Alban Quénoi, Montréal

Depuis la grande annonce de la dernière BlizzCon, les détails se sont faits rares concernant l’immense projet esport de Blizzard, certainement le plus ambitieux jamais créé dans le domaine. Et si le train de l’enthousiasme avait démarré sur les chapeaux de roues, il a laissé place à un épais rideau de fumée. Mais entre les rares communiqués officiels livrés au compte-gouttes, et les fuites laissées sans commentaire, la formidable machine promise semble déjà révéler des vices de conception.

OWL : annonce fracassante, puis plus rien à l’Orisa

Blizzard se lance donc dans un format ambitieux pour son dernier titre ayant fracassé les records de ventes. Pour rappel, l’Overwatch League (ou OWL) sera un circuit franchisé, reposant sur des organisations fixes et rattachées à des villes, et dont l’objectif avoué est la stabilité économique des joueurs et des équipes. Partage des revenus, joueurs sous contrat et sélectionnés à travers un “combine” (séries de tests d’aptitude et d’évaluation des joueurs), Blizzard compte clairement aller plus loin que Riot et créer la NFL sauce esport.

Mais même les LCS ne se sont pas faits en un jour : le titre en étant encore à ses balbutiements, le lancement du projet pharaonique est annoncé pour la fin 2017. Un délai clairement nécessaire, mais sonnant comme une éternité sur un secteur où l’évolution se fait à la vitesse d’une Tracer sous stimpack. D’ici là, la scène compétitive d’Overwatch se développe tant bien que mal, mais sous le joug d’une OWL encore lointaine.

Nate Nanzer, directeur esports pour Overwatch chez Blizzard, se veut rassurant à travers sa tournée des médias. Le coup d’envoi est maintenu au troisième trimestre de l’année en cours, et quelques informations sont lâchées, comme la confirmation du déploiement progressif, commençant par une compétition plus compacte, pour ensuite établir un calendrier plus cohérent. Nanzer se défend également en invoquant la charge colossale de travail que représente un tel projet, tant sur le plan légal, qu’au niveau structurel.

Créer une compétition à grande échelle de A à Z devrait tout-à-fait être dans les cordes de Blizzard, étant donné son expérience dans de multiples jeux. La récente Heroes Global Championship n’est d’ailleurs pas si loin du concept de l’OWL, et peut être perçue comme une premier test : c’est en effet la première fois que Blizzard ne s’appuie pas sur des organismes tiers comme la Dreamhack pour un circuit d’élite sur un de ses jeux. Et pourtant, la HGC a semblé démarrer bien plus prestement, même si son envergure est bien entendu très en deçà de l’OWL.

Visibilité nulle au sein du Blizzard

Les habitués de la scène Starcraft II le savent très bien : Blizzard a toujours tâtonné dans ses formats compétitifs. Les WCS ont changé de format à chaque année, parfois au détriment des joueurs, comme avec le fameux region lock. La cage de verre imposée autour des joueurs sud-coréens est en effet souvent pointée du doigt pour expliquer l’écroulement catastrophique de la scène professionnelle coréenne avec l’arrêt de la ProLeague, compétition vieille de plus de 14 ans.

Des hésitations qui se sont d’ores et déjà faites ressentir pour l’OWL : les détails peinants à venir, les spéculations vont bon train. À commencer par le fameux “combine”, souvent interprété comme un draft pouvant démanteler les équipes existantes. Nanzer s’est voulu rassurant, comme dans cette entrevue avec nos confrères de L’Équipe, affirmant que “le chemin serait linéaire vers le professionnalisme”, et que les joueurs désirant rester ensemble le pourront. De son côté, le journaliste Richard Lewis n’a pas le même son de cloche, affirmant que Blizzard a tenté de dissuader les propriétaires d’équipes de contracter des joueurs, sous peine de devoir casser ces mêmes contrats au lancement de l’OWL. Le plan d’affaire concernant le partage des revenus promis n’est pas clair non plus, comme le fait remarquer le journaliste Ferguson Mitchell.

Places à prix d’or, la ligue joue déjà sa D.Va

Dernière note de la cacophonie en cours, le prix d’entrée pour une franchise dans la ligue a défrayé les chroniques esports ces derniers jours. Le site SportsBusiness a révélé qu’une place dans l’OWL coûterait de 2 à 5 millions de dollars, voire monter au triple pour représenter les villes les plus convoitées comme Los Angeles, place centrale du sport électronique aux États-Unis. En comparaison, une place dans les LCS sur League of Legends seraient évaluée à moins de deux millions, pour une scène parfaitement établie et en constante progression depuis six ans.

Overwatch League

Bien entendu, ces tarifs prohibitifs même pour les plus grosses structures esports, s’adressent directement aux grandes franchises de sports étasuniennes. Durant cette fameuse BlizzCon 2016, la compagnie avait d’ailleurs réuni un impressionnant panel de responsables d’équipes, non seulement du milieu esport, mais aussi issus de la NBA et la NFL. Cela fait bien entendu plusieurs mois que de nombreux investissements sont réalisés par les grands noms du sport américain, le dernier exemple en date avec le groupe Delaware North, propriétaire entre autres des Bruins, s’associant avec Splyce. Mais réussir à marier ces deux grandes familles est certainement un défi de taille, et représente ici un quasi redémarrage, plutôt qu’une transition de la scène compétitive sur Overwatch. Et pour que les grandes organisations esports puissent convaincre les Lakers de ce monde, il leur faut déjà être confiant dans le projet de Blizzard…

Car le jeu en est encore à ses balbutiements, son mode spectateur brouillon est pointé du doigt en première ligne. Les chiffres d’audience sont bons, mais encore loin des millions enregistrés sur CSGO ou League of Legends. Et côté compétitions, les effets de l’OWL se font déjà ressentir.

Quand l’Europe Sombra

L’Europe regorge de talents sur Overwatch, c’est d’ailleurs EnvyUs qui avait remporté la première saison de l’OGN APEX, tournoi d’élite en Corée du Sud. Mais l’annonce de l’Overwatch League a eu des effets pervers : celle-ci démarrant en Amérique du Nord, c’est un inexorable exode des talents qui se produit. La plupart des grandes équipes européennes sont pillées à mort, ou se relocalisent, comme Luminosity à Toronto, Rogue lorgnant du côté de Las Vegas, et Misfits rachetés par les Miami Heats.

 

 

En découle donc une frilosité pour les organisateurs d’événements en Europe de se lancer dans Overwatch, ne pouvant attirer de grandes équipes. Le cercle vicieux se referme, avec des organisations ne pouvant compter sur des tournois avec assez de visibilité pour séduire les sponsors. L’Europe d’Overwatch s’assèche, en attendant une OWL qui ne promet rien pour elle avant 2018…