MONTRÉAL – Même à 92 ans, Marv Levy entre la pièce avec une démarche assurée. Droit comme un chêne, le légendaire entraîneur est applaudi par les joueurs et les membres de l’organisation des Alouettes de Montréal qui l’ont invité pour s’adresser à eux.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Alouettes ont bien besoin de ce discours de motivation. Dimanche, face aux Tiger-Cats de Hamilton, le club montréalais pourrait égaler la pire séquence de son histoire en subissant un neuvième revers de suite.

Mais Levy donne le ton rapidement à ce sujet.

« On m’a demandé de vous faire un pep talk, mais ce que tu fais demeurera toujours bien plus important que ce que tu dis ! C’est vrai autant sur le terrain qu’à l’extérieur », a lancé l’Américain qui a permis aux Alouettes de savourer deux conquêtes de la coupe Grey durant ses cinq années à la barre du club (de 1973 à 1977).  

Celui qui est avant tout connu pour avoir mené les Bills de Buffalo à quatre présences d’affilée au Super Bowl a raison d’insister sur les actions plutôt que les paroles. Mais ça n’empêche pas que les joueurs des Alouettes ont été accrochés aux lèvres de ce vétéran de la Deuxième guerre mondiale et ancien étudiant en littérature et histoire.Marv Levy

Durant une allocution et d’une période de questions d’une douzaine de minutes, Levy y est allé plusieurs déclarations significatives.

« Je sais que vous traversez une période difficile, mais c’est dans l’adversité que les plus coriaces ressortent du lot. »

« Ce n’est pas le désir de gagner qui importe, mais le désir de bien se préparer. »

« J’ai été entraîneur pendant si longtemps parce que c’était amusant, vous devez jouer parce que c’est plaisant. Je sais aussi que c’est plus amusant quand on gagne. »

Charismatique, Levy a su faire rire son audience plus d’une fois dont quand un joueur lui a demandé d’identifier la chose la plus difficile de son parcours.  

« Composer avec les journalistes après avoir perdu ! » 

Durant ses quatre décennies comme entraîneur, son passé dans l’armée et son affection pour l’histoire l’ont incité à utiliser des citations du milieu militaire. Vendredi, il a fait référence à celle d’un soldat écossais et celle d’un commandant de la Première guerre mondiale dans l’importante attaque de Belleau Wood (bataille du bois Belleau) en 1918.

À un moment où les conditions devenaient extrêmement pénibles pour les deux clans, ce dirigeant avait lancé.

« Quand ça devient insupportable pour nos adversaires, c’est là que ça commence à être correct pour nous. » Ses hommes l’avaient écouté avec une offensive qui avait été déterminante.

Levy avait servi ce discours à ses joueurs dans le cadre d’une journée de camp d’entraînement sous une chaleur accablante. Quelques mois plus tard, avant la finale d’Association contre les Raiders, l’un de ses joueurs s’était levé pour citer cette phrase avant la partie et les Bills l’avaient emporté 51-3.

Montréal, un chapitre important de sa vie

Bref, à l’écouter parler avec autant d’éloquence et d’aplomb, on pourrait presque croire que Levy serait le candidat idéal pour relancer les Alouettes. Flatté par la blague, il a répondu ainsi.

« Je n’ai que 92 ans. Non, j’ai pris ma retraite du et je leur souhaite que de bonnes choses. En espérant qu’ils puissent renverser la vapeur. » Marv Levy

Il faut dire que Levy demeure un grand nom pour les amateurs de football montréalais même s’il a quitté les Alouettes depuis 40 ans.

« C’est vraiment touchant si c’est bien le cas. Je peux dire que Montréal occupe encore une grande place dans mon cœur aussi. […]Je vais m’assurer que ces années ne soient pas oubliées dans ma biographie », a réagi celui qui avait ensuite accepté le poste d’entraîneur-chef des Chiefs de Kansas City qu’il a dirigés de 1978 à 1982.

Levy a donc revisité le Stade olympique en prévision d’un gala – auxquels assisteront plusieurs de ses anciens joueurs - entourant le 40e anniversaire de la coupe Grey des Alouettes en 1977.

« J’adore revenir à Montréal, le fait que cet anniversaire soit célébré illumine mon regard. On a joué le tout premier match ici au Stade olympique. Je conserve d’excellents souvenirs de mes années à Montréal », a confié le sympathique intervenant.  

Puisque que l’enceinte montréalaise ne disposait pas encore de toit à cette époque, la météo avait fait des ravages pour cette rencontre qui a été surnommée Ice Bowl et qui avait été malgré tout disputée devant près de 69 000 spectateurs.  

« Je m’en souviens, la neige n’a pas encore fini de fondre sur mon manteau d’ailleurs. Je me rappelle aussi de la coupe Grey qu’on avait jouée à Calgary deux ans avant. C’était le match le plus froid auquel j’ai participé. Il faisait plus que -40. Je ne plaisante pas en disant ça, j’ai encore des séquelles des engelures à mes doigts et mes orteils en raison de ce match », a raconté Levy sur cette défaite de 9-8 sur un placement manqué, un scénario qu’il a vécu de nouveau au Super Bowl XXV en janvier 1991.

Avant de tenter l’aventure dans la Ligue canadienne de football, Levy avait été entraîneur au niveau universitaire et adjoint dans la NFL. Il avait donc appris à connaître plusieurs recruteurs qui se déplaçaient pour assister aux camps d’entraînement. L’un de ceux-ci, J.I. Albrecht avait hérité du rôle de directeur général des Alouettes et il avait convoqué Levy en entrevue.

« J’avais aimé le propriétaire et la ville. J’avais décidé d’accepter et ce fut l’un de mes meilleures décisions à vie. »

Son séjour à Montréal a été couronné de succès sur le terrain, mais il retient aussi un autre élément qui l’a marqué positivement.

« La culture francophone, c’est normal avec mon intérêt pour l’histoire. J’ai appris à parler un peu de français. Je me souviens de la culture, de l’architecture, mais j’ai essayé d’oublier les hivers », a-t-il relaté en prononçant « un peu » dans la langue de Molière.

Loin d’être comme les autres entraîneurs, Levy a même publié cinq livres incluant un recueil de poésie.  

Inconfortable avec les gestes choisis pour protester

Bien sûr, en tant qu’ancien militaire, l’opinion de Levy était pertinente sur l’enjeu des protestations dans la NFL durant l’hymne national.

« Je comprends les objections face à la discrimination. Par contre, j’aurais souhaité que ça ne se manifeste pas de cette manière. J’aurais voulu qu’on démontre plus de respect envers le drapeau américain. Je ne me sens pas bien par rapport à ça », a-t-il admis.

Levy regarde encore plusieurs matchs de la NFL et il conserve une affection particulière pour les Bills. Il s’est bien remis de la déception des quatre défaites au Super Bowl avec eux et il est fasciné par bien des choses de la réalité d’aujourd’hui.

« Tout change et évolue dans la vie. À mes débuts à l’université, on avait trois assistants sur une équipe pour aider l’entraîneur. Maintenant, pour certains clubs, on parle d’une vingtaine ! Personnellement, je trouve que c’est trop, mais ce n’est que l’avis d’un vieil homme à la retraite », a conclu l’homme qui demeure pertinent peu importe son âge.