Vingt-cinq ans : déjà? Oui déjà!

 

Pour les partisans du Canadien, des partisans déçus par l’année misérable qu’ils viennent d’endurer et par toutes les autres qui l’ont précédée depuis trop longtemps, les souvenirs heureux de la dernière conquête de la coupe Stanley rappellent que cette équipe a déjà, eh oui, été une grande équipe. Une grande organisation.

 

Remarquez que je ne sais pas à quel point ces souvenirs heureux moussent la confiance en vue d’un avenir meilleur.

 

Un avenir meilleur à moyen ou long terme, car pour ce qui est de la saison prochaine et des deux ou trois qui suivront, je crois malheureusement que c’est dans leurs souvenirs que les partisans du CH trouveront un mélange de réconfort et d’espoir.

 

Mais bon! Il y a 25 ans, le Canadien a bel et bien pris le monde du hockey par surprise comme l’entraîneur-chef Jacques Demers avait demandé à ses joueurs de le faire. Et surtout de croire qu’ils pouvaient le faire.

 

Le mot « surprise » est de mise.

 

Le Canadien a amorcé la saison 1992-1993 sur les talons. Il a même perdu son deuxième match de l’année dans le cadre du match inaugural des Sénateurs d’Ottawa. J’y étais. J’y travaillais à titre de journaliste pour le quotidien Le Droit d'Ottawa. Pas encore à la section des sports, mais à celle des nouvelles générales. Il faut dire que le premier match des Sens au Centre municipal, la première victoire de l’histoire, contre le Canadien de Montréal de surcroît justifiait une couverture tous azimuts dans tous les quotidiens de la capitale fédérale.

 

Bien que cette victoire de 5-3 marquée par la performance de Neil Brady tenait plus de l’anecdote que d’un gage des jours difficiles qui attendaient le Canadien, le fait d’avoir perdu aux mains de cette équipe d’expansion qui n’avait rien de comparable aux Golden Knights de Las Vegas avait de quoi titiller la confiance des fans du Canadien.

 

Tout comme les passages à vide de la saison que le Tricolore avait terminée avec seulement 6 victoires dans ses 14 derniers matchs. Comme la photo de Jacques Demers, en jaquette, assis sur une civière dans un hôpital de Montréal en proie à des excès d’angoisse qui minait sa santé et qui l’a contraint à céder son poste à Jacques Lemaire le temps qu’il retrouve un peu son souffle, à défaut de retrouver son calme.

 

Bon! Le Canadien n’avait pas connu une année de misère. Ce serait exagéré. Ses 102 points au classement sont d’ailleurs là pour le rappeler. Mais il y avait de la grogne. Tellement qu’on remettait en cause l’avenir de Patrick Roy à Montréal. Comme quoi les débats associés à Carey Price ne sont pas nouveaux à Montréal.

 

Le Canadien était bon. Oui! Mais personne ne le voyait en grande finale. Encore moins soulever la 24e coupe Stanley de son histoire.

 

Surtout que le Canadien croisait, dès la première ronde, ses rivaux de l’autre bout de l’autoroute 20. Moribonds au fil des cinq dernières saisons, cinq longues années au cours desquelles ils n’avaient pas seulement raté les séries, mais multiplié les façons de perdre et surtout le nombre de défaites, les Nordiques étaient de retour.

 

Avec Joe Sakic enfin entouré de vrais joueurs de hockey, les Nordiques venaient de connaître une saison de 104 points. Leur meilleure en 14 ans. La plus productive depuis leur entrée dans la LNH en 1979.

 

Les Nordiques étaient forts. Enfin! Le refus d’Eric Lindros de jouer pour Marcel Aubut et non pour les amateurs de hockey de Québec avait largement contribué à ce survoltage. Ron Hextall, Steve Duchesne, Mike Ricci, Kerry Huffman et Chris Simon faisaient des Nordiques un club capable de gagner dès maintenant. Sans oublier que Peter Forsberg assurait l’avenir de cette équipe en voie de sortir de la médiocrité.

 

Dire que les Nordiques étaient favoris serait un euphémisme. Surtout quand on était partisan des Bleus. Eh oui! J’étais un partisan des Nordiques. Le sang qui coulait dans mes veines était bleu. Il l’est d’ailleurs toujours si vous voulez la vérité. On fait bien des blagues à mon sujet depuis des années en raison du fait que c’est par le biais de la couverture des Sénateurs d’Ottawa que j’ai « fait le saut » dans la LNH, mais mon équipe c’était les Nordiques. Et elle l’est toujours.

 

Pas l’Avalanche du Colorado. Ça non! Les Nordiques. Les Nordiques de ma ville. Les Nordiques de Québec. Cette équipe qui est partie en 1995 et dont le retour tient toujours plus du rêve que de la réalité. Mais je m’y accroche encore un peu...

 

Parce que les Nordiques étaient mon club, les souvenirs de la coupe Stanley brandie par le Canadien font mal encore aujourd’hui.

 

Très mal en fait.

 

Et si je suis toujours de ce monde dans 25 ans et qu’on me demande d’écrire une fois encore sur la coupe du Canadien en 1993 – qui sait ce sera peut-être encore sa dernière – la douleur sera aussi vive.

 

Pourquoi?

 

Parce que si la grande victoire du Canadien en 1993 a été le commencent d’une glissade qui n’en finit plus de finir, la défaite qu’il a fait subir aux Nordiques a signifié le commencement de la fin pour les Bleus à Québec.Brian Savage

 

Si les Nordiques avaient battu le Canadien en première ronde, s’ils avaient su imiter le Tricolore et profiter d’un parcours qui s’est « facilité »  par la suite pour se rendre à la coupe Stanley, les Nordiques n’auraient pas mis le cap sur Denver en 1995.

 

Si les Nordiques avaient sû profiter du tremplin que leur a offert leurs deux premières victoires à Québec pour éliminer Montréal au lieu de les faire piquer du nez avec quatre revers de suite ensuite, il aurait été plus facile d’obtenir un nouveau Colisée. Il aurait été plus facile de convaincre les compagnies qui étaient copropriétaires des Nordiques qu’il valait mieux mousser l’investissement que de vendre aux Américains qui faisaient miroiter des beaux dollars US. Il aurait été plus facile de faire accepter des hausses de prix des billets à des fans sérieusement échaudés au fil des dernières années misérables de leur équipe.

 

Ça fait bien des si. Je sais. Mais pour donner une chance à tous ces si de se concrétiser, il fallait d’abord et avant tout gagner.

 

Et les Nordiques ont échoué. Lamentablement.

 

Quand je replonge dans mes souvenirs, je ressens encore la dose de confiance – et d’arrogance – que m’avaient procurée les deux premières victoires.

 

Je l’ai déjà conté. Je le conte encore. J’avais multiplié les paris amicaux avec des amis et des ennemis de l’autre camp à l’aube de la série. Évidemment j’avais les Nordiques gagnants.

 

En avant 2-0, au lieu d’avoir la victoire humble, j’ai eu le triomphe exubérant. Trop! Beaucoup trop! J’ai recontacté tous mes adversaires en offrant de doubler les mises de retour si le Canadien gagnait en échange d’une petite plus-value de la mise initiale si les Nordiques gagnaient.

 

J’ai longtemps payé, aux sens propres et figurés, cet excès d’arrogance qui a redonné toute la valeur à la maxime de Yogi Berra : « ce n’est jamais fini tant que ce n’est pas fini! »

 

Ça allait trop bien après deux matchs. Une victoire en prolongation en lever de rideau. Scott Young qui donne la victoire 3-2. Un gain facile (4-1) dans le deuxième match ouvre la porte aux   « failles » décelées par Daniel Bouchard dans l’armure de Patrick Roy.

 

Et puis... Et puis plus rien.

 

En fait non. On oublie trop vite que dans le troisième match, Mats Sundin donne les devants 1-0 aux Nordiques. On oublie aussi que pas longtemps après, Patrick Roy, avec un plongeon du désespoir, revient sur sa gauche devant son but pour voler Scott Young qui l’avait déjoué à deux reprises lors du deuxième match.

 

Cet arrêt a tout changé.

 

Le Canadien est revenu. Vincent Damphousse a marqué en prolongation. On ne savait pas encore qu’il amorçait une séquence historique de 10 gains de suite en prolongation, mais c’est ce qui est arrivé.

 

Benoit Brunet a donné la victoire dans le quatrième match.

 

Une fois la série égale 2-2, elle ne l’était plus. Elle ne l’était plus du tout. Le vent avait changé de bord. La confiance aussi. Le Canadien l’a prouvé en gagnant, encore en prolongation, sur un sapin accordé par Ron Hextall — à Kirk Muller — à qui il est difficile de reprocher quoi que ce soit, car jusque-là, il était le seul responsable du fait que les Bleus donnaient l’impression d’être dans le coup.

 

Et puis il y a eu le sixième... et dernier match.

 

Les trois buts de Paul DiPietro.

 

Le clou dans le cercueil lorsque Pierre Pagé, en furie, hors de lui, a engueulé Mats Sundin en le traitant en pleine Soirée du hockey / Hockey night in Canada de « fucking joke! »

 

C’était fini!

 

Les Nordiques ne s’en sont jamais remis. L’année suivante, ils ont amassé 24 points de moins et ont, bien sûr, raté les séries.

 

Sundin a été échangé.

 

L’arrivée de Peter Forsberg a fait oublier le départ de Sundin. Tout comme les performances plus qu’honnêtes au cours de la saison écourtée par le lock-out.

 

Mais le mal était fait.

 

Les Nordiques étaient déjà partis. Pendant qu’ils gagnaient sur la glace, dans les bureaux on rédigeait tous les paramètres du contrat qui les exilait vers le Colorado.

 

Pour moi la coupe Stanley du Canadien en 1993, c’est tout autant le début du commencement de la fin des Nordiques à Québec.

 

C’est pour cette raison que je peine à « célébrer » ces noces d’argent. Mettons!

 

Malgré ma déception, je garde de très bons souvenirs du cahier des sports de La Presse à l’époque et des caricatures de Pijet qui ornaient la Une du cahier, et qui accompagnaient les textes et chroniques des collègues Tremblay et Cantin qui me semblaient moins « tricolores » que les autres collègues des Sports de la Grosse Presse.

 

Je me souviens encore de la bouille déçue de Jacques Demers qui rentrait à pied, vers Montréal, avec son équipe derrière lui au lendemain des deux défaites, comme un général qui rentrait du champ de bataille après une guerre qu’il était loin d’avoir gagné.

 

Les autres qui ont suivi m’ont moins fait sourire...

 

Mais bon. C’est la loi du sport. Tu gagnes parfois, tu perds d’autres fois. En 1993, mettez-en que j’ai perdu.

 

Pas question d’enlever à Jacques Demers et Serge Savard son ancien patron, à Patrick Roy, Guy Carbonneau, Vincent Damphousse, Éric Desjardins, Benoit Brunet, Kirk Muller ou Mario Roberge qui a joué les kamikazes pour venir déconcentrer Ron Hextall quand tout allait trop bien pour lui et les Nordiques, le mérite d’avoir vraiment surpris le monde du hockey pour se rendre à une 24e coupe Stanley.

 

Mais je me console quand même à l’idée qu’avant de gagner dix victoires de suite en prolongation, Patrick Roy en a d’abord perdu une aux mains des Nordiques.

 

Je me console aussi à l’idée qu’ironiquement, c’est devant la cage des anciens Nordiques qu’il a gagné ses troisième et quatrième coupes.

 

Il faut bien se consoler comme on peut...