La tricherie et le mensonge existent dans le monde du sport depuis la nuit des temps. La gloire et l’euphorie de la victoire font en sorte que plusieurs sont prêts à tout pour gagner, quitte à renier les valeurs de fair-play les plus élémentaires. Tous ces athlètes dopés (une liste interminable) nous viennent en tête. 

 

Ce qu’il y a de pire avec la tricherie sportive, c’est qu’elle prive les véritables gagnants des plus grands honneurs. Souvent, l’athlète pris en flagrant délit ou confronté à des preuves irréfutables continue de nier, s’enfonçant dans des méandres de mensonges et d’explications invraisemblables. 

 

Connaissez-vous Rosie Ruiz? Cette Américaine est décédée à 66 ans le 8 juillet dernier en Floride. L’annonce de sa mort a été révélée quelques semaines plus tard seulement, comme si ses proches avaient voulu lui éviter un ultime lynchage public. 

 

Je ne devrais pas parler de celle qui, selon moi, fut une des pires tricheuses de l’histoire sportive récente. Une écervelée qui a privé de gloire la grande marathonienne de légende québécoise Jacqueline Gareau. Je vais néanmoins le faire pour rappeler à mes plus jeunes lecteurs à quel point l’idiotie n’est pas une qualité et pourquoi le nom de Ruiz est maintenant synonyme de tricherie. 

 

Boston, 1980

 

Rosie Ruiz est malheureusement devenue célèbre en 1980 lors du Marathon de Boston. Ce jour-là, elle est la première femme à franchir le fil d’arrivée de la célèbre course de 42,2 kilomètres. Son chrono: 2h31:56. Il s’agissait alors du troisième temps le plus rapide de l’histoire au marathon féminin. Pas mal pour une coureuse qui n’était pas décoiffée, à peine essoufflée et sans aucun signe de transpiration à l’arrivée. 

 

Jacqueline Gareau discute avec le directeur du Marathon de Boston après avoir terminé deuxième.Le problème, c’est que personne, mais alors là personne n’avait entendu parler d’elle. Alors que les officiels de la course s’apprêtaient à lui déposer la traditionnelle couronne de lauriers sur la tête, Jacqueline Gareau terminait en deuxième place en 2h34:28. 

 

Kathrine Switzer, première femme à avoir couru au marathon de Boston, travaillait à la description de l’épreuve et suivait la meneuse, Gareau, dans un petit véhicule motorisé. Vers le quarantième kilomètre, elle l’avait abandonnée pour court-circuiter le parcours jusqu’à l’arrivée. La foule dense rendait ses déplacements trop hasardeux. 

 

Elle fut la première surprise de voir arriver cette jeune femme au chandail jaune et à la coupe garçonne. L’entrevue que Switzer réalisa alors avec Ruiz est passée à la postérité tellement on sent la suspicion dans chacune de ses questions. 

 

Switzer ne peut cacher son étonnement lorsque Ruiz lui dit que c’est son deuxième marathon à vie et qu’elle vient d’améliorer le chrono de son premier, celui de New York, par 25 minutes! Lorsque Switzer pose des questions sur son entraînement et lui demande si elle fait des intervalles, Ruiz lui demande ce que sont des intervalles! L’entrevue surréaliste se termine par Switzer qui présente Rosie Ruiz comme « la femme mystérieuse que nous avons ratée à chacun des points de contrôles du parcours ».

 

Pas la première tricherie 

 

Cela prendra quelques jours aux responsables du marathon de Boston pour invalider la victoire de Ruiz. Après l’étude de milliers de photos prises le jour de l’événement, de témoignages de spectateurs et de journalistes, ils en vinrent à la conclusion qu’ils avaient couronné une tricheuse. Un témoin se souvenait clairement avoir vu Ruiz quitter la foule pour se joindre aux coureurs au 41e kilomètre sur Kenmore Square! 

 

On demanda à Jacqueline Gareau de revenir à Boston une semaine après la course pour participer à une cérémonie spéciale la désignant comme la réelle gagnante. On confirma du même coup que son chrono était le plus rapide de l’histoire à l’époque pour une femme à Boston. Tout de même, le mal était fait et Ruiz avait gâché le moment de gloire de la Québécoise. 

 

Mais comment Rosie Ruiz s’y était-elle prise pour obtenir un dossard du Marathon de Boston, cette épreuve où les critères de sélections sont élevés? En trichant! 

 

Lorsqu’elle déclare à Kathrine Switzer qu’elle a terminé le Marathon de New York en 2h56 pour obtenir sa qualification pour Boston, Ruiz dit la vérité. Seulement elle a triché pour le faire. Après sa disqualification à Boston, plusieurs journalistes enquêteront sur sa course new-yorkaise et ils découvriront qu’après le départ, elle avait utilisé le métro pour se rendre jusqu’à quelques kilomètres de l’arrivée. 

 

Ruiz a toujours nié avoir triché. Elle n’a jamais voulu rendre sa médaille du Marathon de Boston et dans les rares entrevues qu’elle a accordées jusqu’à sa mort, elle continuera de dire qu’elle avait gagné. Sans grand succès, elle participera à quelques événements de course à pied avant de faire parler d’elle pour des problèmes légaux, étant même condamnée à trois semaines de prison en 1983 pour avoir vendu de la cocaïne. 

 

Un confident de Ruiz avouera qu’elle lui aurait avoué avoir effectivement triché à Boston, mais qu’elle avait rejoint le parcours trop tôt. Elle ne voulait pas gagner, seulement terminer parmi les meilleures. Mauvais timing

 

De nos jours, grâce aux puces électroniques portées par tous les coureurs, un tel scénario serait impossible et les tricheurs rapidement démasqués. N’empêche, il y aura toujours des athlètes ingénieux et prêts à bien des bassesses pour devenir célèbre. 

 

C’est ce que cherchait Rosie Ruiz. L’Histoire se souviendra plutôt d’elle comme d’une tricheuse.