Il faut avoir assisté à un événement sportif en sol américain pour saisir à quel point l’interprétation de l’hymne national, le Star-Spangled Banner, est un rituel hyper important pour ses citoyens.

On peut pratiquement entendre une mouche voler dans le stade. Aux États-Unis, ces quelques minutes sont l’expression de sa fibre patriotique et une façon de témoigner son appréciation à ceux qui ont permis de faire de leur nation ce qu’elle est.

C’était donc particulier, dimanche à Los Angeles, d’entendre une rumeur parcourir la foule pendant que l’hymne était récité. Des cris de mécontentement remplaçaient le silence habituel qui l’accompagne.

Le délicat sujet que représentent les tensions sociales ne date pas d’hier chez nos voisins du Sud, et les démonstrations d’insatisfaction envers le traitement réservé aux Afro-Américains dans la société non plus.

La NFL s’est retrouvée au centre de ce débat l’année dernière alors qu’une poignée de joueurs – dont le quart-arrière Colin Kaepernick – ont choisi de s’agenouiller durant l’hymne en guise de protestation devant les oppressions raciales systémiques dans son pays.

Sans dire que la manifestation pacifique de ces joueurs avait arrêté de faire des vagues, elle a pris une toute nouvelle dimension lorsque le président Donald Trump a récemment critiqué ces agissements et sommé les propriétaires des équipes de renvoyer chez eux les joueurs qui participent à ce qu’il qualifie de « manque de respect au drapeau américain ». Le débat a ainsi été ravivé et amené à un tout autre niveau.

La question qui revient souvent dans le vestiaire des Chiefs, au-delà des allégeances politiques de chacun est : « Est-ce que c’était vraiment nécessaire et pertinent comme intervention? »

Comme le président Trump devait s’en douter, ses propos ont jeté de l’huile sur le feu, et c’est devenu un signe de défiance et de solidarité des joueurs, des entraîneurs et même des propriétaires que de s’agenouiller côte-à-côte dans les quelques instants précédant le botté d’envoi.

Les Américains se font un immense point d’honneur de retirer chapeaux et casquettes et de poser la main au cœur pendant leur hymne. C’est quelque chose qui m’a frappé à mon arrivée à Kansas City, en 2014. La culture de faire honneur au drapeau est extrêmement forte et répandue. Pour beaucoup de joueurs dont les parents ont œuvré dans une ou l’autre des branches de l’armée, c’est carrément un déshonneur de ne pas saluer le drapeau en guise de reconnaissance pour ceux qui sont allés au front.

Différent d’un club à l’autre

Chaque équipe a abordé cette problématique à sa manière. J’imagine que dans certaines formations, la démocratie a parlé et que c’est ainsi qu’elles en sont venues à faire une démonstration de groupe. Chez les Chiefs, le modus operandi était plutôt de laisser à chacun la possibilité de faire comme bon lui semble, conformément à ses convictions. Je crois que c’est bien, car chacun a droit à son opinion.

Les CowboysPersonnellement, je n’ai pas déposé le genou au sol. Et ce n’est pas parce que je n’appuie pas mes coéquipiers dans leur démarche. En vérité, j’admire leur courage de tenir tête aux propos de Donald Trump. Mais en tant que Canadien demeurant aux États-Unis comme « invité », le message que ça enverrait pourrait être mal interprété. Je choisis donc le rôle d’observateur pour respecter les deux positions prises par mes coéquipiers, tant qu’une action concertée au sein de l’équipe n'aura pas été adoptée.

Je ne crois pas posséder tous les outils pour comprendre les particularités de ce débat. D’abord, je suis Canadien, mais surtout je suis blanc. Ce n’est pas ma place d’expliquer cette conjoncture, je ne peux que relater ce que je vois et être à l’écoute. Une chose m’apparaît claire cependant : ce débat ne doit pas être déplacé pour pointer du doigt des individus qui s’agenouillent. On doit tous ensemble se concentrer sur les raisons de ce tumulte médiatique.

Nous sommes conscients que la tribune médiatique dont nous disposons en tant que joueurs de la NFL est colossale.

On entend plusieurs observateurs clamer que nous aurions intérêt à nous consacrer sur le football.

Que ce n’est pas notre rôle.

Pour ma part, je dis qu’au contraire, nous devons nous servir de cette vitrine.

Évidemment, tout ça doit cependant être fait en gardant bien en tête que le but premier est de jouer au football et de remporter des parties. Il faut savoir tracer la limite pour que ça ne prenne pas trop de place par rapport au reste.

Mais dans un sport dans lequel plus de 50 % des athlètes sont d’origine afro-américaine, il est parfaitement légitime et pertinent que des joueurs prennent la parole, posent des gestes et soulèvent des fléaux de société qu’ils croient nocifs pour le vivre-ensemble.

Ça dépasse la simple pratique de notre sport. C’est même un pan complet de l’aspect socio-économique américain qui est à l’enjeu.

Et je ne peux qu’applaudir ces individus qui autour de moi prennent les moyens à leur disposition pour apporter du changement dans leur pays à une situation qu’ils trouvent inégale.

* propos recueillis par Maxime Desroches