MONTRÉAL – « Parfois, ça mène à des conversations confrontantes (sic) et c’est correct. Jonathan, c’est un gars de chiffres et de statistiques, un gars d’ordinateur. Il trippe vidéos, regarder des idées et essayer de nouvelles affaires. C’est plus avant-gardiste que ma génération, je te dirais. »

Voici les paroles d’Éric Bélanger et elles sont typiques de son franc-parler tant apprécié. Il parle ici de Jonathan Deschênes, l’un de ses adjoints, avec les Chevaliers de Lévis au niveau Midget AAA. 

Même s’il n’est âgé que de 28 ans, qu’il n’a pas atteint un haut niveau comme gardien et qu’il demeure un jeune entraîneur, Deschênes ne craint pas de débattre avec son entraîneur-chef qui a joué plus de 800 matchs dans la LNH. 

Deschênes ne peut s’empêcher de sourire quand on lui refile la citation de Bélanger. Jonathan Deschênes et Éric Bélanger

« Je trouve que c’est quand il y a de la friction que ça progresse. On met chacun de l’eau dans notre vin, on se questionne. Des fois, les deux, on ne bouge pas tout de suite. Je retourne à la maison et ça tourne et ça tourne dans ma tête. On s’en parle de nouveau le lendemain pour trouver comment on peut adapter les deux idées. Je trouve que ça nous a fait progresser autant comme équipe que comme entraîneurs », a jugé Deschênes qui s’occupe surtout des attaquants et du jeu de puissance avec ce club. 

Bélanger a obtenu ce poste d’entraîneur-chef tout juste avant le lancement du camp d’entraînement à l’automne 2019. Depuis, il a appris à découvrir les forces de ses adjoints dont Deschênes, Louis-François Richard et Ugo Bélanger. Lentement, mais sûrement, l’ancien centre se laisse gagner par une partie de leur approche. 

« Au départ, je n’étais pas un gros (partisan). Je suis un peu plus de la vieille école, j’ai eu Jacques Lemaire comme entraîneur. [...] Oui, je suis en train de me faire convertir, mais il faut que je sois au milieu des deux. Je suis un coach qui fonctionne au feeling de la game, c’est l’une de mes forces, mais leur vision me donne des informations de plus pour travailler avec les joueurs. Je commence à aimer ça de plus en plus, mais il ne faut pas que tu sois aveuglé par ça non plus », a cerné Bélanger qui a tout de suite évoqué un exemple qui a suscité un vif débat dans son bureau. 

« Quand les Rays de Tampa Bay ont sorti (Blake) Snell, leur lanceur, en sixième manche en Série mondiale. Je suis arrivé au bureau le lendemain et j’ai confronté Jo et Louis. Expliquez-moi celle-là? Le lanceur ne se fait pas frapper, il a du jus, c’est une partie décisive de la Série mondiale et tab..., ils l’ont enlevé à cause des statistiques avancées! », a rappelé Bélanger en souriant au bout du fil. 

Les statistiques ne détiennent pas toujours la vérité, cet exemple le démontre. Toutefois, au hockey, Deschênes et Ugo Bélanger ont développé un ingénieux modèle qui permet de déterminer combien chaque équipe aurait dû marquer de buts dans chaque partie (le confrère Martin Leclerc a d’ailleurs déjà exposé cette avancée élaborée par ce duo). Ainsi, après chaque rencontre, Deschênes revoit les lancers et dévoile sa conclusion à son entraîneur-chef. 

« On imprime toujours un rapport disant, par exemple, qu’on a gagné 3-2, mais qu’on aurait dû perdre 4,2 à 2,8. La première fois qu’il a apprécié ça, c’était après une game qu’on avait gagné, mais durant laquelle on avait moins bien joué. Comme entraîneur, tu veux parfois un argument et ça le démontrait. On a réussi tranquillement », a expliqué Deschênes. 

Bélanger admet qu’il était parfois « bucké », mais que l’impact est positif. 

« Si tu restes tout le temps dans ta zone de confort et que tu n’écoutes personne, oublie ça; ça ne marchera pas dans le monde du hockey », a-t-il lancé. 

Un disciple de l’attaque qui pige dans tous les sports 

La philosophie de Deschênes, l’un des entraîneurs de hockey à découvrir au Québec, ne se limite pas aux statistiques. Au contraire, il mange du contenu hockey. D’ailleurs, il est un peu gêné de l’admettre, mais il est du style à décortiquer des séquences même le 25 décembre. 

Jonathan Deschênes« Quand je ne dors pas, c’est rare que je ne suis pas en train de faire quelque chose qui n’est pas relié au hockey. J’aime toujours savoir le pourquoi. Je cherche des choses qui permettent de donner une image plus précise pour aider le développement du joueur. C’est toujours l’axe que je préconise », a-t-il indiqué. 

Ce qui l’attire avant tout, c’est le volet offensif alors il scrute ce qui se fait avec avidité.

« C’est possiblement une raison qui explique qu’on a quand même eu un certain succès avec Éric et Matt (Mathieu Turcotte, qui a quitté pour devenir adjoint avec les Voltigeurs de Drummondville). Ils sont peut-être moins accros à l’attaque que moi. Parfois, je dois me mettre en perspective qu’il y a de la défense à faire. Mon objectif demeure de trouver comment on peut créer plus de buts. Les statistiques m’ont mené vers ça. C’est un aspect qui a été bien défini dans mon baccalauréat en intervention sportive. Qu’est-ce que tu mesures et comment l’améliorer ? », a-t-il exposé. 

L’esprit de Deschênes ne se démarque pas pour rien. Son appétit le pousse à consommer du matériel très poussé et loin du hockey. Ils s’abreuvent des sources nichées sur le hockey, le basketball, le soccer, le baseball etc. Sa baladodiffusion préférée des derniers mois a été celle de Steve Kerr avec Pete Carroll. 

« Celui qui m’a le plus influencé récemment, en terme de lecture, c’est Fergus Connolly, un ancien directeur de la science du sport. Il a collaboré avec des clubs de basket, de football, de soccer, de rugby. En fait, le seul sport qu’il n’a pas fait, c’est le hockey. Il a écrit une brique qui s’appelle Game Changer. C’est un livre universitaire, ça m’a pris six mois le lire et j’ai dû prendre 100 pages de notes. Il aborde tout, comment développer un plan de match, comment utiliser les statistiques, le développement des habiletés... », a raconté Deschênes à propos de celui qui a notamment œuvré auprès des 49ers de San Francisco, des Wolverines de l’Université du Michigan, du Liverpool FC, des Knicks de New York et de clubs de rugby. 

En ce qui concerne le hockey, il s’imprègne du modèle plus offensif déployé par les Maple Leafs. À la base, une connexion avec Jack Han – sa copine vient de Lévis - l’a mené à s’y intéresser plus particulièrement. Jonathan Deschênes

« En général, la génération plus vieille a eu plus de misère à aller chercher des connaissances d’ailleurs. Jonathan a étudié du contenu qui se partageait en anglais et il a été capable d’intégrer ça à Lévis et dans la région de Québec. Pour des coachs plus âgés, ça peut être moins évident, ils ont grandi dans une certaine manière de faire », a constaté Han. 

Une lacune? Se fâcher plus souvent? 

Sur le « terrain », Deschênes a puisé dans les forces de Turcotte, qui avait mené les Chevaliers à un dossier de 41-1, et il en fait de même avec Bélanger.   

« Il a un bon bagage, mais il est très conscient des lacunes de sa première carrière, celle de gardien, au hockey. En même temps, ça lui permet d’être très efficace dans son domaine actuel », a mentionné Han. 

Bélanger considère que Deschênes n’accuse pas de retard sur les détails reliés au travail technique des joueurs. À vrai dire, il a ciblé un autre point à améliorer. 

« Lui et Louis n’ont pas le poste d’entraîneur-chef, mais, parfois, je me dis ‘Ça ne vous tente pas de vous fâcher, j’ai l’impression que c’est tout le temps moi qui se fâche! », a lancé Bélanger en éclatant de rire.

Jonathan Deschênes« Il ne m’a pas connu comme entraîneur-chef, je me fâchais à l’occasion. Comme adjoint, tu es plus proche des joueurs, je dois choisir mes moments pour ne pas empiéter sur notre relation. Mais il faut dire qu’Éric est bon pour se fâcher », a taquiné Deschênes.

L’ancien gardien a été aspiré vers la vocation d’entraîneur quand il jouait Midget. Il a fait ses classes dans le pee-wee B, le bantam B et ensuite le calibre plus relevé. Pendant trois ans, il a dirigé deux équipes en même temps. L’ascension se poursuit et les prochaines étapes de son parcours s’annoncent intrigantes. 

« À moyen terme, j’aimerais aller dans la LHJMQ ou devenir entraîneur-chef au Midget AAA selon comment ça évolue. À long terme, comme n’importe qui, je rêve du hockey professionnel et préférablement en Amérique du Nord. Mon premier souvenir de hockey, c’est Raymond Bourque qui soulève la coupe, mon père m’avait réveillé pour voir cette image. Peu importe le chemin et le temps que ça prendra, je vais faire le nécessaire. J’adore ça, je vis pour ça. Je me lève le matin et c’est presque certain que j’ai déjà regardé un truc lié au hockey en moins de 15 minutes », a conclu Deschênes qui organise, avec quelques partenaires, une école de hockey estivale (Summer Skills Session) axée sur le développement individualisé.