Dans le contexte actuel des choses, avec deux matchs restants au calendrier des Alouettes, peut-on vraiment s’étonner d’entendre Mike Sherman assurer qu’il a l’intention de revenir dans ses fonctions d’entraîneur-chef en 2019?

Du côté strictement administratif, n’oublions pas que Sherman est sous contrat pour une autre année. Il ne serait pas un bon homme d’affaires s’il affirmait sans ambages qu’il veut s’en aller à la fin de la présente campagne. Son agent ne serait pas fier de lui!

On le comprend donc de dire que son sort est entre les mains de la direction.

Évidemment, les attentes qui étaient fondées en Sherman ne se sont pas matérialisées, loin de là. Sa grande expérience de gagnant dans la NFL et dans les rangs collégiaux américains étaient intrigants au moment de son embauche. Il a connu du succès chez nos voisins du Sud dans les années 2000, mais c’était surtout avec les Packers de Green Bay, transportés à ce moment par le grand Brett Favre. Sans rien lui enlever, disons que c’est infiniment plus facile de connaître du succès avec un des grands de l’histoire de la NFL à sa position…

C’est la nature du football, un sport dans lequel la position de quart-arrière est névralgique. Pensons à Marc Trestman, à qui je voue un grand respect. Ç’a été bien plus ardu à Toronto cette année, alors que Ricky Ray est sur les lignes de côté.

Je pense à un entraîneur qui affirmait, sourire en coin : « C’est drôle, je dirige toujours mieux les bons joueurs que les mauvais joueurs! » Mais il n’en demeure pas moins qu’un entraîneur doit être en mesure de motiver ses troupes et de soutirer le maximum de celles-ci.

Bref, on espérait que la longue feuille de route de Sherman rendrait plus facile son adaptation au défi différent que représente le football canadien. Reconnu pour être un entraîneur particulièrement habile pour faire fonctionner une attaque, il y avait raison de croire qu’en saisissant les subtilités du football de la LCF, il pourrait redresser la barque tout en y ajoutant sa touche personnelle pour concocter des schémas de jeux créatifs.

Mais ce n’est pas du tout ce à quoi nous avons assisté. La transition a été très difficile, et il s’est retrouvé à diriger six quarts-arrières différents et une dizaine de versions de la ligne à l’attaque depuis le camp d’entraînement. S'ajoutent à cela un paquet de blessures, un manque de talent évident et un directeur général qui lui a « fait des jambettes » pratiquement chaque semaine avec des mouvements de personnel qui nous portaient souvent à nous poser des questions. (Ça, c’est du ressort de Kavis Reed et personne d’autre, mais il sera le sujet d’une autre chronique, soyez-en assurés!)

Rajoutons à cette équation le fait qu’il s’en remet à un quart arrivé dans le portait lors de la sixième semaine d’activités, et on se retrouve avec beaucoup de variables qui, on doit l’admettre, sont hors du contrôle de Mike Sherman.

En regardant froidement l’ensemble de ces variables, je suis porté à croire que l’entraîneur de 63 ans mérite une chance de retourner à ses fonctions en 2019.

Cela dit, je suis loin d’affirmer que Sherman est blanc comme neige.

Une des grandes qualités qu’on avait reconnu à Marc Trestman durant ses années à Montréal, c’était sa capacité à faire preuve d’humilité. On l’avait vu accepter dès ses premiers instants chez les Alouettes qu’il devait effacer le disque dur de ses années dans la NFL et faire preuve d’ouverture d’esprit pour savourer la victoire dans une toute nouvelle dynamique.

Ce manque apparent de volonté d’adaptation est ce que je reproche – d’un point de vue extérieur, précisons-le – à Sherman. Je perçois un entêtement à poursuivre avec ses façons de faire, dont le régime militaire qu’il aime imposer à ses joueurs relativement aux séances d’entraînement.

Peut-être lui a-t-on dit, au moment de son embauche, qu’après trois années de misère il était temps que ça change. Qu’une discipline rigoureuse serait la bienvenue. Sauf qu’il me semble que Sherman a manqué de flexibilité à cet égard.

Le camp d’entraînement a été très physique; les journées ont été très longues et bien remplies. Possiblement trop remplies. Une équipe qui vient de rater les éliminatoires trois années de suite mérite peut-être d’être « brassée » pour asseoir son autorité, mais jusqu’à quel point?

Si Sherman est de retour (et ce n’est rien de garanti), il devra à mon avis mieux gérer les entraînements. Il y en a eu beaucoup trop, et celles-ci comportaient trop de répétitions. Je croyais qu’en milieu de saison, il allait s’adapter après qu’il ait été questionné à ce sujet. Mais le régime militaire imposé s’est poursuivi.

S’il y a déjà un manque de talent dans un effectif et qu’en plus, les ressources à ta disposition sont brûlées par le surentraînement, on possède là une recette vouée à l’échec. Si les énergies ne sont pas mieux gérées, les joueurs n’embarqueront pas dans le bateau. Ils veulent un plan qui leur permettra d’offrir le meilleur d’eux-mêmes lors des journées de matchs. Je doute fortement que le régime d’entraînement permet cela.

La stabilité vs l'absence de progression

Au tournoi de golf des Alouettes, on nous avait promis que chaque segment de l’organigramme de l’équipe allait être réévalué de haut en bas, sans exception, à la fin de la saison. On y arrive dans deux semaines, et la progression qu’on souhaitait observer dans les performances de l’équipe n’y est visiblement pas.

Toujours dans l’optique d’un potentiel retour de Sherman, l’attaque devra être analysée de fond en comble. Je fais référence ici au coordonnateur offensif et au responsable de la ligne à l’attaque. Ce sont deux positions qui doivent être revues. Il faudra avoir de sérieuses discussions avec ces deux instructeurs.

Deux entraîneurs sont en charge de la ligne à l’attaque, mais étrangement, ce sont deux Américains... Peut-on présumer que la présence d’un instructeur ayant de l’expérience dans le football canadien serait une plus-value?

Je n’ai pas le choix non plus de proposer de réévaluer la position d’entraîneur des unités spéciales, qui n’offrent pas un rendement acceptable. Mickey Donovan en est à sa première année, j’en suis conscient. Mais c’est peut-être allé trop vite pour ce dernier.

Sur trois coordonnateurs, il y en a donc deux pour lesquels je procèderais à une sérieuse réévaluation. Je sais qu’on parle fréquemment de l’importance de la stabilité, mais dans le cas qui nous occupe, j’entretiens des doutes sur certains adjoints.

Finalement, si Mike Sherman revient en 2019, il devra démontrer selon moi plus d’ouverture à l’endroit de son vestiaire.

J’ai joué dans la LCF dans les années 90. Déjà à l’époque, les équipes dans lesquelles j’ai évolué possédaient ce qu’on appelle un « conseil des vétérans ». L’entraîneur se servait de ce petit groupe de leaders pour prendre le pouls du vestiaire. Les joueurs sont-ils fatigués, démotivés, mécontents face à une certaine situation?

C’est la façon idéale pour Sherman d’ajuster son message, sa manière de mener les entraînements, et ainsi de suite. Et il n’est pas question ici de laisser les joueurs « contrôler » le processus décisionnel. C’est simplement un point de vue additionnel provenant de l’interne que l’entraîneur-chef peut interpréter comme bon lui semble. Je n’ai pas l’impression que Sherman est un apôtre de cette façon de faire.

Je l’ai vécu en 2001 avec Rod Rust. Il était un entraîneur de la vieille école, et il avait décidé qu’il ne voulait rien savoir de connaître le point de vue de ses vétérans. Pourtant, les joueurs n’allaient pas dans son bureau pour se plaindre. Ce n’était que pour rapporter ce qui se passait dans le vestiaire et qui pourrait avoir échappé au personnel d’entraîneurs.

Cela m’amène à dire que si on laisse partir Sherman, il y a fort à parier que Reed n’échappera pas lui non plus au couperet. Parce que si ce qu’on dit est véridique, ce serait lui qui aurait travaillé d’arrache-pied à persuader l’Américain de venir diriger les Alouettes. D’admettre ses erreurs ne semble pas être une force du DG, mais après une année aussi misérable, ce serait la moindre des choses. De laisser Sherman quitter après une saison serait assurément un désaveu envers Reed.

Et si on se tourne vers le passé, on constate qu’à la fin de 2017, on a limogé Jacques Chapdelaine alors que l’équipe montrait un dossier de 3-8 au mois de septembre. Vous me direz que la situation était différente car le courant ne passait pas entre Chapdelaine et son DG. Mais le dénominateur commun aux insuccès de Sherman et Chapdelaine est Kavis Reed. Ça renforce l’argument voulant que Reed et les propriétaires des Als doivent se regarder dans le miroir au lieu d’envoyer leurs entraîneurs à l’abattoir l’un après l’autre.

La tempête Manziel

Selon ce que certains médias rapportaient plus tôt cette semaine, le quart Johnny Manziel serait « détesté » par l’ensemble de ses coéquipiers.

Je me suis retrouvé dans de nombreux vestiaires de football, et ce que je peux vous dire, c’est que je n’ai pas le souvenir d’avoir connu un seul joueur détesté de tous.

Est-ce que certains joueurs sont moins appréciés, moins aimés? C’est fort probable, avec le nombre d’individus qui composent une équipe de football. C’est impossible de bien s’entendre avec tout le monde dans un groupe de 65 ou 70 joueurs.

Ce qui m’importe n’est pas de savoir si Manziel est aimé ou apprécié dans le vestiaire. En fait, je veux savoir s’il est respecté. Le reste, c’est complémentaire.

À la base, a-t-il le respect de ses pairs?

Ce respect, on l’obtient en se préparant adéquatement, en étant irréprochable dans ses habitudes d’entraînement, en arrivant aux réunions d’équipe à l’avance (ce qui démontre du sérieux), et aussi bien sûr en ayant un niveau de performance à la hauteur de ses habiletés.

Et une fois le respect installé, des relations plus solides peuvent se créer, la chimie peut s’installer, et on obtient là quelque chose de plus puissant.

Bref, c’est à se demander si le mot « détester » était trop fort pour décrire la situation entourant Manziel. Je serais porté à croire que c’est le cas, même s’il est aussi possible qu’il soit loin de faire l’unanimité.

Un des éléments à surveiller avec Johnny Manziel sera sa capacité réagir correctement à toute l’attention qui lui est consacrée. Il n’échappera jamais à cette réalité : ses gestes seront toujours scrutés à la loupe. Les caméras seront toujours braquées sur lui, prêtes à capter ses réactions, sa manière d'interagir avec son environnement.

Les médias seront prêts à analyser son langage corporel, à interpréter à tort ou à raison les raisons derrière sa manière de se comporter.

J’espère qu’il en est conscient, et qu’il sait que son statut d’ancien gagnant du trophée Heisman et de choix de premier tour dans la NFL ne vaut absolument rien sans la bonne attitude.

Mais encore là, on extrapole sans connaître les faits. En ne se basant que sur des spéculations.

S’il est vrai qu’il est une énorme distraction pour toute l’organisation, il faudra le laisser partir. Et forcément, son départ représentera un autre œil au beurre noir pour l’état-major des Alouettes.

* propos recueillis par Maxime Desroches