Par Alban Quénoi

Vendredi dernier avait lieu l’édition 2018 de la conférence du comité Ludos, en collaboration avec le comité Sports de l’AECS ainsi que le Club de Sport électronique de l’Université de Montréal. Au programme, trois conférenciers à la caractéristique commune pour le moins atypique : aucun d’entre eux n’était un expert, ni même connaisseur du domaine de l’esport. Cependant, chacun a apporté un éclairage sur leur domaine d’expertise respectif pour le moins pertinent, investiguant des pistes de réflexions intéressantes.

Et si le CIO jouait le jeu?

Après une présentation du sport électronique et ses enjeux en guise d’introduction par Pierre Lamoureux, président du comité Ludos, c’est Alain Lefebvre qui a ouvert le bal. Actuel coordinateur des clubs sportifs à l’UdeM, il fut sportif de haut niveau, entraîneur de l’équipe canadienne de natation, et directeur technique de la Fédération de Natation du Québec. Sa présentation est partie du simple postulat de l’ajout hypothétique du sport électronique comme nouvelle discipline aux Jeux Olympiques. Vaste débat qui a fait couler tant d’encre ces derniers mois, M. Lefebvre ne s’est pas attardé sur la légitimité ou la faisabilité de la chose, mais plutôt sur ses conséquences en terme de structure.

Disséquant les multiples rouages du Comité Olympique Canadien, de Sport Canada, ainsi que les divers programmes de soutien, sa présentation exposait les nombreux aspects de la mise en place d’une nouvelle discipline olympique, quelle qu’elle soit. Financements, administration, programmes de formation des entraîneurs et officiels, plans de développement, c’est tout un écosystème qui se renforce, voire se crée autour de la discipline. Ainsi, la simple organisation d’événements nationaux pour la sélection des futurs représentants canadiens serait une première dans le milieu.

Si les problématiques du choix des jeux, ou même de la pertinence quasi philosophique de la reconnaissance de l’esports en tant que sport ont occupé le coeur des débats ces derniers mois, on s’aperçoit à travers les explications de M. Lefebvre que la décision du CIO aurait une conséquence incroyablement forte sur la scène amateur et “semi-professionnelle” du sport électronique, l’obligeant à se structurer et finançant des programmes inexistants ou presque à ce jour.

Le Québec ne partirait pas de zéro, possédant notamment sa propre Fédération Québécoise de Sport Électronique, ainsi que plusieurs projets “e-sport-études” comme au CEGEP de Matane. Mais certains pays comme la Corée du Sud ou les États-Unis avec ses nombreux programmes de sport-études universitaires partiront clairement avec une longueur d’avance.

On peut également se poser la question de l’effet sur les diverses communautés : un jeu élu comme discipline olympique bénéficierait de financements et de structures sans commune mesure avec l’existant actuel, laissant sur la touche les scènes n’ayant pas reçu l’aval des cinq anneaux. Cependant, il est indéniable qu’un tel scénario forcerait les instances gouvernementales à prendre au sérieux l’encadrement de la pratique, et certainement sa démystification auprès du grand public.

Le sport électronique sous la loupe scientifique

Le deuxième intervenant fut Thierry Karsenti, M.A., M.Ed., Ph.D., professeur à la faculté des sciences de l'Éducation de l’Université de Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) en éducation.

C’est donc une approche académique qu’a exposée M. Karsenti, faisant la synthèse des divers écrits scientifiques sur le sujet,  et présentant les résultats préliminaires de son enquête mise en place en collaboration avec les étudiants du Club de Sport Électronique de l’UdeM. Statistiques de temps d'entraînement, aspects des compétences à perfectionner, mais surtout, un chiffre éloquent sur lequel le chercheur a insisté : selon son étude, 80% des cyber-athlètes interrogés ne considèrent pas le sport électronique comme un véritable sport. Une statistique qui selon lui, devra être redressée pour la défense de la discipline.

Les axes de recherche de M. Karsenti sont prometteurs, avec pour objectif de documenter scientifiquement l’esport et se pencher sur les véritables rouages induits par la pratique du jeu vidéo compétitif, dont l’activité cérébrale est une des plus intenses qui soit.

Le questionnaire de son enquête est d’ailleurs toujours en ligne à cette adresse : http://www.karsenti.ca/esport/

La préparation mentale, transposition immédiate?

La troisième et dernière conférencière était Véronique Richard, titulaire d'un doctorat en psychologie sportive et actuellement en postdoctorat à l’Université de Floride (FSU). Également consultante en préparation mentale avec les sportifs de haut niveau, sa présentation a passé en revue les multiples outils et méthodes de travail pour l’optimisation des performances.

Établissement de programmes d'entraînement, stratégies de motivation et d’objectifs, gestion du stress et des pensées irrationnelles, tout autant d’aspects auxquels les joueurs de haut niveau sont confrontés dans leur pratique. Là encore, aucun parallèle direct avec le sport électronique n’a été tracé par la spécialiste, mais simplement l’exposition de son domaine d’expertise. Un axe de réflexion qui est déjà abordé par les équipes de haut niveau comme Astralis, et qui devrait certainement se développer à l’avenir.

Pour terminer, un débat entre Alain Lefebvre, Patrick Pigeon et Pierre-Mark Lavoie de la FQSE, et Yannick Babin de Mirage Esports aura donné quelques éclaircissements supplémentaires sur de multiples aspects du développement du sport électronique, au Québec comme en général.

Une conférence aux choix d’intervenants et sujets ambitieux, qui aura cependant tenu ses promesses, et ouvert des pistes de réflexion qui n’aura certainement pas laissé indifférent les amateurs de sport électronique.