Place à la dernière fin de semaine d’action dans la NFL et plusieurs matchs ont des enjeux significatifs pour le portrait des éliminatoires. Parmi les équipes impliquées dans ce scénario, on retrouve les Ravens de Baltimore qui ont su renverser la vapeur après une transformation majeure dans leur façon de faire.

Après les neuf premiers matchs de la campagne avec Joe Flacco au poste de quart, les Ravens ont été forcés d’apporter des ajustements à la suite de sa blessure, alors que Lamar Jackson a pris la relève et il faut le dire, avec brio. Avec une fiche de cinq victoires et un revers comme quart partant, les Ravens ont maintenant leur sort entre leurs mains pour participer aux éliminatoires avec un dernier match contre les Browns de Cleveland.

Il faut déduire que les changements apportés ont été efficaces, mais il ne faut pas se cacher que l’équipe d’entraîneurs ne partait pas de rien pour concocter un plan de match qui allait convenir à Jackson. Dès le camp d’entraînement, on a été en mesure de noter qu’un cahier de jeux était mis sur pied pour le jeune quart et même en début de saison, on l’amenait sur le terrain lors de certaines séquences afin de déstabiliser la défense adverse.

Même si les Ravens ne partaient pas de zéro, c’est tout à l’honneur des entraîneurs et des coéquipiers de Jackson d’avoir su mettre sur pied et adhérer à ce nouveau plan de match.

Deux quarts et un monde de différences

Avec Joe Flacco à la barre de l’attaque lors des neuf premières rencontres, l’attaque était celle qui avait tenté à ce moment le plus de passes à travers tout le circuit. Flacco avait décoché 379 passes ce qui correspond à une moyenne de 42 par rencontre. Si je compare avec Jackson au poste de quart, ce chiffre a chuté à environ 25 par match ce qui illustre le revirement de situation en ce qui concerne les stratégies offensives.

Avec l’athlète de 21 ans, l’attaque cumule en moyenne 218 verges au sol par rencontre et garde le ballon en moyenne 37 minutes donc c’est une domination au chapitre du temps de possession. Je jumèle à ces statistiques une unité défensive dominante et on a la recette pour connaître du succès.

On en a la preuve depuis six rencontres alors que le seul revers de Jackson comme partant a été encaissé en prolongation contre les Chiefs à Kansas City. Ceux qui se souviennent du match, il aura fallu une passe miraculeuse de plus de 40 verges de Patrick Mahomes à Tyreek Hill sur un quatrième essai en fin de rencontre pour que les Chiefs puissent éventuellement inscrire des points. Si cette passe n’est pas complétée, je ne suis pas certain que les Chiefs récupèrent le ballon et ont une chance d’envoyer le match en prolongation. Donc hormis un miracle, la fiche de Jackson est presque parfaite.

Autre point à analyser, c’est la progression du jeune quart depuis qu’il a sauté dans la mêlée. En six matchs, il a amassé 466 verges au sol et a franchi la zone des buts en deux occasions. Par la voie des airs, il a enregistré 935 verges, donc une moyenne de 156 par rencontre et il a lancé cinq passes de touché contre trois interceptions. Il faut reconnaître que ce ne sont pas des statistiques fracassantes pour un quart, mais à noter que lors de ses trois dernières sorties, il a obtenu quatre passes de touché contre aucune interception. Signe encore plus encourageant, lors de son meilleur test sur le plan défensif avec l’unité des Chargers de Los Angeles, Jackson a connu son sommet personnel de 204 verges et une passe de touché alors qu’il a rejoint Mark Andrews pour un majeur.

Avant ce match, malgré les récents succès de l’équipe, on avait encore des doutes avec le jeune quart, car il n’avait pas affronté d’unité défensive de premier plan. En réalité, il avait été opposé à celle des Bengals (32e), des Chiefs (31e), des Buccaneers (28e), des Raiders (26e) et celle des Falcons (24e). Contre une unité qui figure dans le top-10 et sur la route de surcroît, Jackson a connu sa meilleure sortie tout en étant appuyé par son jeu au sol et sa propre défense. Cette recette (bon jeu au sol et défense dominante) a fait ses preuves sur la route et en éliminatoires par le passé et il faudra voir si le scénario pourra se répéter.

Tout le monde a embarqué dans le bateau

Je ne peux passer sous silence le travail colossal accompli par les entraîneurs des Ravens pour que ce changement de direction soit survenu sans trop d’accrocs. Le coordonnateur à l’attaque Marty Mornhinweg peut être fier de son travail, mais il ne faudrait pas oublier dans l’ombre un certain Greg Roman. Ceux qui suivent le football depuis un petit moment se rappelleront peut-être de lui en tant que coordonnateur à l’attaque alors que les 49ers de San Francisco ont atteint le Super Bowl avec un certain Colin Kaepernick au poste de quart. Je ne peux pas croire qu’il n'a pas une grosse influence dans ce nouveau plan de match alors qu’on revoit des similitudes avec les Ravens cette année. Ce n’est pas la première fois qu’il travaille avec un jeune quart mobile.

Les entraîneurs ont évidemment leur mot à dire pour changer les stratégies en attaque, mais il ne faut pas négliger les joueurs qui ont acheté ce plan.

D’entrée de jeu, je serais véritablement étonné que les joueurs de ligne se soient plaints de ce nouveau régime. Avec Flacco dans la pochette, la ligne à l’attaque était forcée d’effectuer des protections conventionnelles où les bloqueurs doivent reculer et encaisser les assauts des ailiers défensifs.

Avec Jackson, déjà nous avons vu que l’attaque ne tente que 25 passes par rencontre et peu d’entre elles sont effectuées au cœur même de la pochette. Les entraîneurs n’hésitent pas à utiliser différentes formations, à déplacer la protection et à utiliser des feintes de jeu au sol, ce qui fait que c’est une véritable fête pour les bloqueurs. Les joueurs de ligne défensive sont frustrés par cette situation, car ils ont peu de chances d’appliquer de la pression et s’ils échouent lorsqu’elle se présente, ils ne savent pas quand le train va repasser.

L’ajustement significatif est surtout survenu dans le groupe de receveurs et je leur lève mon chapeau pour avoir adhéré à la nouvelle philosophie. Si on remonte à la saison morte, les Ravens ont ajouté à leur formation Willie Snead, Michael Crabtree et John Brown. Ces derniers se font dire qu’ils vont pouvoir améliorer le jeu aérien et produire avec Flacco mais en milieu de saison, ils doivent maintenant mettre leurs bottes de travail pour bloquer avec les nombreux jeux au sol. Lors du match contre Los Angeles, Jackson a amassé 204 verges, mais Snead n’a eu aucun attrapé, alors que Crabtree en a réalisé un et Brown deux. Les Ravens ont terminé ce match avec 22 passes tentées contre 25 jeux au sol. C’est la nouvelle réalité et c’est tout à leur honneur d’avoir embarqué dans ce concept.

À Jackson de se lever au bon moment

Malgré tout, c’est à se demander si une équipe peut se rendre jusqu’au bout avec un quart mobile comme Jackson. La question est légitime, car je parlais de Kapernick tantôt qui a mené les 49ers au Super Bowl en 2013, que les Ravens ont gagné, et en février 2016, Cam Newton s’est incliné lors du match ultime contre les Broncos de Denver. Donc lorsqu’on recherche un quart dans le même moule que Jackson, les exemples récents de succès sont peu nombreux.

Ce style n’est pas évident dans les rangs professionnels, car il se met à risques des blessures. Jackson devra faire preuve de sagesse et bien se protéger. C’est évident que les joueurs de défense vont l’identifier comme un porteur de ballon dès qu’il se déplace et ceci fait en sorte qu’il sera puni comme un porteur de ballon avec un solide plaqué. Il risque donc d’encaisser plusieurs contacts, donc il doit soit quitter le terrain ou glisser lorsqu’il en a la chance.

Jackson peut cependant compter sur un joueur qui est déjà passé par là, pas plus loin que dans son propre vestiaire, alors que Robert Griffin III a vu sa carrière être grandement affectée en raison des blessures. Après une bonne première saison, il n’a pas su se protéger et sa carrière a écopé. Nul doute qu’il peut donc aider Jackson avec son expérience.

Si les Ravens parviennent à se qualifier pour les éliminatoires, Jackson devra composer avec de bonnes unités défensives pratiquement à chacun de ses matchs. Il devra trouver un moyen d’être efficace lors des troisièmes essais. Lorsque tout le monde dans le stade sait qu’il doit passer, est-ce qu’il saura livrer la marchandise? Contre les Chargers, il a complété une passe sur huit tentatives en pareille situation et il a été victime de deux sacs. Si l’adversaire pourra forcer de longs troisièmes essais, c’est là qu’on va pouvoir évaluer le travail du jeune quart.

Ce qu’il peut jouer en sa faveur, c’est le fait que cette attaque est unique. En plus de l’aspect robustesse avec l’élément du jeu au sol, les unités adverses ont peu de temps pour se préparer adéquatement à faire face à ce genre de stratégies.

Ce ne sont pas toutes les formations qui ont un joueur pouvant imiter un Lamar Jackson à l’entraînement. Parfois il faut se tourner vers un receveur qui a déjà été quart-arrière au niveau collégial, mais encore là, c’est un style difficile à reproduire. Alors pendant que les Ravens peaufinent leur plan de match chaque semaine, les autres équipes disposent de trois entraînements pour préparer la défense à jouer du 11 contre 11 alors qu’aucun joueur ne peut tricher sinon Jackson va s’échapper.

Les demis défensifs sont aussi fortement sollicités pour le jeu au sol et ce n’est pas toujours leur tasse de thé. Certains sont excellents pour couvrir des receveurs, mais deviennent un peu plus frileux lorsque vient le temps de se salir le nez et de plaquer un demi-offensif. Ils doivent être prêts à contenir le jeu et à payer le prix.

À la lumière de cette analyse, tout indique que les Ravens ont les ingrédients pour connaître du succès en séries, mais encore doivent-ils se qualifier, eux qui ont une fiche de 9-6 ce qui leur confère le premier rang de la division Nord de l’Américaine pour le moment. Il faut simplement remonter à l’an dernier pour voir leur qualification leur échapper alors qu’Andy Dalton avait rejoint Tyler Boyd pour le touché de la victoire sur un quatrième essai pour vaincre les Ravens, ce qui permettait alors aux Bills de Buffalo d’obtenir le dernier billet pour les éliminatoires. `

Donc avant de penser aux séries, ils ne doivent pas se faire jouer le même tour contre les Browns qui ont annoncé que ce match avait une saveur éliminatoire pour eux. Rien n’est encore acquis pour la formation de Baltimore et il faudra que la recette fonctionne une fois de plus.

*Propos recueillis par Maxime Tousignant