Ce serait un sous-entendu que d’affirmer que les Alouettes avaient besoin d’un vent de fraîcheur dans cette saison morose. Force est d’admettre qu’ils l’ont trouvé en la personne d’Antonio Pipkin.

Le jeune quart a obtenu sa deuxième chance et il en soutire le maximum. Il y a un élan de positivisme contagieux, c’est bien évident, avec ces deux victoires consécutives que viennent d’aligner les Montréalais.

Mais l’effet Pipkin, c’est quoi au juste? C’est plus de points pour commencer. Avec le quart de 23 ans aux commandes, l’équipe affiche une récolte moyenne de 22 points par match, alors qu’elle était précédemment de 15 points. Ce serait préférable que ce soit encore plus élevé, mais on parle tout de même d’un touché par rencontre de différence.

Il y a assurément le facteur « espoir » qui est fortement influencé par le brio de Pipkin. On sent que l’organisation au complet, tant l’attaque et la défense que le personnel d’entraîneurs, a été énergisée par ses belles prestations.

Je suis conscient que l’échantillon reste mince, mais on ne peut justement que se baser sur les trois matchs disputés par Pipkin.

Forcément la confiance de tout ce beau monde est également à la hausse. On est même rendus au point où l’entraîneur-chef Mike Sherman opte pour débuter le match à l’offensive lorsqu’il remporte le tirage au sort! Plus tôt dans l’année, le vétéran instructeur ne faisait jamais ça. On en déduit donc que lui aussi devient plus confiant en son attaque.

J’ai effleuré le sujet la semaine dernière, mais je continue de croire que c’est intéressant de voir les meneurs de l’unité défensive vanter les mérites d’Antonio Pipkin. Quand j’entends John Bowman ou Henoc Muamba louanger leur général et son apport aux Alouettes, je ne trouve pas ça anodin. Ce ne sont pas que les joueurs offensifs qui s’aperçoivent de la nouvelle dynamique que son jeu amène.      

Sur le terrain, un des résultats nets qui accompagnent l’arrivée de Pipkin au poste de quart partant est la bataille de la possession du ballon. Depuis deux rencontres, Montréal a eu le ballon 30 minutes face aux Argonauts de Toronto, puis 36 minutes vendredi, face au Rouge et Noir d’Ottawa. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça.

Et comme tout est interrelié, il y a des répercussions tangibles pour la défense aussi, puisqu’elle passe moins de temps sur la surface de jeu. Ça la garde dans de meilleures dispositions physiques, et les chances d’accorder des points à l’adversaire sont amoindries.

Pour mettre le tout en perspective, rappelons qu’avant les duels contre Toronto et Ottawa (22 points alloués, puis 11), les Alouettes accordaient en moyenne 34 points par partie. Il ne reste plus qu’à souhaiter que le beau rendement des deux derniers matchs soit un reflet du travail que cette défense peut effectuer sur une base régulière, tel qu’on s’en attendait durant la saison morte.

Car n’oublions pas qu’avant le début du calendrier régulier, l’analyse des forces du club permettait de conclure que les Oiseaux avaient été bâtis pour que ce soit l’unité défensive qui donne le ton. Que ce soit elle qui permette aux jeunes quarts de l’organisation de prendre leur élan. C’est quelque peu sur le tard, mais c’est ce qui est en train de se produire.

Dans la colonne des intangibles, ce qui caractérise l’effet Pipkin, c’est aussi un changement dans l’état d’esprit de chacun à l’approche des matchs. Aborder une rencontre en ayant la conviction de pouvoir la remporter, c’est bien différent de s’y présenter en espérant la gagner. Ça résume bien ce que je mentionnais au sujet de la confiance et de l’espoir.

Ceux qui me lisent ou m’écoutent régulièrement savent que ce que j’adore du football, c’est qu’il s’agit d’un sport où la stratégie occupe une place prépondérante. Le côté tactique revêt tellement d’importance. C’est un véritable jeu d’échecs.

Sauf qu’au-delà de l’aspect stratégique, il y a des éléments qui sont incalculables, malgré tout l’effort qu’y mettent les entraîneurs dans l’élaboration du plan de match. Je parle ici de la robustesse, le niveau d’émotions, l’intensité, la hargne, et ainsi de suite.

Harris est redescendu de son nuage

C’est la bonne vieille guerre des tranchées. Et vendredi à Ottawa, celle-ci a été complètement dominée par les joueurs des Alouettes. N’ayons pas peur des mots, ils ont été de loin supérieurs à leurs rivaux dans la colonne de l’effort. Physiquement, ils leur ont donné une correction.

Il fallait arriver à déranger le dangereux Trevor Harris, qui était tout feu tout flamme avant d’amorcer ce match. Durant les trois affrontements précédents du Rouge et Noir, Harris avait amassé en moyenne plus de 400 verges aériennes, en plus de compléter 78 % de ses passes. Contre les Als, il a été limité à des gains de 270 verges. Seulement 54 % de ses passes ont trouvé preneur.

Ce ne sont que deux chiffres, mais ceux-ci nous indiquent assez rapidement à quel point les Montréalais ont rendu la vie difficile à Harris.

J’ai bien aimé qu’on dérange le général tôt dans le match, et fréquemment aussi. Je me souviens de sa dernière visite à Montréal (celle durant laquelle Ottawa a totalisé près de 600 verges offensives). Harris avait commencé sur les chapeaux de roue, complétant ses 11 premières passes pour des gains de 125 verges. Il était allé chercher du rythme qu’il avait conservé durant tout le match.

Mais vendredi? Harris a complété quatre passes sur six pour des gains de... 13 verges. Il a été victime de sacs du quart, il a été mis constamment sous pression. On l’a vraiment dérangé, au point où il semblait passer plus de temps, une fois que la remise était faite, à évaluer d’où venait la pression que l’emplacement de ses receveurs.

Et quand ce n’était pas le blitz qui forçait Harris à précipiter ses gestes et à tenter des passes à risque, la tertiaire des Alouettes faisait le travail en effectuant des couvertures serrées sur les cibles du vétéran quart. Ce fut vraiment une belle complémentarité entre le front défensif et le groupe de demis défensifs montréalais.

C’est ce travail à l’unisson qui a fait en sorte que Trevor Harris a affiché un aussi faible pourcentage de réussite. Et la preuve en est que les Als ont rabattu sept passes du quart adverses, et qu’un seul jeu de plus de 30 verges a été alloué.

Les résultats obtenus par le Rouge et Noir parlent aussi d’eux-mêmes; ils n’ont réussi aucun touché en deux visites à l’intérieur de la zone de 20. Si on combine avec le match contre Toronto, c’est un seul touché concédé par les Montréalais en six tentatives.

Une autre facette qui permet d’évaluer le boulot d’une défense est de se pencher sur les changements de possession soudains. Je parle ici de situations où l’attaque commet un revirement. À la suite des deux interceptions dont Pipkin a été victime vendredi, la défense des Alouettes a limité le Rouge et Noir à une maigre récolte trois points.

En fin de demie et fin de match? Encore là, la défense a tenu le fort de brillante façon. Elle a même créé deux revirements au quatrième quart.

Et finalement, en situation de deuxième essai (ce qu’on appelle le « money down » dans le jargon du football canadien), le Rouge et Noir n’a converti que 40 % du temps. C’est excellent, et c’est aussi 16 % de moins que les statistiques des Alouettes lors des 10 matchs précédents.

On continue de découvrir Pipkin

Semaine après semaine, on en apprend un peu plus sur Antonio Pipkin. Pour la première fois en trois matchs, il s’est retrouvé dans des positions plus délicates. Il nous a démontré qu’il pouvait gérer intelligemment ces situations.

C’est bien rare que dans un match de football, tout va pour le mieux du début à la fin. Il y a des hauts et bas, et il faut s’ajuster. C’est l’essence même du sport professionnel. À cet égard, le jeune homme nous a montré qu’il était bâti solidement entre les deux oreilles.

On n’a qu’à penser à son début de match. Sur la première séquence, il décoche une passe incomplète, puis subit un sac. Au retour de l’attaque sur la pelouse? Il complète ses cinq passes pour 58 verges et les Alouettes marquent trois points.

Transportons-nous en fin de première demie. En l’espace de trois séquences offensives, Pipkin et ses coéquipiers totalisent seulement quatre jeux. Le jeune général est notamment victime d’interceptions sur deux passes consécutives, en plus d’encaisser un sac. Disons que ça n’allait pas très bien!

On était tous curieux de voir comment il avait réagir. Eh bien, il est revenu encore plus fort. Il a réalisé de belles passes et fourni d’aussi belles courses, pour aider les Als à reprendre le contrôle du duel et de mener par deux possessions au pointage.

Pipkin a été excellent avec ses jambes, enregistrant 75 verges de gains sur neuf courses, dont plusieurs étaient improvisées. La dernière ne l’était pas cependant, et elle était de toute beauté. Une feinte de remise plus tard, Pipkin gambadait vers un gain de 28 verges pour aider à sceller l’issue du match.

Quatre des courses de Pipkin ont permis d’obtenir des premiers essais. Ce sont des jeux qui permettent à l’attaque de rester sur le terrain et de soutenir les séquences. Bref, sa mobilité continue de donner un sérieux coup de pouce à son attaque.

Bon, c’est vrai, après les deux interceptions, on l’a vu plus réticent à dégainer rapidement. Parmi les cinq sacs qu’il a encaissés, quelques-uns lui étaient attribuables en raison du temps qu’il prenait avec le ballon entre les mains. Clairement, il ne voulait pas commettre une troisième interception. C’était somme toute une sage décision, parce que la défense jouait bien. Il n’y avait pas lieu de forcer le jeu.

Une ligne qui gagne en confiance

Par ailleurs, j’ai trouvé que la ligne offensive a bien fait. D’accord, elle a permis à Ottawa de réaliser cinq sacs – tandis que les Als en ont réussi trois – mais si vous avez regardé l’affrontement, vous aurez vu que Trevor Harris était sous pression bien plus fréquemment qu’Antonio Pipkin ne l’a été. La comptabilisation des sacs, c’est une statistique souvent trompeuse.

Il y a eu de belles protections réalisées par la ligne offensive montréalaise. Sur plusieurs jeux, Pipkin avait beaucoup d’espace devant lui et du temps pour exécuter.

J’ai vu une ligne qui démontre de plus en plus de hargne. On voit que c’est un groupe qui gagne en confiance. Les gars ne se gênent pas pour finir leur bloc et aplatir l’adversaire s’ils en sont capables. On dit souvent à la blague que les joueurs de la ligne offensive sont de « gros nonours ». Eh bien ces gros nonours ont besoin d’afficher de la combativité, et c’est ce qu’on a vu vendredi.

D’ailleurs, une parenthèse pour mentionner que j’ai bien aimé la réaction de Tony Washington au plaqué tardif de Kyries Hebert à l’endroit de B.J. Cunningham sur les lignes de côté. C’est le genre de réaction qui montre que personne n’a l’intention de se montrer intimidé.

Qui plus est, les Alouettes ont présenté une attaque équilibrée. Au sol, ils ont accumulé plus de 150 verges, en partie grâce à la belle production du petit porteur de ballon canadien Ryder Stone. On ne le connaissait pas énormément, et dans les circonstances, la recrue a très bien fait. Il a été productif, a démontré de l’explosivité sur ses courses, et s’est retrouvé aux bons endroits dans la protection du quart.

C’est toujours ce qui m’inquiète pour un demi offensif. Le flair de courir et de trouver des brèches, généralement, chaque porteur de ballon le possède depuis des années. Ce sont les protections de quarts qui m’interpellent plus. Est-il capable de bien cerner le type de blitz et de s’y ajuster?

Stone n’y allait pas toujours des blocs les plus percutants, mais au moins, il ralentissait les ardeurs de ses adversaires. C’est ce que j’ai apprécié. On voit qu’il met les heures de préparation en lisant les livres de jeux.

Le manque de finition... le talent de Bede

Le seul bémol, du côté de l’attaque, demeure le manque de finition. Contre Toronto, les Als se sont rendus quatre fois dans la zone payante et ont inscrit deux touchés. À Ottawa, ce fut quatre visites pour un seul majeur. C’est le genre d’inefficacité qui peut revenir te rattraper.

Mais la bonne nouvelle, c’est que Boris Bede a été solide. Il nous a une fois de plus fait l’étalage de son talent.

Ceux qui suivent les Alouettes depuis assez longtemps savent que le talent n’a jamais été en question chez Bede. C’est plutôt la constance qui fait défaut. Mais vendredi, il a réussi ses quatre tentatives de placement. Il a inscrit 15 des 21 points de son club, en plus d’exceller sur les bottés de dégagement avec une moyenne de 42 verges nettes (après le retour de l’adversaire). Les couvertures de bottés étaient donc aussi excellentes.

La seule chose qui manque réellement relativement aux unités spéciales, ce sont les jeux explosifs en retours. Je comprends que Stefan Logan ne disputait qu’un premier match depuis sa blessure, mais il n’en demeure pas moins que le plus long retour de botté des Als a été de 16 verges durant les sept dernières rencontres. Vendredi, la moyenne a été un maigre 6,5 verges. Il faut générer de meilleurs retours.

Les Alouettes profiteront maintenant d’une semaine de congé, forts d’une séquence de deux gains bien mérités.

Pendant que les joueurs de Mike Sherman se reposeront, les Argonauts et les Tiger-Cats de Hamilton s’affronteront deux fois. Le portrait du classement dans l’Est se sera précisé à ce moment, et je suis convaincu que les entraîneurs des Alouettes surveilleront ces matchs attentivement.

* propos recueillis par Maxime Desroches