La Ligue n’a pas dérogé à son habitude de fournir une liste des joueurs qui pourraient devenir joueur autonome à compter du 12 février. D’ici à cette date, les différentes formations ont un peu plus de deux mois pour tenter de convaincre certains joueurs de rester dans leurs rangs.

C’est certain que c’est une année qui sort de l’ordinaire alors qu’il y un grand total de 322 joueurs qui pourraient bénéficier de leur autonomie. Si on compare à l’an dernier, ce nombre était de 218. Il faut comprendre que sur la liste actuelle, on y retrouve des noms de joueurs qui ont annoncé leur retraite avant la fin de leur entente. Malgré tout, ce total est fort impressionnant et je n’ai jamais rien vu de tel.

On sait tous que l’un des principaux facteurs qui expliquent cette situation provient des négociations en vue d’une nouvelle convention collective. Pour cette raison, plusieurs formations et joueurs avaient opté pour des contrats d’une seule saison l’an passé afin d’évaluer ce qui allait se produire au cours de cet hiver et d’ici le début des camps d’entraînement.

Ce qu’il y a d’incroyable aussi, c’est qu’en moyenne, chaque équipe retrouve 36 de ses joueurs sur la liste. L’équipe qui est la moins représentée est Saskatchewan avec 21, tandis qu’à l’opposée, celle qui a le plus de joueurs qui se retrouveront sans contrat, c’est Toronto avec 43. De leur côté, les Alouettes ont 31 joueurs sur cette liste, alors que les champions de la Coupe Grey, les Stampeders en ont 41 (Ottawa 34, Colombie-Britannique 36, Edmonton 40, Winnipeg 33 et Hamilton 37).

Non seulement le nombre est impressionnant, mais on ne parle pas uniquement de quantité, mais également de qualité. En jetant un coup d’œil sur cette liste, on réalise qu’il serait facile de se bâtir une ou même des équipes toutes étoiles.

Plusieurs équipes dans le doute pour leur quart

On note assez rapidement le nombre de quarts-arrière de qualité présents sur celle-ci. Des neuf équipes dans la Ligue canadienne, je serais prêt à dire que seulement trois d’entre elles ont leur quart partant sous contrat et bien en selle pour la prochaine saison, soit Montréal, Hamilton et Winnipeg. Je serais prêt à ajouter une quatrième équipe à l’équation si les Argonauts jugent que James Franklin est leur homme pour l’an prochain. Ce qui me fait hésiter, c’est que Toronto doit se dénicher un nouvel entraîneur-chef et rien ne dit que Franklin va figurer dans ses plans. Il y a donc six équipes sur les neufs qui, en théorie, pourraient avoir un visage différent la saison prochaine au poste de quart, même si on s’entend que plusieurs quarts risquent fortement de parapher une entente avec leur formation actuelle.

Du côté du Rouge et Noir, Trevor Harris n’aura pas de contrat ainsi que Dominique Davis. Pour les Roughriders, Zach Collaros et Brandon Bridge seront joueurs autonomes. Que dire des Stampeders alors que Bo Levi Mitchell est aussi dans cette situation. Chez les Eskimos, Mike Reilly et son réserviste Kevin Glenn ont aussi besoin d’une nouvelle entente, alors qu’à B.C. Travis Lulay et Jonathon Jennings doivent aussi renouveler leur contrat.

En ce qui concerne Mitchell, ce dernier a manifesté son intérêt pour la NFL. Je comprends tout à fait ce qui lui traverse la tête, alors qu’il ne veut pas arriver à 40 ans, à la fin de sa carrière, et se demander alors ce qui aurait pu se passer si... Il ne veut pas avoir de regrets. C’est un gars du Texas qui a joué son football universitaire aux États-Unis, donc pour lui, la NFL a toujours représenté le but ultime. Il se dit sans doute qu’avec l’expérience qu’il vient d’engranger dans la Ligue canadienne, c’est le bon moment pour tenter sa chance.

Je dis que je comprends parfaitement son désir, car je suis moi-même passé par ce processus. J’ai tenté ma chance à deux occasions dans la NFL au fil de ma carrière. La première fois, c’était en sortant des rangs universitaires en 1988 alors que j’ai tenté le coup avec les Patriots. Vous comprendrez que j’étais alors une verte recrue et que la marche était haute entre l’Université Western et la NFL. Par contre j’ai beaucoup appris de cette expérience. J’ai ensuite passé les cinq saisons suivantes dans la Ligue canadienne avant de me dire que je pouvais une fois de plus tenter ma chance au sud de la frontière. Je suis allé avec Detroit cette fois en 1993. Même si au final l’expérience n’a pas été concluante, je n’ai aucun regret et j’ai retiré beaucoup de positif de ces passages avec des équipes de la NFL. J’ai grandi en tant que joueur, en tant que personne, je suis devenu un meilleur joueur pour la suite de ma carrière au Canada et, par-dessus tout, j’en ai eu le cœur net.

Je peux donc figurer ce qui traverse la tête de Mitchell. Il demeure par contre que c’est tout un défi, car lorsqu’on regarde les quarts qui ont réussi à faire la transition, on parle alors de Warren Moon, Doug Flutie et Jeff Garcia. L’échantillon est bien mince des joueurs qui sont non seulement parvenus à faire le saut, mais qui ont réussi à s’établir et à avoir du temps de jeu de qualité.

Si on regarde en contrepartie l’actuel entraîneur-chef des Stampeders, Dave Dickenson, Ricky Ray ou Casey Printers, on prend conscience que dans leur cas, ça n’a pas été concluant. Même chose pour Anthony Calvillo qui avait eu un essai avec les Steelers de Pittsburgh, mais dans son cas aussi il était revenu dans la Ligue canadienne.

Ce n’est pas parce qu’un joueur connaît beaucoup de succès dans la LCF qu’il sera en mesure de faire de même dans la NFL et l’inverse est tout aussi vrai. Ce sont deux ligues complètement différentes. Je souhaite par contre le meilleur à Bo Levi Mitchell, simplement pour qu’il ait la tête tranquille. S’il réussit en plus, il deviendra un excellent ambassadeur pour la Ligue canadienne. C’est certain que c’est dommage de voir des joueurs vedettes quitter, mais au final, ça ne peut qu’être bon pour le circuit canadien. Tout le monde y gagne dans cette situation si Mitchell parvient à percer dans la NFL, sauf peut-être les Stampeders.

Des étoiles autonomes à toutes les positions

Il n’y a pas que le dossier des quarts-arrière qui a accroché mon regard avec la liste des potentiels joueurs autonomes. Lorsque je vous mentionnais un peu plus tôt qu’il était possible de se construire des équipes talentueuses uniquement en pigeant dans cette liste, c’est véritablement le cas. Lorsqu’on regarde les formations étoiles pour chacune des associations, on arrive à un total de 54 joueurs. De ce nombre, 34 figurent sur la liste publiée vendredi par la Ligue canadienne.

On vient de faire le tour des quarts-arrière, mais si quelqu’un se cherche un porteur de ballon, il peut opter pour celui du Rouge et Noir à la dernière Coupe Grey, William Powell. Au poste de receveur, Duke Williams et Derel Walker des Eskimos sont sur la liste. Le récipiendaire du trophée pour le meilleur joueur de ligne à l’attaque au cours des deux dernières saisons, Stanley Bryant, est aussi disponible.

Sur la ligne défensive, l’excellent ailier défensif des Roughriders de la Saskatchewan Willie Jefferson est présent sur la liste. Chez les secondeurs, le choix est tout aussi alléchant avec ni plus ni moins que le meilleur joueur défensif au cours de la dernière saison Adam Bighill. Chez les maraudeurs, Taylor Loffler des Bombers qui est sur l’équipe étoile depuis trois saisons voit aussi son entente arriver à échéance. Le meilleur demi de coin de la Ligue canadienne, Delvin Breaux est dans la même situation et pour compléter le portrait on pourrait se tourner vers le demi défensif Derico Murray du Rouge et Noir.

On pourrait poursuivre l’exercice encore longtemps, mais c’est pour illustrer à quel point le buffet offre actuellement autant de la quantité que de la qualité.

Je suis conscient que plusieurs de ses joueurs vont s’entendre avec leur formation actuelle, mais il n’en demeure pas moins que si une équipe voulait jouer stratégique et croit qu’il ne lui manque que quelques pièces afin d’accéder aux grands honneurs, elle pourrait placer ses pions en conséquence.

Des priorités pour les Alouettes

Si on se penche un peu plus sur la situation qui attend les Alouettes, j’ai ciblé une dizaine de joueurs sur les 31 qui, je crois, doivent être de retour la saison prochaine.

Sur la ligne à l’attaque, j’ai noté les noms de Kristian Matte, Tony Washington et Philippe Gagnon. Au poste de receveurs, je chercherais à signer Eugene Lewis et B.J. Cunningham. Il y a aussi de bons Canadiens qui amènent de la profondeur de qualité tout en évoluant sur les unités spéciales et qui s’impliquent dans la communauté. Parmi ceux-ci, j’ai identifié Nicolas Boulay, Jesse Joseph, Jean-Samuel Blanc et Martin Bédard que l’on associe en tant que soldats.

Sur le plan défensif, Tevaughn Campbell me paraît une priorité comme demi de coin canadien. C’est un partant de qualité qui a une influence sur le ratio. Je n’argumenterais pas avec John Bowman. S’il veut revenir, la décision lui appartiendrait, car il vient une fois de plus de connaître une bonne saison. C’est évident qu’il lui en reste de moins en moins dans le réservoir, mais il peut sans doute aider l’équipe s’il le désire.

Je ne dis pas qu’il n’y aura pas d’autres joueurs qui seront mis sous contrat, mais rien ne presse en ce qui les concerne. Ceux que je viens de cibler, ce serait avantageux de les avoir sous contrat avant le 12 février afin d’éviter la surenchère alors que les autres formations du circuit pourront entrer dans la danse et dans le jeu de séduction.

La tâche revient donc aux Alouettes de convaincre ces joueurs de rester dans le nid. Même si certaines organisations peuvent avoir de meilleures installations ou avoir des avantages sur certains aspects, c’est à l’équipe de trouver une façon de garder ses joueurs talentueux au bercail et c’est pourquoi il est si important pour une équipe dans la Ligue canadienne de créer et entretenir un sentiment d’appartenance avec ses joueurs.

Les motivations des joueurs

Certaines formations ont déjà été actives sur le plan des signatures alors que je pense au Rouge et Noir qui s’est entendu avec Antoine Pruneau et Jean-Christophhe Beaulieu. Même si on ne sait pas ce qui va se produire avec la convention collective et quel sera l’enjeu avec le plafond salarial, les deux parties sont parvenues à s’entendre. Ce que je retiens, c’est que ses deux joueurs se sentent bien à Ottawa.

C’est également à mon avis le premier point qu’évalue un joueur qui atteint l’autonomie. Il se demande s’il se sent bien dans l’environnement et avec l’organisation. Il faut comprendre que personne ne fait des millions dans la LCF, donc c’est encore plus important qu’un joueur se sente bien où il évolue. Très certainement que Pruneau et Beaulieu se sont chacun demandé : « est-ce que je veux être un Rouge et Noir? », et la réponse a été positive.

Une fois cette étape franchie, tu te questionnes sur le rôle que tu pourrais avoir au sein de l’organisation. Ensuite, il faut prendre en compte les installations de l’équipe qui sont disponibles aux joueurs, la qualité de l’organisation et par la suite évidemment, on regarde le salaire. On ne pourrait plus dire ça aujourd’hui alors que les Riders sont devenus l’une des belles organisations à travers le circuit avec de superbes installations, mais on lançait à la blague lorsque je jouais si quelqu’un voulait vraiment aller jouer en Saskatchewan pour 10 000 $ supplémentaire. L’équipe a fait beaucoup de chemin depuis, car c’est maintenant la crème de la crème.

Il est évident que les joueurs veulent un salaire décent et qui répond à leur talent, mais ce n’est pas la priorité dans la Ligue canadienne comme je vous l’ai illustré.

Parfois, un joueur autonome peut aussi baser sa réflexion sur son souhait de se rapprocher de son patelin. Par exemple un joueur qui a grandi dans l’Est, mais qui a passé tout son football professionnel dans l’ouest du pays pourrait vouloir rentrer au bercail. À d’autres moments, un joueur qui a gagné la Coupe Grey peut avoir la même réflexion et vouloir se rapprocher de sa famille. L’inverse est tout aussi vrai, alors qu’un joueur peut espérer soulever le trophée à la fin de la saison et il doit alors choisir une équipe qui peut aspirer aux grands honneurs.

Je vais donc dire bravo au Rouge et Noir dans les signatures de Pruneau et Beaulieu, car on parle de deux bons vétérans, deux Canadiens, deux partants qui peuvent aussi t’en donner sur les unités spéciales et ils sont de bons ambassadeurs pour la communauté.

Il faudra voir si la convention tarde à se régler ce qu’il va advenir de tous ces joueurs sur la liste. Imaginez si les agents disent aux joueurs d’attendre avant de signer et que les négociations ne sont réglées qu’au mois de mai, il pourrait y avoir encore 200 joueurs sans contrat ce qui serait très difficile à gérer et ça donnerait une situation tout simplement rocambolesque avant le début de la saison.

J’espère que les deux camps à la table des négociations pourront donc s’entendre sur une convention qui sera bonne pour les deux parties. Je sais que des joueurs ont certaines exigences, mais il faut aussi être conscient que la Ligue ne roule pas sur l’or. Toutes leurs demandes ne pourront sûrement pas être comblées.

Le commissaire Randy Ambrosie est un ancien joueur et il peut donc se mettre dans le soulier des joueurs et comprendre les deux réalités. J’entrevois donc les négociations avec optimisme pour cette raison et je souhaite qu’ils puissent trouver un terrain d’entente rapidement afin que la Ligue canadienne prospère.

*Propos recueillis par Maxime Tousignant