MONTRÉAL – Alexandre Alain nous donne rendez-vous à 8h30. Il est plutôt rare d’être convoqué pour une entrevue à une heure aussi précoce, surtout par un joueur de hockey. Mais voilà, Alain n’est plus vraiment un joueur de hockey.

L’ancien attaquant du Rocket de Laval le dit lui-même : il n’a jamais cadré dans le moule dont semblait sortir la plupart de ses confrères. Ne penser qu’au hockey dix mois par année, puis sortir les bâtons de golf durant l’été, ça ne lui ressemblait pas. Lui s’inscrivait à des cours universitaires pour combler ses temps libres. Il aimait voyager, faire de la randonnée ou du vélo, exposer son esprit à de nouvelles découvertes.

En ce doux matin de janvier, par exemple, où on le rejoint dans sa demeure de Québec, Alain est pressé de prendre la direction des pentes.

« Je fais beaucoup de ski de randonnée, du "touring" qu’on appelle. C’est un nouveau trip que j’ai pogné cette année. Avec le confinement et les centres de ski qui ont moins de neige, on s’est mis là-dedans pis on trippe au bout. »

C’est pour retrouver une vie normale, une vie dans laquelle il n’aura pas à mettre ses nombreux intérêts sur la glace, qu’Alain a pris la plus importante résolution de sa vie alors que l’année 2020 tirait à sa fin. Le 31 décembre, le Canadien a annoncé que son jeune ailier ne se présenterait pas au camp de l’équipe. Son contrat, qui était valide pour une autre saison, avait été résilié, à sa demande.

Plusieurs seraient prêts à camper devant le Centre Bell pour la chance de jouer en Bleu-Blanc-Rouge. Alain en avait une et y a tourné le dos, à 23 ans. Le sport le passionne encore, mais le mode de vie qui y est rattaché ne le rejoint plus. Le communiqué du Canadien dit qu’il va « reconsidérer son avenir dans le hockey professionnel ». En personne, la langue de bois prend le bord. On parle bel et bien d’une retraite sans possibilité de retour en arrière.

 « C’est clair que d’un point de vue extérieur, ça peut être vu comme une action courageuse. Mais je l’ai fait pour moi, j’ai juste été honnête avec moi-même. Ce n’est pas une décision qui s’est prise du jour au lendemain. Déchirer un contrat comme ça, je ne me lève pas un matin et je dis ‘je vais faire ça’. Il y a un gros processus derrière ça, j’ai beaucoup réfléchi. La pandémie aussi a joué dans la balance, je pense. Le fait d’avoir eu beaucoup de temps pour réfléchir, puis que la saison soit reportée, ça m’a permis de penser un peu plus à mon avenir. »

« Je me suis toujours dit que dans ma vie, j’allais prendre les actions qui allaient me rendre heureux, poursuit-il. Le hockey ne me rendait pas malheureux, loin de là. Je signerais le contrat que j’ai signé n’importe quand. Ça a été un trip incroyable. Je me suis donné la chance de vivre ça au fond, je me suis investi vraiment à 100% dans le hockey. Mais je pense que j’étais rendu à un moment dans ma vie où je voulais explorer d’autres intérêts. »

Parmi ces intérêts, il y a les études. Alain, qui détient un diplôme d’études collégiales en sciences de la nature et qui prenait des cours comme étudiant libre depuis ses débuts dans le hockey professionnel, s’y est remis à temps plein en septembre dernier en s’inscrivant au baccalauréat en physiothérapie à l’Université Laval. Les cours théoriques en ligne et les laboratoires auxquels il a participé en classes lui ont confirmé ce dont il se doutait déjà : il a trouvé sa branche. Sa deuxième session débutera le 18 janvier.

« On ne saura jamais »

Alain était à la fois tout près et assez loin de la Ligue nationale au moment d’accrocher ses patins. Mis sous contrat comme joueur autonome après sa cinquième et dernière saison dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, il a démontré une progression intéressante en deux saisons dans la Ligue américaine. Auteur de 28 points en 72 matchs à son année recrue, il en avait amassé 24 en 60 matchs lorsque la crise du coronavirus a mis fin prématurément à la saison 2019-2020.

La troisième saison est souvent celle de l’éclosion dans la LAH, mais d’un point de vue réaliste, il aurait été improbable qu’Alain se faufile à l’avant de l’imposant peloton d’espoirs du Canadien. Il cognait à la porte, mais comme le party est pris dans la cuisine, on ne l’aurait peut-être jamais entendu.

« J’ai eu deux bonnes saisons, le Canadien m’aimait bien comme joueur et comme personne. Si je continuais à me développer, j’aurais peut-être pu un jour signer un autre contrat... On ne saura jamais parce que c’est la fin pour moi. »

Et s’il avait marqué 25 buts l’an dernier, sa réflexion l’aurait-elle mené aux mêmes conclusions?

« C’est vraiment dur à dire. Je pense que oui, honnêtement. Je ne peux pas le dire parce que ce n’est pas arrivé et en ce moment, je me fie à ce que je pense dans ma tête. On ne saura jamais. Mais je suis bien avec ma décision, je suis vraiment en paix et ça ne me tente pas non plus de me créer des scénarios. Si j’avais fait ça, si j’avais eu un rappel, un jour j’aurais peut-être pu jouer dans la LNH... Rendu là, j’ai pris ma décision, on regarde vers l’avant, on passe à autre chose. »

« Oui je vais m’ennuyer du hockey et c’est clair que quand je vais regarder un match du Rocket ou du Canadien à la télé, ça va me faire de quoi. C’est normal. C’est clair que pendant une journée d’étude avant un examen, ça va m’arriver de me dire que je serais bien à faire ma petite sieste d’avant-match. Ce sont des choses qui m’ont passé par l’esprit, mais au bout du compte, j’ai pris la décision pour moi et j’ai vraiment hâte pour la suite. »