MONTRÉAL – Si le monde du sport a été frappé par la perte de plusieurs grands ambassadeurs au cours des dernières années, il y a, heureusement, certaines légendes qui refusent de mourir comme Marv Levy. 

Âgé de 95 ans, l’entraîneur de renom possède encore une mémoire assez vive pour se replonger dans certains moments de sa prolifique carrière. Certes, Levy a oublié le nom de quelques joueurs et il ne pourrait pas décrire la personnalité de chacun, mais il a conservé de précieux souvenirs de son lointain règne de cinq saisons à la barre des Alouettes de Montréal (de 1973 à 1977).

Il faut dire que ce passage a été marquant dans son parcours puisque ce fut son premier poste d’entraîneur-chef au niveau professionnel. De plus, il a mené les Alouettes à trois présences au match ultime savourant deux championnats. 

Parions que sa mémoire retrouvera même quelques détails quand il visionnera le tout de nouveau. En effet, il est désormais possible de visionner gratuitement, sur le web, les matchs de la coupe Grey de 1970 à 1979. Votre curiosité vous remerciera si vous prenez quelques minutes pour vous y plonger, les images sont fascinantes. 

« On parle de 5 saisons dans ma carrière de 47 années, mais elles sont mémorables. C’était une grande joie d’être à Montréal. J’étudiais en histoire à l’université. Je me souviens d’avoir déménagé de l’Autostade au nouveau Stade olympique en 1976. Je me rappelle des partisans qui le remplissaient avec au-delà de 60 000 spectateurs pour les matchs et de leur merveilleux support », a exprimé Levy.

Avant d’être attiré par cette aventure avec les Alouettes, Levy oeuvrait comme adjoint chez les Redskins de Washington auprès de George Allen qui a été l’une de ses grandes inspirations. Il avait aussi travaillé chez les Rams de Los Angeles et les Eagles de Philadelphie après ses années comme entraîneur-chef dans trois universités différentes.  

« On venait de perdre le Super Bowl (VII) contre les Dolphins (leur année parfaite de 1972) dans les derniers instants du match. Je connaissais le directeur général des Alouettes, J.I. Albrecht, depuis de nombreuses années. Comme recruteur, il venait aux pratiques des Redskins, des Eagles et des Rams. Il m’a approché pour que je fasse l’entrevue, j’étais intrigué par Montréal et le Canada. Je suis allé à l’entrevue et j’ai développé une grande admiration pour le propriétaire Sam Berger. Ils m’ont offert le poste, mais je ne me souviens pas si ça venait avec une augmentation, ce n’était pas important », a raconté Levy en esquissant un sourire. 

Évidemment, Levy savait aussi que ce chemin constituait parfois un tremplin vers des contrats d’envergure dans la NFL. Il a cité l’exemple de Bud Grant qui a dirigé les Vikings du Minnesota après les Blue Bombers de Winnipeg. 

Même quand il était le patron des Bills de Buffalo (de 1986 à 1997), Levy adorait revenir au Canada avec sa femme. Le lien de sa famille avec le Canada remonte d’ailleurs à 1908 alors que son père y a séjourné en arrivant d’Angleterre avant de s’établir aux États-Unis. 

Si Levy a eu le malheur de perdre à ses quatre présences consécutives au Super Bowl avec les Bills dans les années 1990, il a échappé de peu un troisième sacre à la coupe Grey. Une défaite de 9-8, en 1975, en raison d’un placement raté dans la dernière minute de jeu. Plus de 45 ans plus tard, est-ce encore un souvenir douloureux ? 

« Je préfère avant tout me souvenir des bons moments, mais chaque personne aurait aimé vivre des conclusions différentes pour certains événements de sa vie. J’aurais voulu remporter le match de la coupe Grey cinq fois ! », a-t-il réagi. 

« Mais il faisait terriblement froid dans ce match. J’avais des engelures à la mi-temps et le docteur m’a dit que je ne devrais pas retourner sur le terrain pour la deuxième demie. Mais je ne pouvais pas écouter ce conseil, je devais être à mon poste. On perdait 9-7 et on a parcouru le terrain, mais le teneur avait les doigts gelés et il n’a pas pu effectuer sa mission correctement. Je me rappelle de la température pratiquement autant que certains de mes épisodes dans l’armée en vue de la Deuxième Guerre mondiale », a poursuivi Levy. 

Johnny Rodgers autant talentueux qu'égoïste

On ne s’est pas trop attardés sur le fameux Ice Bowl de 1977 étant donné qu’il a souvent abordé ce triomphe de 41-6 des Alouettes. Cela dit, il avait de savoureux commentaires à proposer à l’endroit de Johnny Rodgers, l’un des bons athlètes qu’il a eus sous sa tutelle à Montréal.  

« Johnny, c’est toute une histoire. Il venait de remporter le trophée Heisman et Sam Berger lui a offert un mirobolant contrat, il a offert plus que n’importe quelle équipe NFL pouvait se permettre pour l’attirer à Montréal. Il avait un talent incroyable, mais un dirigeant de Nebraska m’avait appelé pour me dire ‘Tu vas obtenir tout un joueur, mais des maux de tête en même temps’. Il était très égocentrique, il a fait bien des choses qu’il n’aurait pas dû faire », a exposé Levy.  

« On a dû se séparer éventuellement, mais il est devenu un conseiller à Nebraska pour prévenir les jeunes à propos des choses à éviter. Il n’était pas très grand, mais quel athlète ! Il était aussi un gros gars de party, il était sans doute venu aux entraînements dans un piteux état après avoir trop bu la veille », a ajouté l’ancien entraîneur qui était heureux de voir qu’il avait appris de ses erreurs. 

La meilleure saison des Bills depuis son époque

Ça faisait des lunes que les Bills de Buffalo n’avait pas connu une saison aussi fructueuse qu’en 2020 (fiche de 13-3). À vrai dire, il fallait remonter aux années de Levy pour retracer un calendrier de 13 victoires. Difficile de dire si cette renaissance a ajouté une année ou deux à son existence, mais ce fut un réel plaisir pour lui d’admirer le tout. 

Sean McDermott et Marv Levy« Absolument. Je suis resté très près de l’organisation des Bills. J’étais vraiment content de voir ça. Leur nouvel entraîneur Sean McDermott est un diplômé de l’Université William Mary où j’ai été entraîneur et je suis demeuré en contact avec lui. Je continue d’être un partisan des Alouettes et des Bills », a décrit Levy qui ne dénigre jamais le calibre ou les règlements de la LCF.  

Le vénérable homme de football ne peut que se considérer extrêmement privilégié par la vie. Outre quelques années à fumer le cigare, il s’est assuré de prendre soin de sa santé. 

Peut-être qu’il n’aurait rien vécu de cette fabuleuse épopée au football s’il avait eu une meilleure vision. 

« Dès la fin de mon école secondaire, en 1943, je n’avais pas 18 ans et j’ai tenté ma chance pour m’enrôler dans l’armée. J’ai pu y entrer en décembre. Mais j’ai fait un test de vision et je l’ai échoué. Le sergent qui s’en occupait a découvert que je fréquentais sa sœur et il s’est arrangé pour que je puisse être accepté. Quand j’ai été prêt pour aller outre-mer, la guerre s’est terminée. Je suis donc resté sur des bases d’entraînement. Mais la belle histoire militaire dans ma famille, c’est celle mon père qui était dans les forces marines dans la Première Guerre mondiale. Il a été décoré, il s’est battu dans la bataille du bois de Belleau», a conclu Levy qui a connu un parcours inspirant ailleurs.