Le seul défaut qu’on peut trouver au Super Bowl, c’est qu’il faut toujours attendre deux semaines entre les finales d’Association et le match ultime.

J’ai très hâte à cette confrontation entre les Patriots de la Nouvelle-Angleterre et les Eagles de Philadelphie, car lorsqu’on regarde historiquement les présences des Pats au Super Bowl, nous avons toujours eu droit à de bons spectacles et des matchs serrés jusqu’à la toute fin. On voit sous l’ère Belichick-Brady qu’ils n’ont jamais écrasé personne et je pense que ce match ne fera pas exception à la règle.

Ces deux semaines d'attente nous accordent cependant le temps d’analyser les forces en présence et vous ne serez pas étonnés d’apprendre que je vais me pencher attentivement sur la guerre des tranchées, car je pense que nous aurons là un duel des plus intéressants. Je le concède, c’est un défaut professionnel en raison de mon statut d’ancien joueur de ligne à l’attaque, mais c’est certain que je me dois de porter une attention particulière à cette facette du jeu dans le cas présent.

Si on jette un coup d'oeil à la ligne à l’attaque des Eagles, on peut dire que les joueurs évoluent dans un système stimulant. Tout d'abord, c’est une ligne à l’attaque, oui robuste, mais également très athlétique. Cet élément permet aux entraîneurs de faire appel à plusieurs schémas de blocage et c’est plaisant de voir l’éventail de combinaisons qu’ils peuvent utiliser. Ce n’est pas toujours un système de blocage de zone. Il y en a, mais on va voir des blocs en croisés ou aussi ce qu’on appelle du "pin and pull". C’est un ajustement sur le blocage de zone. Pour vous l’illustrer, si le jeu se déplace vers la gauche, et qu’un plaqueur est entre le garde et le centre, dans un blocage de zone, on verrait les deux joueurs travailler ensemble pour le déplacer. Ce qu’on voit chez les Eagles sur une telle séquence, le garde à gauche va bloquer à l’intérieur le plaqueur et empêcher toute poursuite ce qui ouvre la porte au centre pour se rendre au deuxième niveau et bloquer des secondeurs. Le centre pour Philadelphie, Jason Kelce, peut réaliser de tels jeux en raison de ses qualités athlétiques. Ces jeux permettent de changer les types de blocage et de garder les joueurs de ligne défensive sur le qui-vive, car ils ne savent pas d’où le bloc va arriver. Au lieu de simplement partir vers l’avant à l’avenir, le joueur défensif va ralentir ses ardeurs et tenter d’anticiper ce bloc, ce qui lui fait perdre sa fraction de seconde qui lui procure un avantage.

Évidemment, avec une telle mobilité sur la ligne à l’attaque, ça permet aux entraîneurs de sélectionner plusieurs passe-pièges. Ils en utilisent à toutes les sauces. Non seulement pour que ce soit efficace, les joueurs de ligne doivent-ils être en mesure de se déplacer, mais encore doivent-ils être capables d’effectuer des blocs dans de l’espace sur des joueurs plus petits et agiles. Pour qu’un joueur de plus de 300 livres puisse mettre la main sur un demi défensif, il doit pouvoir arriver en contrôle, car vous comprendrez que l’adversaire n’a pas envie d’encaisser un bloc d’un joueur aussi imposant. Les Eagles ont des joueurs qui peuvent réaliser de tels jeux.

Il ne fait aucun doute que le travail des joueurs de ligne reçoit aussi un coup de main dans la sélection de jeux par Doug Pederson. En décidant de se tourner souvent vers le jeu au sol, les passe-pièges et les feintes de jeu au sol suivi d’une passe (play action), les joueurs de ligne n’ont pas à encaisser les blocs, mais ils les engagent.

Une sélection de jeux qui est très populaire en ce moment chez les Eagles est tout ce qui englobe les R.P.O. (Run pass options). Le quart a alors l’option de remettre le ballon au demi-offensif ou de le conserver pour effectuer une passe. Ce qui est plaisant pour la ligne à l’attaque c’est qu’elle bloque comme s’il s’agissait d’une course, car elle ne sait pas ce que le quart va choisir comme option. Évidemment, en entrevoyant le déploiement défensif, il est possible d’avoir une idée du jeu qui va en découler, mais ça ne modifie pas l’approche pour le bloc. C’est beaucoup moins stressant pour les joueurs de ligne de bloquer pour un jeu au sol que de se faire attaquer sur un jeu de passes et tenter de protéger le quart en évitant que la pression l’atteigne.

Lorsqu’on décortique le travail du quart Nick Foles en éliminatoires, on réalise qu’il décoche en moyenne 30 passes par rencontre, ce qui représente environ 50 % des jeux en attaque. Déjà à ce moment, on voit un bel équilibre entre le jeu au sol et le jeu aérien. Par la suite, sur les 30 passes décochées, sans avoir fait le calcul exact, on peut diviser le tout en prétendant qu’ils ont réalisé tout près de 10 passe-pièges, cinq feintes de course suivie d'une passe et cinq R.P.O. Dans les deux derniers cas, le joueur de ligne défensive veut défendre son corridor de course, car il pense que c’est un jeu au sol. Il n’est donc pas positionné pour appliquer de la pression lorsqu’il réalise que c’est une passe. Le joueur de ligne à l’attaque le contrôle et peut maintenir son bloc.

Il ne reste alors qu’une dizaine de situations de passe à l’état pur. Si tu es un chasseur de quart dans l’autre équipe, ça te laisse bien peu de chances de réaliser des sacs et tu es mieux de ne pas rater ton coup.

C’est pourquoi c’est un système si stimulant et si peu stressant. Ce qui est plaisant aussi dans ce système, c’est que tous les joueurs sont sollicités. Ils participent tous à un moment ou à un autre sur une passe-piège. Il n’est pas rare qu’on voit un bloqueur à gauche décrocher, ou même le centre ce qui est rare, et aller bloquer à l’opposé pour créer un passage pour son porteur de ballon.

C'est évident que pour réaliser de tels jeux, il faut qu’il y ait d’excellents athlètes. J’ai déjà glissé un mot sur le travail du centre Kelce, mais que dire de celui du bloqueur à droite Lane Johnson. Il possède un jeu de pieds incroyables alors qu’il est capable de danser avec n’importe qui. J’ai souvent comparé les joueurs de ligne à l’attaque à des camions Diesel qui doivent d'ailleurs partir à reculons. Ils font face en plus à des Ferraris qui partent vers l’avant. Si les bloqueurs n’ont pas un bon jeu de pieds ou la bonne technique, il va facilement se faire battre. J’ai analysé le travail de Johnson au cours de la saison et ses chiffres sont impressionnants. Il a affronté les meilleurs de la profession : Joey Bosa, Khalil Mack, Michael Bennett, Von Miller, Justin Houston, DeMarcus Lawrence (2 fois) et Ryan Kerrigan (deux fois). Au final, Johnson n’aura permis à ces joueurs de réaliser uniquement trois sacs. C’est incroyable lors que tu regardes cette brochette qui compte parmi les meilleurs chasseurs de quart.

Un front de cols bleus

De l’autre côté, je suis impatient d’observer comment le front défensif des Patriots va être en mesure de contrecarrer ce système de blocage. Lorsqu’on regarde cette défense, on pourrait presque dire que c’est une " no-name defense", surtout en ce qui concerne la ligne défensive. Comprenez-moi bien, je ne dis pas qu’ils ne sont pas efficaces, loin de là, c’est uniquement pour illustrer qu’ils n’ont pas de réel joueur vedette à cette position. Il faut donner le crédit au coordonnateur défensif Matt Patricia et à l'entraîneur-chef Bill Belichick qui sont capables de sortir le meilleur de leurs joueurs et de les placer dans des confrontations avantageuses.Matt Patricia et Bill Belichick

On dit souvent qu’une unité défensive dispose d’un front à sept joueurs, mais celui des Patriots est presque composé de 13 à 14 joueurs tellement il y a du mouvement de personnel et de joueurs en mesure de prendre la relève et d’accomplir le travail. Si la Nouvelle-Angleterre avait des joueurs vedettes à cette position, ceux-ci seraient toujours sur le terrain, mais comme elle n’en a pas réellement, on voit plusieurs rotations alors que chaque joueur a un rôle précis selon une situation précise.

C’est un front défensif de cols bleus alors qu’ils travaillent fort et ne lâchent jamais. Ils ont d’ailleurs fait leur preuve jusqu’à maintenant durant l’après-saison. La ligne défensive a été confrontée à de bonnes lignes à l’attaque et elle a limité les dégâts tout en réalisant 11 sacs en deux rencontres. Un autre point qui vient prouver que cette unité ne repose pas sur un joueur vedette, de ce nombre de sacs, neuf ont été réalisés par des joueurs différents. Les Patriots n’ont peut-être pas le front le plus talentueux, mais les joueurs jouent bien collectivement. Ce sera donc intéressant de voir cette première confrontation lorsque l’attaque des Eagles sera sur le terrain.

Brady vient en aide à sa ligne à l'attaque

À l’opposé, si on regarde les forces en présence au niveau des joueurs de ligne lorsque Tom Brady sera sur le terrain, on note que la ligne à l’attaque des Pats pourrait être décrite comme étant intelligente. Je m’explique. On sait qu’avec Brady, il y aura plusieurs jeux qui seront déterminés alors que les joueurs sont placés sur la ligne de mêlée. Il n’est pas rare aussi de voir des modifications être apportées alors que les joueurs sont en place. Il faut donc que les joueurs dans les tranchées soient allumés.

L’une des qualités premières des joueurs sur ce front est leur matière grise. Ils sont aussi de grands tacticiens, car tout comme leur confrère sur la ligne défensive, ce ne sont pas les joueurs les plus talentueux. Ils doivent donc s’assurer de bien exécuter ce qui leur est assigné. À leur tour, il s’agit d’une unité mobile en raison des nombreuses passe-pièges contenues dans l’arsenal du coordonnateur offensif.

On ne se le cachera pas cependant, si cette unité paraît aussi bien, c’est aussi grâce au travail de Brady. Ce dernier décoche ses passes rapidement. Il sait où il veut lancer avant même d’avoir le ballon dans ses mains. Il est aussi en mesure de déceler les schémas défensifs et d’ajuster les blocs de ses joueurs à la ligne de mêlée, ce qui les fait bien paraître. Il me fait penser un peu en ce sens à ce qu’on voyait de Peyton Manning avec les Broncos de Denver. Celui-ci ne disposait pas de la ligne à l’attaque la plus talentueuse, mais il était capable d’ajuster les protections pour mettre ses coéquipiers dans la meilleure situation possible. Même s’il n’avait pas connu un fort match sur le plan offensif, Manning avait été en mesure de contrôler la ligne défensive des Panthers de la Caroline lors de son dernier Super Bowl en 2016. On a vu son impact sur le travail de ses bloqueurs, car depuis qu’il est parti à la retraite, la ligne à l’attaque à Denver est une véritable passoire. Les quarts actuels ne peuvent pas faire ce que Peyton réalisait et on voit le résultat.

Ce qui est curieux avec la ligne à l’attaque des Pats, c’est qu’on s’attendrait à voir des joueurs dominants au centre de la pochette, car Brady ne la quitte pratiquement jamais pour effectuer ses passes. Sur une carte au trésor, si le quart des Pats est le fameux «X» que les joueurs défensifs doivent atteindre, laissez-moi vous dire que le trésor ne change pas souvent d’endroit entre chaque jeu. Les joueurs défensifs savent donc toujours où se rendre. Le pire scénario pour un quart de pochette c’est lorsque la pression provient du centre.

Ce que je trouve curieux avec la ligne à l’attaque des Pats, c’est qu’elle ne dispose pas de gardes ou d'un centre dominants. Ils n’ont pas été sélectionnés dans les hauts rangs au repêchage, même que le centre David Andrews n’a jamais été repêché. C’est particulier, car on penserait que les joueurs à l’intérieur seraient les plus dominants afin d’assurer une bonne protection à Brady. Pourtant sur papier, Joe Thuney mesure 6 pieds 5 pouces et pèse 305 livres. Ce n’est pas beaucoup pour un joueur de sa stature. Andrews au centre, 6’3 et 295 livres ce n’est pas gros. Et finalement Shaq Mason à droite, choix de quatrième ronde, 6’1 et 310 livres. Ils réussissent à faire le travail non pas en raison de leur physique imposant, mais comme je le disais, parce qu’ils travaillent collectivement et intelligemment.

Tout un test pour la ligne à l'attaque

Ils vont sûrement avoir besoin de modifier à outrance les schémas de blocage, car ils risquent d’en avoir plein les bras avec la ligne défensive des Eagles. C’est leur force en défense. Il y a non seulement du talent, mais aussi de la profondeur. À titre d’exemple, qui a frappé le quart Case Keenum la semaine dernière pour le forcer à lancer une interception? Chris Long. Qui a par la suite récupéré un échappé provoqué par Derek Barnett? C'est encore Long, qui est un joueur de deuxième vague. Donc quand on parle de profondeur, il en est un bon exemple. Il n’est pas partant, mais lorsqu’il est arrivé sur le terrain, il a réalisé les gros jeux qui ont fait pencher la balance dans ce match. Évidemment, cette unité dispose aussi de Fletcher Cox qui est très dominant au centre. Tim Jernigan de son côté aussi n’est pas en reste.Derek Barnett et Fletcher Cox

Si j’étais Tom Brady cette semaine, je prendrais grand soin de ma ligne à l’attaque et je m’assurerais que mes coéquipiers mangent bien, car ils vont avoir tout un défi devant eux le 4 février.

En même temps, les Patriots en ont vu d’autres. Ils ont battu les Titans qui étaient cinquièmes pour les sacs. Ils ont aussi eu raison des Jaguars qui avaient la deuxième meilleure unité au chapitre des sacs du quart. C’est vrai que la ligne défensive des Eagles peut donner des ennuis à Brady, mais ce n’est pas la première fois qu’il fait face à un tel défi. Ça ne l’a du moins pas empêché de lancer 53 passes contre les Titans et 38 passes contre les Jaguars. Contre une grosse ligne défensive, les Patriots ne se cassent pas la tête et décident de lancer horizontalement pour limiter l’impact de cette pression. Il sera donc intéressant de voir comment les Pats vont tenter de s’en sortir.

Je m’attends déjà à voir plusieurs passe-pièges du côté des deux unités offensives pour tenter de contrecarrer la pression. Si j’avais à miser, je dirais qu’il va y en avoir plus de 10 par équipe. Ça fait partie du plan de match des Eagles peu importe l’adversaire, et les Pats n’auront pas le choix pour ralentir les chasseurs de quart.

Sans avoir encore analysé toutes les forces en présence pour ces deux formations, je suis déjà emballé par le duel qui s'annonce à l’horizon.

Propos recueillis par Maxime Tousignant