Avec tous les chambardements chez les Alouettes et les distractions qui en découlent, le fait que le groupe d’instructeurs ne soit pas complet et la présence de nombreux nouveaux joueurs, si on m’avait dit que l’équipe serait à égalité 25-25 avec les Eskimos d’Edmonton avec deux minutes à faire à ce premier match de la saison, permettez-moi de dire que j’aurais eu de la difficulté à le croire.

C’est pourtant ce qui s’est produit vendredi soir pour les Montréalais, qui avaient perdu leurs 10 derniers matchs face aux Eskimos avant d’arriver au Commonwealth Stadium.

Cette égalité tard dans la rencontre devient encore plus invraisemblable lorsqu’on se met à éplucher les statistiques du match. Ça tient vraiment du miracle! Il arrive que certaines choses soient difficiles à expliquer dans un match de football.

Il faut le dire, les Eskimos ont bousillé quelques occasions d’inscrire des points lorsque la défense des Als a provoqué des revirements. La formation albertaine a aussi écopé de plusieurs pénalités qui ont permis au duel d’être plus serré au score. Ce n’est toutefois vraiment pas indicatif de l’allure du match.

Si on se concentre sur les verges gagnées de part et d'autres, disons que c’était assez spectaculaire... et pas pour les bonnes raisons du côté montréalais.

On était plusieurs à avoir hâte de voir comment allait se comporter une tertiaire améliorée. Je crois qu’éventuellement les résultats vont être intéressants, mais ça n’a vraiment pas paru vendredi. Le quart adverse Trevor Harris a engrangé pas moins de 447 verges de gains aériens!

Le gros problème de cette tertiaire n’est pas sa composition, mais plutôt l’absence de pression exercée par la ligne défensive. Tu as beau avoir les meilleurs demis défensifs au monde, si tu alloues au quart adverse le temps et l’espace nécessaires pour décocher ses passes, tu t’exposes à te faire battre.

Harris a tenté 41 passes dans le match. Il n’a pas été victime d’un sac et n’a pas été frappé. On ne lui a pas fait sentir qu’il était sous pression. Et chaque fois que des erreurs majeures étaient commises par un joueur défensif des Alouettes, Harris et ses coéquipiers en profitaient.

Je pense notamment à la séquence menant au premier touché du receveur Kenny Stafford. Il s’agissait là d’une couverture « zéro ». Le front défensif a attaqué la ligne adverse en surnombre. Normalement, le quart est forcé de décocher sa passe rapidement. Mais même en surnombre, la pression ne s’est pas rendue, ce qui a donné le temps à Harris de surveiller ses options et à Stafford de réussir une double feinte qui lui a permis d’être fin seul au centre du terrain. C’est normal, parce que c’est la faiblesse de cette stratégie. Le maraudeur n’est pas là pour épauler les demis défensifs, qui deviennent hyper vulnérables. C’est impératif pour les demis défensifs de couvrir le centre. Ça devient leur responsabilité.

C’est une stratégie avec qui comporte un énorme degré de risque. Si un bloqueur réussit à contenir deux membres du front défensif ou que ceux-ci attaquent le même corridor de pression, le schéma de jeu tombe à l’eau.

Sur le second touché de Stafford, on jouait au chat et à la souris entre le receveur et le demi défensif derrière la ligne d’engagement. On sait que le receveur a droit à un nombre illimité de mouvements avant que le ballon ne quitte la main du centre. Le receveur a donc beau jeu de se déplacer à gauche et à droite de la formation pour identifier le demi défensif en charge de le couvrir. Ça confirme aussi un quart qu’il s’agit d’une couverture homme à homme. Ça l’éclaire pour choisir vers quelle cible il lancera. Et finalement, ça permet au receveur de remporter ce que j’appelle la bataille du levier. Juste avant la remise au quart, il peut feinte de s’en aller du coin opposé de la formation, avant de mettre les freins et de repartir dans l’autre direction. Le demi défensif n’a pas le temps de s’ajuster. Donc avant même de quitter le champ-arrière, le receveur a déjà créé de la distance entre son couvreur et lui.

Dans le cas qui nous occupe, le demi est arrivé en retard pour sa couverture dans le flanc et résultat : le receveur a filé vers la zone des buts.

Bref, les Eskimos ont non seulement bien exécuté, ils ont aussi démontré l’instinct du tueur en faisant payer chèrement les Alouettes pour leurs erreurs.

En défense, les statistiques sont sans équivoque pour la formation dirigée par Khari Jones. On a alloué pas moins de 35 premiers essais à Edmonton. On n’a jamais été capable d’enrayer l’attaque des Eskimos et de casser son rythme. Conséquemment, les locaux ont réussi à amasser 607 verges offensives sur 70 jeux.

Harris a complété 78 % de ses passes à sept receveurs différents, tandis que C.J. Gable a porté le ballon 20 fois pour des gains de 154 gains. Il n’y a pas à dire : c’était le buffet pour les joueurs offensifs des Eskimos! Quand je regarde ça froidement, je me dis que c’est surtout le front défensif qui devra faire bien mieux. Il n’a ni appliqué de la pression sur Harris, ni été capable d’éteindre le menace du jeu au sol. On savait que ce serait un point d’interrogation, et on a la preuve qu’il y a du travail à faire.

Pour mettre les choses en perspective, notons que Trevor Harris a complété plus de passes (32) que les Alouettes n’en ont tenté (27). Ce n’est jamais bon!

Et malgré tout ça, c’était quand même l’égalité 25-25 en fin de quatrième quart. C’est ce qui rend le scénario de ce match un peu fou.

Au football, tu essaies évidemment d’être solide à tout moment. Mais il y a des instants cruciaux dans un match qui comptent plus que d’autres. Je parle ici de la fin de la première demie et de la fin du match.

En fin de deuxième quart, les Eskimos ont orchestré une poussée qui s’est soldée par un touché avec 28 secondes à jouer. En fin de quatrième quart, ils ont monté le terrain de bout en bout pour marquer le majeur victorieux sur une course d’une verge. Ce sont des moments durant lesquels la défense devait être impeccable et elle ne l’a pas été.

Laborieux en attaque aussi

Il n’y a pas qu’en défense où les choses n’ont pas été concluantes. L’attaque menée par Antonio Pipkin n’a pas su générer grand-chose, comme en témoigne son piètre pourcentage de réussite de 46 % en première demie.

C’est un problème non seulement récurrent, mais aussi inquiétant avec les quarts des Alouettes. Ils tournent trop souvent autour de la barre des 50 % de passes complétées, et l’offensive ne prendra pas un réel envol tant que ce chiffre ne grimpera pas avec régularité. Je comprends qu’un beau jeu défensif tel qu’une passe rabattue peut se produire ici et là, mais en général, la précision tu l’as ou tu ne l’as pas. Ce n’est quelque chose qui s’enseigne, et rien ne m’indique que soudainement, dans un éclair de génie, un des quarts de l’équipe va commencer à compléter 70 % de ses passes.

Le jeu au sol n’a pas été à la hauteur lui non plus. En matchs préparatoires, on pouvait se dire que les entraîneurs ne voulaient pas trop dévoiler leurs cartes. Mais ça s’est poursuivi avec une absence inexplicable de courses de la part du demi offensif William Stanback. Des 17 courses tentées par les Als, seulement neuf ont été de la part de Stanback. Oui, il a amassé 76 verges sur celles-ci, mais l’une d’entre elles a compté à elle seule pour 42. Je ne pense pas que les Oiseaux vont gagner plusieurs matchs dans lesquels Stanback ne va courir que neuf fois. Ce gars-là doit faire partie de l’équation.

Je comprends par contre que les défenses adverses ont beau jeu de se concentrer à arrêter l’attaque au sol, sachant que le jeu aérien montréalais peine à se rapprocher du ratio d’une passe sur deux réussie. Tant que ce sera le cas, la stratégie ne sera pas bien compliquée pour les clubs rivaux!

Évidemment, cela dit, les positionnements offerts à l’attaque sur le terrain n’ont pas aidé sa cause. Surtout pour une attaque qui se cherche avec un jeune quart.

Antonio Pipkin est sorti du match sur blessure en ayant complété 41 % de ses tentatives de passes. Avant sa sortie, je l’ai trouvé bien timide. Je comprends qu’il puisse s’être fait dire de protéger le ballon et de jouer intelligemment, mais il a peut-être été trop prudent. Il voulait prendre la seconde de plus pour prendre sa décision, donc il ne dégainait pas.

Et sur le jeu qui a mené à sa blessure, c’était au tour des Eskimos de montrer une couverture « zéro ». Pipkin aurait dû être au fait des signaux que lui envoyait la ligne défensive. Mais il ne s’est pas départi du ballon rapidement lorsque les six joueurs défensifs des Eskimos ont eu raison du bloc à cinq joueurs.

Pipkin aurait dû bouger la pochette. À la limite, il aurait pu courir en direction opposée du joueur défensif qui a le champ libre pour se donner un peu de temps. Dans ce cas, le joueur libre arrivait de la gauche. Logiquement, Pipkin aurait dû s’éloigner vers la droite.  Malheureusement, il n’a pas perçu d’où venait le menace et a simplement reculé, et le tout a mené à une perte de 12 verges en plus de sa blessure.

Comme on l’a vu, cette séquence a mené à l’entrée en scène de Vernon Adams Jr., qui a servi d’étincelle à l’attaque des Alouettes. Ils perdaient à ce moment par 17 points, et c’est le nombre de points qu’ils ont inscrit au quatrième quart pour ramener les compteurs à zéro.

Clairement, Adams a déstabilisé la défense d’Edmonton avec son jeu de pieds, sa mobilité, sa capacité à éviter les sacs, etc. Il a couru et s’est montré dynamique, forçant la défense à jouer sur les talons.

L’envers de la médaille avec Adams, c’est qu’il peut – à l’opposé de Pipkin dans ce match – se montrer trop téméraire et ainsi nuire à son équipe. Il devient parfois trop confiant en ses moyens et se fait prendre à son jeu. C’est ce qui s’est produit sur son interception tardive, et sur un des jeux aériens précédents, qui aurait dû être une interception n’eut été de la belle réaction du receveur DeVier Posey, qui s’est transformé en demi défensif pour faire perdre le ballon au joueur des Eskimos. Il aime vivre dangereusement; c’est dans son ADN.

Mais en même temps, je dois lui adresser des félicitations. Car si ce n’est pas de son agressivité, le pointage n’est pas 25-25 dans les dernières minutes du match.

J’ai parlé des pénalités imposées aux Eskimos, mais les Alouettes ont aussi eu leur part de moments d’indiscipline. Quand une attaque en arrache, c’est difficile de perdre de gros morceaux de terrains en raison de mouchoirs. J’ai noté quatre occasions qui renferment des verges « cachées » qui font mal.

Par exemple, une pénalité d’obstruction sur un retour de botté paraît comme un recul de 10 verges, mais en réalité, ce sont 33 verges gagnées par Stefan Logan qui ont été sorties de l’équation.

Posey a écopé d’une pénalité de cinq verges pour procédure inadmissible. Mais c’est un gain de 35 verges que celle-ci a effacé. L’attaque montréalaise n’est pas aussi dynamique pour compenser ce genre de bévue.

Bede : la constance revient jouer des tours

Boris Bede s’est fait des amis en fin de rencontre en réussissant sous pression un botté de placement égalisateur sur une distance de 52 verges. Le potentiel est immense, on le sait tous. Toutefois, c’est le manque de constance qui agace dans son cas.

Lorsqu’une attaque peine à inscrire des touchés, ça devient absolument crucial de démontrer de la régularité dans les tentatives de placements. En ce sens, la tentative ratée sur 33 verges en fin de deuxième quart a été difficile à avaler. Sans dire que cela a eu un effet démoralisateur sur les Als, force est d’admettre que les Eskimos ont pris un élan à partir de ce moment, inscrivant 16 points de suite.

La réalité est simple pour un botteur au sein d’une équipe qui marque des points au compte-goutte : plus que jamais, les bottés faisables doivent se terminer en récoltes de trois points.

Les Alouettes ont déjà une semaine de congé, la première des trois qui sont allouées aux équipes de la LCF durant le calendrier régulier.

Ce sera l’occasion d’étudier les bandes vidéos, d’appliquer des correctifs, et de combler, souhaitons-le, le personnels d’entraîneurs. On sait qu’on recherche notamment un instructeur des receveurs.

Entre-temps, il n’existe pas de victoire morale dans le sport professionnel. Les Als sont passés près, mais il n’y a qu’au fer à cheval que ça peut être payant d’être près du but!

 On n’exagère pas en disant que les Alouettes ont énormément de pain sur la planche pour arriver à un niveau de performance acceptable. Mais je vous avouerai que c’était plaisant d’analyser un match dans lequel il y avait toujours un enjeu dans le dernier droit. Je nous souhaite d’ailleurs plus de scénarios semblables en 2019 que dans les quatre dernières années.

* propos recueillis par Maxime Desroches