À la suite de la pause du Match des étoiles, il a été quelque peu surprenant de voir l’entraîneur-chef du Canadien de Montréal, Claude Julien, montrer du doigt Jordie Benn et l’envoyer sur la galerie de presse à la faveur de Joe Morrow. Ce n’est pas parce que Benn ne joue pas mal, car oui, il joue mal. C’est plutôt parce que Julien n’est habituellement pas un entraîneur qui montre ses joueurs du doigt publiquement.

 

De plus, ce geste n'a pas été posé après une partie où l’entraîneur était fâché en raison d’une erreur coûteuse. Au contraire, ce geste a été posé après une longue fin de semaine de congé où Julien a été en mesure de réfléchir à ses actions. C’était planifié.

 

Plus tôt cette saison, Max Pacioretty a fait savoir que quand Julien pointe publiquement du doigt un joueur, vous pouvez présumer qu’il a déjà parlé à ce joueur et mentionné que ceci allait se produire avec les motifs justifiant cette décision. Ainsi, Benn n’a probablement pas été surpris, mais c’est certainement un coup de pied au derrière du vétéran défenseur.

 

L’absence de Shea Weber et l’effectif globalement assez faible du Canadien en défense ont fait en sorte que tous les arrières de l’équipe occupent un rôle plus important que ce que dicte leur talent. Il est donc normal qu’ils connaissent des difficultés. Alors, pourquoi Julien a-t-il précisément montré Benn du doigt? Observons quelques statistiques cumulées depuis 2018.

 

Jordie Benn

 

En vous attardant simplement aux différentiels de chances de marquer à haut risque, Benn s’en sort bien. Une raison expliquant cela est qu’il est assez bon au moment de s’impliquer à l’attaque, même s’il n’amasse pas beaucoup de points. La principale raison est cependant que le Canadien s’en tire très bien quant au volume de chances de marquer depuis la nouvelle année.

 

Dans le cas de Benn, il faut analyser tous les facteurs qui affectent la qualité des tirs, pas seulement leur provenance, le principal facteur à considérer étant les retours de lancers.

 

Le Canadien récupère un minimum de 55 % des retours lorsque d’autres défenseurs que Jakub Jerabek et Benn sont sur la glace. Toutefois, ces deux derniers ne récupèrent respectivement que 42 % et 41 % des retours. Cela fait en sorte que Carey Price doit effectuer plus d’arrêts difficiles, alors que les tirs qu’il reçoit sont de bien meilleure qualité lorsque Jerabek et Benn sont sur la patinoire.

 

Ne pas être en mesure de récupérer les retours de lancers est un gros problème. Pour les observateurs les plus attentifs, c’est quelque chose que vous auriez remarqué des ennuis récents de Benn et Jerabek. La question est maintenant à savoir pourquoi pointer du doigt uniquement Benn?

 

Voici pourquoi. À mon avis, Julien a été extrêmement brillant. Tout le monde sait que les résultats de cette saison sont très décevants, mais Julien a été constant dans quelques facettes, ce qui est de bon augure pour le futur. Il sait que Benn est un vétéran et qu’il en a vu d’autres, ayant notamment évolué pour des entraîneurs qui n’ont pas la langue dans leur poche comme Lindy Ruff.

 

Pour sa part, Jerabek est un peu plus jeune, et il s’ajuste encore aux patinoires nord-américaines et au style de jeu de la LNH. En visant Benn pour qu’il devienne le centre d’attention, il a protégé Jerabek, tout en lui envoyant un message en punissant son partenaire.

 

Cela ne change rien au fait que Benn est également responsable de leur mauvais rendement quant aux retours de lancers. Jerabek a également de la difficulté à enrayer les contre-attaques adverses.

 

Cette stratégie visant à protéger et à faire confiance aux jeunes joueurs reflète bien les décisions prises par Julien tout au long de la saison. Pour ce qui est de la production offensive, Artturi Lehkonen et Charles Hudon présentent des rendements très décevants considérant leur temps de jeu en avantage numérique et le rôle qu’ils occupent dans la formation, mais ces deux joueurs affichent d’excellentes statistiques avancées. Lehkonen mène l’équipe pour les chances de marquer à haut risque, alors qu'Hudon mène l’équipe pour les chances de marquer créées pour ses coéquipiers. Ce sont les deux meilleurs joueurs du Canadien cette saison quant au différentiel de chances de marquer à haut risque.

 

Pour la plupart des entraîneurs, faire les bonnes choses sans obtenir les résultats escomptés n’est pas suffisant pour garder sa place. Imaginez alors évoluer sur l’un des deux premiers trios et sur l’avantage numérique. Les entraîneurs cherchent toujours des solutions, étant toujours à l’affût de petites choses pour arracher une victoire ici et là.

 

Continuer de faire confiance à ces jeunes joueurs, malgré les difficultés qu’ils ont à convertir leurs chances, est le bon raisonnement à long terme en cette saison qui n’offre pas grand-chose de positif. Il est facile de s’attarder aux erreurs qu’a faites Julien cette année. Il y en a assurément quelques-unes. Examiner plutôt comment il approche les choses à long terme est bien plus intéressant, du moins à mes yeux.