MONTRÉAL – Quand sa mère lui a envoyé la vidéo du policier qui cause la mort de George Floyd, James Wilder fils est allé se réfugier dans son auto pour pleurer loin du regard de ses jeunes enfants. Il savait déjà que le pays s’enflammerait et il a choisi de plonger au cœur des manifestations pour démontrer que c’était possible de protester paisiblement.

« C’était vraiment brutal à regarder! J’en avais les larmes qui coulaient sur mon visage. C’était insultant de voir que ce policier n’était pas arrêté sur-le-champ. On voyait encore que les standards ne sont pas les mêmes pour tout le monde. J’étais simplement démoli par ces images », a raconté Wilder fils, un nouveau membre des Alouettes de Montréal, au RDS.ca. 

Enragé et atterré sur le coup, Wilder fils passe des journées entières à manifester dans les rues de Houston – la ville où George Floyd a grandi – pour rallier des gens à la cause.

« Je savais que ça provoquerait de la violence, que ça deviendrait laid dans les rues. Malgré tout, je ne blâme personne pour les débordements de violence puisqu’on endure ça depuis des siècles. Je ne m’attends pas à ce que les gens le comprennent nécessairement, mais on est tout simplement exaspérés », a-t-il décrit en pesant chacun de ses mots. 

L’accumulation de la brutalité policière, particulièrement envers les Noirs, a provoqué ce brasier qui secoue les États-Unis depuis une semaine. 

 

« C’est horrible de voir des policiers utiliser leur uniforme pour être des bullies. Les policiers sont devenus les pires membres de gang de toute la planète avec leur pouvoir. J’ai le droit de parler de cette façon parce que ma sœur est policière en Floride », a jugé Wilder fils qui a entendu et vu trop d’histoires pour confirmer ses dires.

Quelques semaines plus tôt, un coureur noir avait été abattu sauvagement par deux hommes, dont un ancien policier, en Géorgie. Cette fois, Wilder fils croit que la mort de Floyd deviendra le point tournant nécessaire. 

« C’est le temps de se tenir et de ne pas arrêter notre mouvement après trois jours. On doit poursuivre la pression. La seule raison pour laquelle ils finissent par arrêter ces gens, c’est parce qu’ils ont été filmés et qu’on finit par détruire leurs plans. Sinon, ces criminels se promèneraient encore dans les rues. Pourtant, ce sont des gens qui sont supposés nous protéger. Plus personne ne se sent en sécurité avec les policiers. Désormais, je crains les policiers et je sais que c’est la même chose pour mes amis noirs », a témoigné Wilder fils qui se reposait avant une autre journée de protestation prévue mardi. 

Les pleurs de la tante de Floyd sur son chandail

La semaine dernière, avant le début d’une autre longue journée de manifestation, Wilder fils a repéré une femme, qui pleurait, affaissée sur ses genoux. Il s’est approché d’elle pour lui procurer un minimum de réconfort et c’est là qu’il a appris que c’était la tante de George Floyd. 

« C’était un moment très éprouvant, à briser le cœur. J’ai senti que je devais la relever, tenter de lui remonter le moral du mieux que je pouvais. Je voulais qu’elle conserve sa force et sa dignité. Ça me fait tellement mal de voir ça, je ne peux pas imaginer ma détresse si l’un de mes enfants était tué », a mentionné celui qui sera prochainement père pour la cinquième fois. 

En furie contre la couverture médiatique américaine

Toutefois, ce geste n’a pas défrayé les manchettes et ça représente l’une de ses grandes frustrations. Il tient absolument à dénoncer la couverture médiatique américaine qui ne fait qu’attiser le tout selon lui. 

« Je tenais à manifester pacifiquement sinon les médias américains auraient uniquement dressé un portrait de la violence dans les rues. Ils ne montrent qu’un côté de la médaille pour que les gens se dressent contre les Noirs. Ils ne diffusent que les choses moins édifiantes qui se déroulent dans les rues. Ils ne présentent pas les beaux gestes, les gens de plusieurs nationalités qui manifestent encore dans l’unité. Je parle ici de journées de 12 heures à marcher ensemble dans les rues. Je devais utiliser ma plate-forme pour aider », a dénoncé l’athlète qui est suivi par des dizaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux. 

À ce sujet, il ajoute qu’il a marché paisiblement en tenant le bras d’un homme blanc pendant une journée entière.  

« Il n’a pas pris de photos, ni de vidéos, c’était juste de l’amour et de la compassion envers nous. Quand des gens de toutes les nationalités se joignent à nous, on comprend que c’est un véritable enjeu. Le problème persiste seulement parce que des gens refusent d’admettre que le racisme existe encore », a cerné l’Américain de 28 ans. 

Le mouvement auquel participe Wilder fils a également accueilli des policiers. 

« Mais je ne dis pas que c’est facile comme démarches. Des manifestants violents sont fâchés envers nous parce que des policiers se joignent à nous. Mais il faut comprendre que ce ne sont pas tous les policiers qui sont de mauvaises personnes. Il y a des pommes pourries dans toutes les races. Malheureusement, les médias ne vont pas en parler. Que ce soit CNN, ABC ou FOX,  ils veulent nous faire paraître comme des animaux sauvages », a-t-il déploré. 

Il sait que le travail demeure colossal surtout en voyant les agissements du président Donald Trump.  

« Les médias ne font que montrer des Noirs qui s’en prennent physiquement à des Blancs ou qui font du saccage. Je ne dis même pas mon Président, mais leur Président Donald Trump est allé jusqu’à endosser la violence. C’est le Président des États-Unis, ça fait peur. On en finit par se demander ce qu’on peut faire quand le meneur du pays se comporte ainsi. »

Cette implication citoyenne comporte son lot de risques. Wilder fils a même vu des policiers pointer des armes avec des projectiles de caoutchouc vers eux alors que des enfants étaient à ses côtés. 

« J’ai beaucoup à perdre en tant qu’athlète professionnel, mais si je peux inspirer un seul homme ou une seule femme, mon travail sera accompli. Si tout le monde influence une personne positivement dans cette lutte contre le racisme, les gens vont nous appuyer et voilà ce que je souhaite », a précisé Wilder fils. James Wilder et Chris Ackie

Il rappelle que les protestations pacifiques des athlètes de renom, Colin Kaepernick et LeBron James, n’ont pas eu l’effet escompté. 

« Quel est donc notre choix? On ne peut plus rester assis à ne rien faire. Je n’encourage pas la violence, mais je ne peux pas la blâmer. Bien sûr, je déplore la violence envers les gens, mais les édifices et les commerces vont être reconstruits par les assurances. George Floyd, lui, il ne reviendra pas dans quelques mois. Voilà ce que sa tante me disait l’autre jour », a insisté le porteur de ballon qui a hésité pendant quelques jours avant d’accorder des entrevues alors que d’anciens coéquipiers lui ont suggéré de se tenir loin des médias. 

Son besoin de dénoncer était trop fort. Trop fort quand on pense au passé trouble du policier, Derek Chauvin, qui avait trouvé le moyen de conserver son emploi en dépit d’un lourd dossier disciplinaire. 

« C’est tellement enrageant, on a l’impression que le système n’a pas été à la hauteur et ça explique le décès de George Floyd. S’il avait été puni, une vie aurait été sauvée. Comment peut-on en arriver à un manque de respect envers nous au point que des policiers ne réagissent pas quand un collègue étouffe l’un des nôtres jusqu’à la mort? », a-t-il demandé. 

Heureusement, Wilder fils se sent en sécurité au Canada. 

« Présentement, je ne suis pas capable de dire que j’aime mon pays. Je ne peux pas le faire. Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi de déménager ma famille au Canada. Je n’y suis pas présentement parce que les frontières sont fermées, c’est la seule raison. Je n’ai vécu aucun incident racial à Toronto, la diversité est si présente. Ce n’est pas comme ça aux États-Unis, les Blancs ont encore l’air de croire qu’ils sont supérieurs aux autres, tous les autres. Les Américains peuvent être fâchés de lire ça, mais ils savent que c’est la vérité », a conclu Wilder fils qui s’entraînait à fond avant que des enjeux plus importants changent son quotidien.