MONTRÉAL – En 1996, par manque d’argent, les Alouettes de Montréal devaient parfois simuler les stratégies de leur prochain match dans un stationnement d’hôtel. Heureusement, ces déboires financiers n’ont pas empêché le club de réussir son retour sur le terrain. 

Avec le recul de 25 ans, Danny Maciocia rigole de ce côté folklorique qui a teinté la saison de la renaissance des Oiseaux. 

« Il faut visualiser la scène, il y avait des autos qui arrivaient et qui sortaient... Un moment donné, c’était devenu une blague, on disait qu’un blitz arrivait et c’était une voiture qui s’en venait directement vers Tracy Ham (le quart-arrière) et on se demandait comment on allait bloquer cet adversaire. Malgré tout, on a eu du plaisir et on prenait notre préparation au sérieux. On a été en mesure de gagner 12 matchs », a raconté Maciocia en riant de ces souvenirs inusités. 

« Ça arrivait également que les autobus ne se présentaient pas pour nos déplacements. Disons qu’on était à Hamilton, on devait prendre des taxis, les payer de notre poche et se faire rembourser. J’avais l’impression de revivre le football civil », a ajouté celui qui avait fait des sacrifices familiaux pour accepter ce poste non-rémunéré et qui occupe le rôle de directeur général un quart de siècle plus tard. 

Une chance que les Alouettes étaient en voiture avec des athlètes comme Ham, Mike Pringle, Elfrid Payton et compagnie. Autant qu’il était fascinant sur le terrain en terrorisant les quarts-arrières, Payton était sans doute plus divertissant à l’extérieur de la surface. 

« Oh my God ! Si tu cherchais de l’atmosphère dans l'avion, le vestiaire, à l’hôtel, dans l’autobus, ou le jour du match... Il était tout un personnage et tout un joueur de football. C’était tellement difficile de le bloquer, il a probablement été l’un des meilleurs joueurs de ligne défensive de la LCF. Avec lui, tu ne savais jamais ce qu'il était capable de faire sur le terrain puis je dirais même à l'extérieur du terrain! », a confié Maciocia en souriant. 

« Je me rappelle encore d’un match à McGill, il s'était fait expulser avec Dave Hack, de Hamilton.  Les deux sont partis pour le vestiaire et, je ne sais pas comment, mais Elfrid a été capable de traverser dans le vestiaire des Tiger-Cats pour « parler » à Hack », a-t-il poursuivi.   

Sur la même unité, les Alouettes pouvaient également miser sur l’intimidant Doug Petersen. Son immense biceps droit exposait un tatouage de la Faucheuse qui ne laissait aucun doute sur ses intentions. 

Doug Petersen« C’était un homme très intelligent! Il lisait des livres que j'avais de la misère à comprendre. Il avait un côté intellectuel qu’on ne voyait pas souvent. Mais, quand il embarquait sur le terrain, il était une personne complètement transformée, il devenait un méchant qui, physiquement, voulait te dominer presqu’à n'importe quel prix », a décrit Maciocia. 

La réputation de l’inébranlable athlète canadien avait fait le tour de la planète football. 

« Des joueurs venaient passer deux ou trois jours à Montréal pour qu’on les évalue. Ils connaissaient Petersen et ils voulaient se mesurer à lui pour démontrer à l'équipe comment ils étaient forts physiquement. Ça se finissait souvent avec des coups, mais je ne pense pas qu'il ait perdu une confrontation. Aussitôt qu’il débarquait du terrain, tu voyais un être humain complètement différent que tu ne pouvais pas déceler chez lui », a exposé Maciocia. 

Le collègue David Arsenault, qui suivait les activités de l’équipe pour RDS, se rappelle également du côté gentil de Petersen. Il ajoute plusieurs noms à cette liste tels Jock Climie, Hency Charles, Denis Montana, Michel Lamy, Mathieu Quiviger et Mike Sutherland. Cela dit, il ne peut pas y inclure celui de Pringle. 

« Il n'a jamais été mon préféré. Il n'a jamais été irrespectueux avec moi, mais je le trouvais condescendant et imbu de lui-même. Il semblait faire passer ses intérêts personnels en premier. Il n’était pas généreux dans ses entrevues et il te faisait sentir un peu minable », a avoué Arsenault qui n’a pas été le seul à le percevoir ainsi. 

Annie Larouche, qui chapeautait le groupe de cheerleaders et le volet communautaire, a retenu une anecdote plus amusante au sujet du bulldozer qui portait le numéro 27. Ça se passait lors d’un entraînement ouvert au public durant lequel les partisans pouvaient se promener sur le terrain pour obtenir des autographes, mais Pringle a rapidement attiré la foule. 

« Pauvre Mike ! Il était pris dans le milieu et ça se poussait autour de lui. Il ne savait plus comment réagir, il y avait des crayons partout. Après avoir demandé, sans succès, aux gens de reculer, il a fallu que je parte avec lui. Quelques jours plus tard, pour la présentation officielle des joueurs, Mike a demandé que je sois à ses côtés. Je me suis dit ‘Cool, mais est-ce que je suis en train de devenir la garde du corps de Mike Pringle, celui qui avait le cou gros comme une cuisse ?’ », s’est souvenue Larouche avec plaisir. 

L’époque de la pagette et de la détestable surface de béton 

En tant que directeur du marketing, Mark Weightman a été aspiré dans un autre type de tourbillon, celui de s’assurer que la machine fonctionne pour le retour de cette équipe à Montréal. 

« C'était un sprint de tout organiser pour la saison »

« Je me souviens encore des gros camions 18 roues qui sont arrivés au Stade olympique avec tous les équipements de Baltimore (l'équipe des Stallions avait déménagé à Montréal), il fallait essayer de se retrouver dans tout ça. C'était vraiment un sprint qui a duré quelques mois, on n'a pas dormi beaucoup! [...] Tout le monde mettait l'épaule à la roue. On aidait avec les ventes, la planification d'événements, la production d'équipement, la préparation pour les matchs... », a mentionné Weightman qui a récemment fait le saut avec Lions de Trois-Rivières dans l’ECHL. 

Le déménagement en sol canadien avait provoqué un autre choc. En se déplaçant de Baltimore à Montréal, l’équipe perdait son droit de miser sur une formation entièrement américaine. Les dirigeants ont dû retrancher plusieurs athlètes américains et trouver des ressources canadiennes à la presse. 

« Il y a eu un peu de bisbille en début de saison pour cette raison », a précisé Arsenault. 

Mais le temps filait à toute allure et l’organisation devait compléter le casse-tête avant le déclenchement de la saison.  

« Ne serait-ce que d’installer le terrain. Ça peut sembler banal, mais la dernière fois qu'il y avait eu des matchs au Stade olympique, c'était les matchs de la NFL ou la Ligue mondiale. On avait pris des mesures la veille ou l'avant-veille pour réaliser que, oups, la ligne des buts n’était pas au bon endroit, il manquait quelques pouces », a confié Weightman en faisant penser à une péripétie survenue pour un autre sport au Stade olympique. 

Déjà que le terrain synthétique était d’une minceur ridicule à l’époque, les cheerleaders devaient divertir la foule en travaillant directement sur le plancher de béton. 

« Tout le monde se retrouvait avec des périostites à force de danser sur le béton », a précisé Larouche avec une réponse justifiant pourquoi les acrobaties ont été mises de côté pour privilégier la danse. 

« Ma famille me trouvait folle de rejoindre les Alouettes »

Passionnée, Larouche a même renoncé à une carrière dans le monde juridique pour l’aventure des Alouettes. « J'étais aussi greffière en chambre criminelle au palais de justice de Montréal donc je m'étais achetée une pagette pour pouvoir répondre à mes messages. À cette époque, ceux qui avaient des pagettes, c'était les avocats, les médecins et les vendeurs de drogue », a lancé celle qui a accédé au poste de directrice des opérations de la nouvelle équipe montréalaise de la Ligue canadienne élite de basketball. 

« Ma famille m'avait dit que j’étais complètement folle de vouloir lâcher un emploi au gouvernement pour aller travailler pour une équipe qui a des ennuis financiers », a ajouté Larouche. 

La passion demeure ce qui a sauvé les Alouettes, sur le terrain et à l’extérieur de celui-ci. Arsenault lève son chapeau à ce groupe d’employés dévoués et surtout aux partisans avec le même attachement. 

« Déjà, je voyais des gens qui étaient là chaque semaine et ils me saluaient. Je pense à Anne Maisonneuve et Louise Poulin. Elles occupaient les deux premiers sièges de la demi-lune en haut du club du receveur. Elles viennent encore aux matchs. Il y avait aussi Monsieur Day. Les Alouettes avaient un petit noyau d'irréductibles, des maniaques de la LCF qui n’ont pas abandonné le bateau alors que ç’aurait été facile de dire que ça ne marchera pas, le football canadien à Montréal. Leur contribution financière et leur amour du football a fait en sorte qu’ils ont eu leur mot à dire dans le succès des Alouettes », a conclu Arsenault. 

*Avec la collaboration de Mikaël Filion pour l'idée

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