Pour une deuxième année consécutive, quel match enlevant nous ont servi les équipes finalistes de la Coupe Grey, dimanche!

On répète souvent dans le sport que ce n’est pas la manière dont tu débutes un match qui compte le plus, mais la manière dont tu le termines.

Quiconque a suivi la saison des Argonauts de Toronto sait que ce dicton leur convient parfaitement. On parle ici d’un groupe de joueurs qui montrait un dossier de 4-7 à la Fête du travail. À partir de ce moment, il s’est ressaisi et complété le calendrier avec cinq victoires et deux défaites, en plus – évidemment – de remporter tous leurs matchs éliminatoires.

Le match que les Argos ont disputé face aux Stampeders de Calgary est un microcosme de leur saison : après une première mi-temps ardue à la conclusion de laquelle ils tiraient de l’arrière 17-8, ils ont joué de l’excellent football en deuxième moitié pour finalement dominer 19-7 au score et triompher par la marque de 27-24.

C’est l’exemple parfait d’une équipe ayant progressé tout au long de la saison. Le fait que Marc Trestman ait été embauché en février y est pour beaucoup. Il a dû s’entourer d’une équipe d’entraîneurs et de coordonateurs, puis enseigner ses systèmes (surtout en défense et sur les unités spéciales). Éventuellement, cette équipe a pris son rythme. L’élan positif avec lequel il est entré en éliminatoires l’a propulsé vers les plus hauts sommets.

À l’opposé, Calgary affichait un dossier de 8-1-1 avant le 1er septembre. À partir de ce moment, les hommes de Dave Dickinson ont gagné cinq matchs et en ont perdu trois. Ce n’est pas mauvais, car ça leur a permis de terminer avec la meilleure fiche de la LCF, mais on ne peut pas affirmer que les Stamps ont entamé dans le calendrier d’après-saison avec le vent dans les voiles.

Mitchell a flanché au pire moment

On peut pousser l’analogie de « partir lentement, finir en force » et vice versa à la performance livrée par les deux quarts-arrières en présence dimanche, soit Ricky Ray et Bo Levi Mitchell.

Le quart des Stamps a cumulé des gains de 373 verges et connu, globalement, une excellente sortie. Mais sur le jeu le plus important du match, il a été victime d’une interception qui confirmait la victoire torontoise.

Pendant ce temps, Ray connaissait un début de rencontre très ordinaire. À la mi-temps, le vétéran avait engrangé 128 verges de gains aériens, mais 100 d’entre elles avaient été obtenues sur un seul et même jeu, le long touché de DeVier Posey. Il a terminé avec une récolte de 297 verges, mais lorsque ça comptait, sur la dernière séquence offensive des Argos, il a décoché ses meilleures passes, dont deux absolument cruciales sur deuxième essai, mettant la table à ce qui allait s’avérer être le botté de placement de la victoire.

Ricky RayLa résilience dont ont fait preuve les Argonauts doit donc être saluée. Dans les entrevues d’après-match, on a entendu des joueurs affirmer que Trestman avait lancé comme message que tout était possible advenant qu’ils réussissaient à être encore au plus fort de la course au quatrième quart. Il était confiant d’avoir un excellent vestiaire entre les mains et des joueurs qui n’abandonnent pas.

Les entraîneurs ont l’habitude de dire que le match peut facilement bousculer d’un côté comme de l’autre en analysant l’issue de quatre à six jeux décisifs.

Dans la finale de la 105e Coupe Grey, il ne faut même pas fouiller aussi loin; deux jeux suffisent à expliquer la victoire des Argonauts!

Le touché de Posey est le premier puisque Toronto n’allait nulle part à ce moment. L’attaque faisait du surplace avant que Ray ne repère son receveur près des lignes de côté, sur un deuxième essai, et ce profondément en territoire des Argos. Si ce jeu résulte en une passe incomplète, peut-être les représentants de l’Est concèdent-ils un touché de sûreté, peut-être optent-ils pour un dégagement qui confère aux Stamps une excellente position sur le terrain. Bref, on aurait très bien pu les voir ajouter des points au tableau et rehausser le niveau d’inquiétude dans le camp des Argos.

Mais de manière spectaculaire, ils se sont extirpés de cette situation précaire de brillante façon en inscrivant six points. Ce jeu était énorme, surtout que le receveur avait perdu pied avant de chuter, de se relever et de faire l’attrapé par la suite. Tant la passe de Ray que l’ajustement de Posey étaient superbes.

Deuxièmement, l’échappé de Kamar Jorden au quatrième quart a complètement changé la dynamique. Et c’est là pratiquement un sous-entendu!

Pour mettre le tout en perspective, rappelons-nous que les Stamps menaçaient à la ligne de 10, avec un peu moins de cinq minutes à écouler et une priorité de 24-16. Au minimum, une récolte de trois points semblait se profiler à l’horizon. Et qu’en a-t-on récolté? Simplement le pire scénario envisageable pour Calgary : un revirement menant à un touché de l’équipe rivale, puis un converti de deux points réussi pour atteindre l’égalité parfaite de 24-24.

Je ne veux pas faire de comparaison boiteuse, mais j’avoue avoir eu une pensée pour ce que les Falcons d’Atlanta ont fait il y a moins d’un an, lors du Super Bowl face aux Patriots de la Nouvelle-Angleterre. Ils avaient tenté de passer le coup d’assommoir (et cafouillé en prenant des risques) au lieu d’opter pour la sagesse et de faire du duel un match de deux possessions. Une sélection de jeux plus appropriée aurait probablement mené à une fin de rencontre bien différente.

Les Stamps ont donc commis ce genre de revirement qui vous scie les jambes. On peut parler d’une différence de 11 points (ou même de 15 avec un touché de Calgary). Le pointage aurait potentiellement pu être de 27-16 ou de 31-16 pour les représentants de l’Ouest n’eut été de la gaffe de Jorden. J’ai rarement vu le momentum basculer de manière aussi frappante en l’espace d’un clignement dans des yeux dans une confrontation d’une telle importance.

Je comprends que personne ne fait exprès pour échapper le ballon, mais il faut néanmoins être conscient de la situation. Il ne fallait pas forcer le jeu, et pourtant, c’est ce que Kamar Jorden a cherché à faire en tentant de transformer une perte de deux verges en un gain d’une verge.

Quand on y pense, il a tout mis en œuvre pour étirer le jeu alors qu’il devait se montrer prudent. Il était entouré de trois Argos prêts à effectuer le plaqué, ayant flairé le jeu choisi par les Stamps. Il s’est démené comme un diable dans l’eau bénite sans que la récompense potentielle soit bien élevée. Ses instincts ont pris le dessus, j’en conviens, mais l’importance de ce moment aurait exigé une meilleure compréhension de la situation de sa part.

Des Stamps trop gourmands?

À 24-24, on était plusieurs à se dire que l’équipe qui toucherait au ballon en dernier allait soulever le précieux trophée. Ray a fait le travail, et Mitchell avait la chance de l’imiter ou de faire mieux dans les tous derniers instants, sans succès.

Le jeu aérien de 37 verges obtenu juste avant l’interception fatale a eu pour effet de rendre les Stampeders gourmands. À ce moment, on ne voulait plus se contenter d’amener le match en prolongation avec un placement, mais plutôt l’emporter dans les dernières secondes du temps réglementaire.

Le receveur de Mitchell s’était démarqué, mais la passe n’était carrément pas à la hauteur. Elle n’était pas du bon côté du terrain et manquait de force. Sur un deuxième essai et quatre verges à franchir avec 20 secondes à écouler… Pas besoin de vous dire qu’il y avait d’autres options s’offrant aux Stamps. Une petite passe pour s’assurer un premier jeu aurait laissé assez de temps pour réévaluer la suite des choses.

Donnons le mérite au demi de coin Matt Black d’avoir habilement capté le ballon pour anéantir les espoirs de Calgary. On parle ici du même Matt Black que les Argos avaient libéré plus tôt durant la saison, ayant décidé de faire confiance à des jeunes. Les blessures ont eu pour conséquence que le vétéran s’est vu offrir une seconde chance, et voilà qu’il est un héros du triomphe torontois.

Une petite note par rapport aux conditions enneigées dans lesquelles s’est disputé le match. Ça m’a drôlement rappelé la finale de 1996, que j’ai remportée avec ces mêmes Argos. Le froid et le vent n’ont pas embêté les joueurs hier, de sorte que le défi principal était l’adhérence au terrain.

Ça m’amène à féliciter le directeur de l’équipement des Argos, Danny Webb, qui a effectué du travail colossal, tout comme il l’avait fait il y a une vingtaine d’années. Il travaille dans l’ombre, mais c’est ce gars-là qui fournit à ses joueurs le type de souliers qui leur permettra de garder leur équilibre. Ce sont des souliers parfaits pour ce genre de conditions. Ils ne sont certainement pas les plus stylisés – ils ressemblent à un mélange entre des crampons de football et des souliers de ballon-balai! – mais lorsque tu es prêt à tout mettre en œuvre pour l’emporter, ça n’y change rien.

En 1996, on avait souligné son apport en affirmant qu’il avait été le héros obscur. Et c’est drôle mais j’ai entendu S.J. affirmer après le match que l’ajustement le plus important effectué entre les deux demies avait été que 85 % des joueurs avaient accepté de changer de souliers. Après avoir glissé dans la neige plus qu’à leur tour en première demie, plusieurs joueurs ont fait leur mea culpa et accepté ce que leur proposait Webb.

Et comment compléter cette chronique sans y aller de félicitations à l’endroit du groupe d’anciens Alouettes? Je lève mon chapeau à Marc Trestman, qui a conduit vers le titre son club à sa toute première année. Il en fait une habitude car rappelons-nous qu’à sa première saison à Montréal, son équipe avait abouti en finale de cette Coupe Grey. Jim Popp n’est plus étranger aux succès dans la LCF et il mérite des félicitations d’avoir bâti un club gagnant. Finalement, S.J. Green et Bear Woods ont dû eux aussi vivre de grandes émotions.

Le premier est à nouveau champion alors qu’on exprimait des doutes sur sa capacité à redevenir le receveur qu’il a déjà été à la suite d’une opération à un genou. Le second goûte à un premier titre dans le football canadien après plusieurs saisons à faire partie de l’élite des joueurs défensifs dans la LCF.

Ça conclut de superbe façon des éliminatoires qui se sont avérées très excitantes!

* propos recueillis par Maxime Desroches