MONTRÉAL – Le 27 octobre dernier, la scène était tellement parfaite à l’Université McGill qu’on aurait pu s’imaginer que l’enseigne emblématique d’Hollywood avait été déplacée sur le sommet du mont Royal.

La beauté de cette histoire, celle de Stéphane Thouin, c’est qu’elle n’a pas été écrite par un réalisateur qui désirait produire une adaptation québécoise de Rudy, ce classique du cinéma sportif.

 

C’est Thouin lui-même qui l’a composée avec son dévouement unique et sa manière de se faire respecter par tous ses coéquipiers, ses entraîneurs et les dirigeants de l’Université de Montréal.

 

À sa dernière année d’admissibilité au football universitaire et à son tout dernier match de saison régulière avec les Carabins, il a finalement obtenu le privilège d’enfiler l’uniforme pour la première fois!

 

C’est le temps d’appuyer sur pause.

 

Prenez quelques secondes pour imaginer les sacrifices de ce centre-arrière. Durant quatre années, il s’est défoncé à tous les entraînements, il s’est investi dans toutes les réunions, il a sué pendant toutes les séances de musculation sans jamais enfiler l’uniforme pour un match.

 

On repart l’action avec un léger recul. Trois jours avant la partie, Thouin apprend durant la réunion d’équipe du mercredi qu’il figure parmi les candidats pour revêtir l’uniforme. La confirmation tant attendue arrivera le lendemain de la bouche du coordonnateur offensif Gabriel Cousineau.

 

« Juste la réaction des gars dans le meeting, c’était assez spécial, ça ressemblait à Rudy. Les gars étaient vraiment contents que j’aie une chance d’être en uniforme. Quand j’ai eu la confirmation, j’en ai parlé à ma fiancée et à mes parents. C’était vraiment un beau moment », a confié Thouin avec un sourire qui veut tout dire.Stéphane Thouin

 

Quand un coéquipier est aimé comme lui dans un vestiaire, c’est normal que les autres joueurs s’inquiètent de son sort. Ils n’ont pas été jusqu’à retirer leur chandail et le déposer sur le bureau de l’entraîneur (comme dans le film Rudy) pour manifester, mais ils étaient plusieurs à souhaiter le voir enfiler l’uniforme.

 

« Les gars savent que je suis croyant. La foi a un grand impact dans ma vie. J’ai gardé la foi que ma persévérance allait payer. Ça m’a motivé, je voulais avoir ma chance. Je disais souvent aux gars : " Je ne sais pas comment ça va arriver, mais ça va arriver " », a raconté Thouin qui étudie pour devenir enseignant en éthique et culture religieuse.

 

Ça peut sonner cliché de dire que Thouin est aimé au sein de l’équipe, mais l’exemple de sa forte amitié avec Junior Luke – qui joue maintenant avec les Lions de la Colombie-Britannique - est révélatrice. Rien ne prédestinait ces deux hommes issus de milieux différents et adversaires à l’entraînement à développer ce lien.

 

« Je pense qu’il a été touché par mon optimisme et il a aimé mon style de vie, il a vu que ce que je dégageais était vrai. Il a pu adapter mon style de vie à lui », a décrit Thouin qui a aidé Luke à bien canaliser ses énergies.

 

Une scène qui fait chaud au coeur

 

Maintenant qu’il pouvait dire mission accomplie, l’athlète de 24 ans est demeuré réaliste. Il comprenait qu’il était fort probable qu’il se contente d’un rôle sur les lignes de côté pour cette partie.

 

« Il n’y avait pas beaucoup de chances que j’embarque sur le terrain. Pour les entraîneurs, c’était une façon de me remercier pour toutes ces années dédiées à l’équipe en ayant su jouer mon rôle », a admis le joueur originaire de Varennes.

 

Mais les dieux du football prévoyaient quelque chose de spécial pour lui.

 

« On avait eu des blessés en première demie et je voyais bien que, si ça continuait comme ça, je serais le prochain sur la liste. À la mi-temps, Mathieu Pronovost (l’entraîneur de la ligne offensive) est venu me voir pour me dire qu’on me confierait des jeux. Là, le cœur pompait ! J’étais excité, mais c’était sain comme réaction. J’étais vraiment content de me dire que ce serait vrai », a-t-il raconté.Amis de Stéphane Thouin

 

Tout d’un coup, alors que les Carabins se préparent pour un jeu qui n’a rien de significatif, une partie de la foule explose de bonheur dans les gradins du Stade Percival-Molson. C’est la famille et les amis de Thouin qui sont émus et heureux de le voir fouler le terrain après tant d’efforts.  

 

« C’était vraiment touchant… », a confirmé Thouin qui avait vu les proches de Rudy réagir de la même manière dans le film.

 

« J’étais vraiment content pour lui quand j’ai entendu sa famille se réjouir. Il y a bien des joueurs qui ont commencé à scander : " Thouin, Thouin, Thouin " », a décrit François Hamel, l’un de ses meilleurs amis dans l’équipe, en confirmant une autre similitude avec l’histoire de Rudy. 

 

Honnête comme il l’est, Thouin s’empresse d’y aller d’une révélation qui devient amusante.

 

« Pour être bien franc, je n’ai pas fait la bonne chose sur mon premier jeu, j’ai vraiment foiré, je n’ai pas bloqué le bon joueur. Mais ça ne m’a pas atteint, la majorité des gars n’exécutent pas leur premier jeu à la perfection. Je me suis bien repris pour mes autres jeux et j’ai vraiment fini sur une note positive : j’ai dominé le joueur devant moi sur mon dernier bloc. C’était le fun de finir comme ça », a noté Thouin alors que Rudy a conclu son dernier jeu pour l’Université Notre Dame avec un sac du quart.

 

Une inspiration à sa façon

 

L’entraîneur Danny Maciocia n’a que du respect pour l’investissement du jeune homme.

 

« Quand je regarde tout ça, je me dis que c’est probablement notre version de Rudy. C’est un jeune incroyable, tellement respecté dans le vestiaire. On avait identifié ce match tard dans la saison pour lui permettre d’être en uniforme et cette opportunité était bien méritée. Ça se voit de moins en moins des jeunes qui sont prêts à faire autant de sacrifices, on voulait le récompenser », a-t-il indiqué.

 

Maciocia aborde l’aspect majeur de ce récit, pourquoi Thouin a-t-il été en mesure de persévérer pendant quatre ans? Bien sûr, plusieurs joueurs ne foulent pas le terrain à leur première année, mais il s’est aussi relevé d’une blessure importante à sa deuxième année.

 

« C’est sûr que ma troisième année sans jouer a été très difficile. Mais dans la vie, je suis persévérant. À l’école, ce n’est pas facile pour moi parce que je suis dyslexique et dysorthographique donc je suis habitué de travailler fort et de m’accrocher. Il y a aussi la gang de boys, on a un lien fort. Ils m’ont toujours fait sentir que, même si je n’avais pas un impact sur le terrain, j’avais un impact auprès d’eux. J’ai priorisé l’équipe au lieu de me plaindre », a exposé le sympathique joueur qui se mariera au début 2019.Stéphane Thouin

 

Cette conclusion heureuse devient encore plus satisfaisante avec les embûches surmontées. Parce que ne croyez pas que ce fut de tout repos, oh que non.

 

« Satisfaction, c’est vraiment le bon mot. La comparaison est belle avec Rudy, je le vois positivement. J’ai parlé de ceux qui m’ont encouragé comme ma fiancée qui aurait bien pu me dire de lâcher. Mais il y a aussi eu des gens plus négatifs qui m’ont dit d’arrêter. Même cette année, ce sont des gars qui ont fait en sorte que je suis resté dans l’équipe », a révélé Thouin, un ancien du CÉGEP Édouard-Montpetit.

 

« C’était parfois rough, mais il ne s’est jamais rendu au point d’être vraiment tanné et de vouloir abandonner. Il croit en lui et il a raison de le faire », a soumis Hamel qui soupe chaque jeudi soir au restaurant Le Petit Québec avec Thouin, le moment durant lequel ils se racontent leurs joies et leurs frustrations. 

 

« C’est juste une petite histoire, mais ça soulève peut-être une petite morale de vie que tout est possible quand on y croit et qu’on travaille fort », a résumé le Rudy du Québec.

 

Si vous croyez que les similitudes ne sont pas assez fortes avec Rudy, lisez bien ceci. Par un fabuleux hasard, Rudy et Thouin ont chacun joué uniquement trois jeux. Ce n’est pas tout, Rudy était dyslexique tout comme son pendant québécois. Finalement, les deux hommes auront été des inspirations dans leur environnement respectif.

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