carrière d’athlète ne dure pas longtemps et je ne veux pas avoir de regrets. C’est un choix difficile que j’ai fait de laisser de côté mes études, car j’ai hâte d’être une enseignante en éducation physique et de travailler avec des enfants. Mais pour le moment, le plan est de continuer d’œuvrer à titre d’agente administrative au CHUM tout en m’entraînant. Je crois sincèrement que les Jeux olympiques de 2020 à Tokyo sont un objectif atteignable. Mais je dois totalement m’investir dans l’entraînement. Ça vaut la peine de tenter le coup.

Tu réalises que participer aux Jeux olympiques représente tout un défi! Surtout à ton âge après une longue absence de l’athlétisme.

Je sais! Pour réussir, je dois atteindre un certain niveau de forme cet été et faire beaucoup de volume. Je me suis fixé l’objectif de courir le 800 mètres en moins de 2:06 cet été. Je l’ai presque réalisé après une faible préparation de seulement quatre mois lors d’une course à Boston où je courais seule sans opposition (2:06.34). Cela ne m’a pas aidé, car on est toujours plus rapide lorsqu’il y a d’autres bons athlètes. J’ai également pris part au dernier championnat provincial sur 800 et 1500 mètres. Cette dernière distance en est une que j’ai peu exploitée dans ma carrière même si mon meilleur temps est de 4:13. J’en faisais parfois pour m’aider sur 800 mètres. Chose certaine, les deux distances se complètent bien à l’entraînement. Je sais qu’avec une bonne préparation, de bons camps d’entraînement et pas de blessures, un top-50 mondial et une participation olympique seraient possible en 2020.

Pourtant, le standard olympique sur 800 mètres est actuellement à 1:59.5. C’est beaucoup plus rapide que ton meilleur chrono.

C’est vrai, ce standard est vraiment élevé et peu de coureuses dans le monde l’atteignent. Au Canada, il n’y a que Melissa Bishop. Mais en réalité on garde le top-3 aux championnats canadiens. Ce sera donc à la discrétion d’Athlétisme Canada de choisir les deux autres coureuses sur 800 mètres.

Pour ton retour, tu t’es tournée en février dernier vers ton entraîneur de toujours, Jean-Yves Cloutier. Quelle fut sa réaction?

Il était très heureux de me voir revenir. Il y a toujours eu une bonne chimie entre nous. Jean-Yves est quelqu’un de très méthodique et c’est ce que j’aime chez lui. La planification est son point fort et il ne fait rien au hasard. Une chose est certaine, nous sommes motivés et on veut que ça fonctionne. Cela se fait étape par étape et nous planifions en fonction de l’année prochaine.

Karine Belleau-BéliveauRegrettes-tu ta pause de trois ans? As-tu l’impression d’avoir perdu certaines de tes plus belles années de course?

Pas du tout! Je crois que cette pause physique et mentale était nécessaire. J’étais dans une situation financière précaire et je n’avais pas d’emploi. Il est certain que si j’avais eu un soutien financier, je n’aurais pas arrêté. Mais bon, j’ai réalisé qu’il m’était impossible de m’entraîner alors j’ai préféré faire une pause. De toute façon, j’avais déjà vécu de grands moments de course dans ma vingtaine. Les trois dernières années ont eu cela de bon qu’elles m’ont permis de réfléchir à mon après carrière.

Tu as maintenant 35 ans, un âge respectable en athlétisme. C'est une histoire singulière que la tienne.

Oui, absolument, mais je n’ai jamais tenu compte de mon âge pour m’évaluer. Tout ce qui compte pour moi c’est mon niveau de forme et mon potentiel. Lorsque j’ai commencé à courir à 24 ans en 2008, je réalisais certaines des meilleures performances au Canada sans trop m’entraîner. Je me dis donc que si je travaille bien, tout est possible, même à 35 ans.

En terminant, qu’est-ce qui s’en vient pour toi prochainement?

Je suis en préparation pour les Championnats canadiens qui se dérouleront à Montréal du 25 au 28 juillet et j’en profite au maximum afin de mettre la table pour l’année prochaine et pour atteindre le synchronisme parfait avec ma nouvelle équipe de feu! (Jean-Yves Cloutier, entraîneur-chef du club Les Vainqueurs; La boutique Courir; Stéphane Pépin, acupuncteur; Mickael Samaan, Clinique Intersanté; Sébastien Boucher, préparateur physique).

Et je commence maintenant la chasse aux commanditaires afin de financer ce magnifique défi qui aura pour but de démontrer qu’il n’y a pas de limites lorsqu’on place les efforts nécessaires et qu’on abandonne jamais!