Ceux qui jurent avoir prévu le vent de renouveau qui frappe le Canadien risquent de voir leur nez s’allonger plus vite que celui de Pinocchio.

Bien sûr, il y a des gens qui, guidés par leur amour indéfectible pour cette équipe, n’avaient pas totalement jeté l’éponge. Convaincus que les choses allaient finir par se replacer, ils se disaient prêts à patienter le temps qu’il faudrait pour être témoins d’un changement majeur. À l’opposé, de nombreux amateurs clamaient sans la moindre gêne avoir tourné le dos à l’emblématique CH en ne voyant pas le jour où ils seraient fiers à nouveau de cette équipe.

Ce qui était désarmant, c’était de constater que Geoff Molson refusait de mettre son pied à terre en achetant tout ce que Marc Bergevin avait à lui vendre. Il endossait une après l’autre les décisions onéreuses et pas souvent fructueuses de son directeur général, à commencer par le salaire faramineux accordé à un entraîneur qui, l’an dernier, semblait dépassé par les événements comme tous les autres.

À la lumière de ce qu’on voit actuellement, il semble bien que le duo Molson-Bergevin a eu raison de relever un problème d’attitude dans son bilan de fin d’année. Il a toutefois négligé de mentionner qu’il avait autant de responsabilités que les joueurs dans ce désordre. Après tout, ce problème d’attitude, c’était un peu la direction de l’équipe qui l’avait créé en planifiant un camp d’entraînement sans trop d’originalité il y a un an. Il y avait eu trop d’invités au camp. Plusieurs y étaient restés trop longtemps sans raison valable, ce qui avait empêché les réguliers de l’équipe de profiter de toute la glace dont ils auraient eu besoin pour amorcer la saison dans une forme physique optimale. Bref, la saison s’était amorcée sans trop de conviction et les joueurs, qui avaient pris les choses mollement au départ, n’avaient pas fait l’objet de grandes réprimandes. Ce laisser-aller général qui a fini par bousiller toute une saison.

Bref, tous les ingrédients y étaient pour que l’équipe connaisse une saison désastreuse : un directeur général pas très inspirant, un entraîneur très différent de ce qu’on avait vu de Claude Julien dans le passé et des joueurs sans doute très déçus de ne pas avoir reçu l’aide anticipé durant l’été. Seul Phillip Danault s’est permis de le dire ouvertement une fois la saison terminée : « On n’est pas fous; c’est sûr qu’il nous manque un joueur de centre », a-t-il amis avec la franchise qui le caractérise.

Ce problème d’attitude a donc sapé l’enthousiasme de tout le monde, du personnel de direction jusqu’au dernier joueur. On n’a visé personne en avril, mais il est clair qu’il fallait regarder du côté des éléments les plus importants, sinon on n’aurait jamais hésité à remettre à leur place deux ou trois plombiers s’ils avaient été les vrais coupables. D’où les départs de Max Pacioretty et d’Alex Galchenyuk, sans doute.

Je n’étais pas d’accord avec ces deux décisions, je l’ai déjà mentionné. J’étais de ceux qui croyaient qu’une équipe éprouvant toutes sortes d’ennuis en attaque ne ferait qu’ajouter à ce problème majeur en se délestant de ses deux meilleurs francs-tireurs, deux réguliers de l’attaque à cinq de surcroît. On parlait d’un total combiné de 205 buts au cours des quatre dernières années par ces deux-là.

Transactions pas banales

C’était clair à mes yeux que personne n’offrirait au Canadien un autre marqueur de 35 à 40 buts en retour du capitaine. Bergevin l’a d’ailleurs reconnu en acceptant plutôt un joueur dynamique en Tomas Tatar et une recrue annonçant de belles choses dans un proche avenir, Nick Suzuki.

Par contre, on ne voyait pas comment Max Domi pouvait prendre adéquatement la place de Galchenyuk, un joueur énigmatique, mais super talentueux possédant le meilleur tir sur réception de l’équipe. Domi s’était contenté de grenailles offensivement au cours des deux dernières années. On réalise aujourd’hui qu’on le connaissait fort mal. Difficile pour un athlète dans son genre de se justifier dans un marché comme l’Arizona. Comment pouvait-on prévoir que cette boule d’énergie allait devenir la surprise de la saison jusqu’ici?

Comme on l’a beaucoup critiqué quand le Canadien représentait un véritable fouillis, on veut bien accorder à Bergevin tout le mérite qui lui revient dans les circonstances, tout en se gardant une petite gêne, cependant. On aime ce qu’on voit, mais est-ce que le Canadien peut maintenir ce rythme? Peut-il logiquement passer d’une formation de fond de peloton à une puissance dans l’Est en l’espace de quelques mois? Quand les grosses machines de la ligue commenceront à rouler à fond de train à la mi-saison, il est bien possible que le Canadien ne soit plus dans le coup. On aimerait y croire, mais le doute est persistant.

Le visage du Canadien est totalement différent de celui de l’an dernier à pareille date alors qu’on se demandait qui de Jacob De La Rose ou de Byron Froese allait devenir le troisième ou quatrième centre de l’équipe? Bergevin a connu un été plus florissant cette fois grâce à l’acquisition d’acteurs de soutien de meilleure qualité en Domi, Tatar et Xavier Ouellet. Il y a un an très exactement, le Canadien avait entrepris la saison avec neuf joueurs qui n’appartiennent plus à l’organisation : les avants Pacioretty, Galchenyuk, De La Rose, Torrey Mitchell et Alex Hemsky, les défenseurs Mark Streit, Joe Morrow et Brandon Davidson et le gardien Al Montoya.

Ils ont été remplacés par Domi, Ouellet, Tatar, Joel Armia, Jesperi Kotkaniemi et Matthew Peca, en plus des acquisitions de Mike Reilly et Nicolas Deslauriers obtenues en cours de saison, l’an dernier. Sans trop savoir ce qu’ils allaient tous apporter à l’équipe cette saison, on était au moins d’accord sur un point, on avait radicalement épuré le vestiaire.

La reconstruction évitée

On a tous souri quand le directeur général a plutôt parlé de reset que de reconstruction en s’appuyant sur le fait qu’une équipe jouissant d’un atout de la stature de Carey Price ne pouvait pas se permettre de tout effacer et recommencer. De toute évidence, la reconstruction a été évitée. Au lieu de donner l’impression de tuer le temps comme ils l’ont fait la saison dernière, les joueurs semblent apprécier les changements apportés qui leur donnent aujourd’hui une chance réelle de gravir quelques échelons plus rapidement que prévu.

On dit bravo à Bergevin, même si le Canadien est loin d’être sorti de l’auberge. Une bonne partie du public et les médias en général s’accordent un certain temps avant de passer l’éponge sur ce qu’ils ont vécu depuis deux ans. C’est normal qu’il y ait des sceptiques. La clientèle du Canadien, dont les critiques étaient pleinement justifiées, a trop souffert pour qu’elle érige aujourd’hui une statue à Bergevin.

Mais parions qu’il respire mieux depuis quelques semaines. Cette période d’accalmie est méritée. Bergevin a probablement fait des pas de géant dans l’estime d’un propriétaire déçu et inquiet. Il lui a fait la démonstration, en dépit des insuccès des deux dernières années, qu’il est toujours l’homme de la situation. Bergevin, qu’on le veuille ou non, est en train de s’acheter du temps, peut-être pour quelques saisons de plus, qui sait?

Quand Geoff Molson a lancé très fermement dans un point de presse télévisé à la grandeur du Québec que le statu quo ne serait pas acceptable de sa part, le message s’est visiblement bien rendu à Bergevin et Julien. Ce n’est peut-être qu’une impression, mais les deux principales têtes de hockey de l’organisation semblent nettement plus à leurs affaires. Bergevin a changé la face de l’équipe tandis que Julien ne ménage pas les décisions courageuses. Il décide et il tranche, même quand ça fait mal.

Soudainement, l’équipe passe avant l’ego de chacun. Les décisions qui sont prises sont plus aiguisées, plus dynamiques. Les joueurs s’offrent habituellement moins de liberté quand ils sentent les patrons très en contrôle. Ça donne ce qu’on voit en ce moment.

En souhaitant que ça dure.