Dès leur première réunion d'organisation l'été dernier, on n'avait pas vraiment à fouiner par le trou de la serrure du bureau de Marc Bergevin pour obtenir la confirmation du discours qu'il tenait aux hommes de hockey qu'il venait d'embaucher.

Bergevin, qui se voyait accorder une première chance comme directeur général par la formation de sa ville natale, tenait absolument à ce que son groupe exerce un impact immédiat sur le Canadien. À ses yeux, cet impact devait être majeur dès cette saison. Il leur fallait donc extirper l'équipe de la cave du classement dans l'Association Est et la hisser jusqu'en séries. Dans le public et les médias, ils étaient nombreux à considérer cela comme une mission impossible, car il y avait beaucoup trop de correctifs à apporter pour que ce soit un objectif réaliste dans un si court délai.

« Danny Kristo est sur la bonne voie »
« Danny Kristo est sur la bonne voie »

Même s'ils étaient tous gonflés à bloc pendant que les joueurs étaient occupés à se négocier une convention collective respectable, aucun d'eux n'aurait osé imaginer la situation dont nous sommes témoins en ce moment. Pensez-vous un seul instant que Bergevin leur a dit qu'il fallait à tout prix faire passer l'équipe de la dernière à la première place? Bien sûr que non. Ils allaient surtout concentrer leurs efforts dans le but de la placer en séries. L'objectif ultime devenait donc la huitième place, minimum.

À moins d'un mois de la fin de ce calendrier écourté, les séries sont assurées à Montréal. Avec un gardien de la qualité de Carey Price, un défenseur aussi spectaculaire que P.K. Subban, un général comme Andrei Markov, un joueur complet comme Tomas Plekanec et une boule d'émotion comme Brendan Gallagher à ses côtés, c'est assez évident que Therrien ne laissera pas l'équipe s'endormir d'ici la fin.

Voilà pourquoi, au cours des derniers jours, Bergevin a regardé ses homologues sacrifier de belles réserves dans le but d'acquérir des « sauveurs de la dernière heure », des acquisitions qui produisent rarement l'effet recherché dans une course pour une place en séries. De toute façon, l'objectif premier de Bergevin n'a jamais été de gagner la coupe Stanley dès cette saison. Bien sûr, si l'occasion se présente de remporter un premier championnat en 20 ans, on va se battre avec l'énergie du désespoir pour y arriver, mais il n'était pas question pour le jeune patron du Canadien de perdre un premier choix de repêchage ou un jeune capable d'aider le Canadien durant les dix prochaines années dans l'unique but d'améliorer ses chances de gagner la coupe.

Il n'y a pas de doute que Jaromir Jagr aurait pu faire une très belle différence avec le Canadien, mais Bergevin n'aurait jamais payé ce que les Bruins ont déboursé pour l'obtenir. Compte tenu des gestes intelligents qu'il a posés depuis qu'il est en poste, on n'aurait pas compris qu'il se déleste de deux jeunes joueurs et d'un choix de deuxième ronde (qui pourrait devenir un premier choix si jamais les Bruins atteignent la finale de l'Association). C'aurait été ridicule de courir ce risque quand la coupe Stanley sera un objectif beaucoup plus réaliste dans un an ou deux.

Il faut respecter sa vision des choses. Bergevin a pris des décisions qui ont permis au Canadien de faire d'étonnants pas en avant jusqu'ici, comme l'illustrent les exemples suivants.

-  Pour services rendus dans des moments difficiles, il aurait pu permettre à Randy Cunneyworth et à Randy Ladouceur de rester associés à l'organisation dans un rôle différent, mais il les a remerciés parce que malgré leur honnêteté envers l'organisation et leur vaste expérience, ils étaient reconnus comme des proches de Pierre Gauthier, l'homme qui a été directement responsable de l'une des chutes les plus humiliantes dans l'histoire du Canadien. Le premier coup de balai significatif, c'est de ce côté qu'on devait le poser si on voulait rapidement faire une croix sur un passé désastreux.

-  Il a racheté le contrat de Scott Gomez, qui représentait la plus mauvaise empreinte de Bob Gainey et Pierre Gauthier dans le vestiaire.

-  Il s'est rapidement forgé une réputation comme directeur général en tenant tête à P.K. Subban dans sa négociation de contrat. Si Subban avait obtenu une entente mirobolante de cinq ou six ans, Bergevin aurait été perçu comme un directeur général comme les autres. Or, c'est assez évident qu'il veut être un patron différent de tout ce qu'on a vu à Montréal depuis le départ de Serge Savard.

-  Il s'est vite débarrassé d'Erik Cole après avoir constaté qu'un vétéran qui allait lui coûter une petite fortune au cours des deux prochaines années n'avait plus beaucoup d'essence dans le réservoir. Il a agi avant que le mot se passe dans la ligue.

-  Finalement, il n'a rappelé aucun jeune de la filiale et n'a acquis aucun joueur d'une organisation rivale dans le but d'en faire un réserviste. Chaque rappel et chaque acquisition ont été réalisés dans un but très précis. L'exemple le plus récent est celui de Jeff Halpern.

Bergevin fait son nom

L'acquisition d'un défenseur possédant une belle feuille de route, capable de se glisser parmi les six premiers, aurait été souhaitable. Toutefois, Bergevin sait sans doute des choses que tout le monde ignore. À preuve, la présence sur la patinoire de Raphael Diaz ce matin qui a représenté une heureuse surprise.

Pour le reste, il fallait protéger la chimie de l'équipe, un élément primordial dans les étonnants succès du Canadien. Par la même occasion, Bergevin a refilé le message à ses joueurs qu'il est très satisfait de ce qu'il a vu jusqu'ici. Que l'équipe soit restée intacte après cette dernière journée ouverte aux transactions doit être considéré par les joueurs comme un vote de confiance qu'ils ont d'ailleurs pleinement mérité.

De tous les joueurs qui ont changé de camp aujourd'hui, c'est Jason Pominville qu'on aurait aimé voir avec le Canadien. Bien sûr, Bergevin aurait pu offrir davantage pour mettre le grappin sur lui, mais négocier avec les Sabres aurait été une perte d'énergie et de temps. Jamais les Sabres n'auraient cédé leur capitaine au Canadien qui est un rival de division. Sans compter que Pominville, dans un chandail tricolore, aurait pu les hanter durant plusieurs saisons.

Je dis donc « bien joué, Marc Bergevin ». La meilleure façon de se présenter comme un candidat sérieux à la coupe Stanley est de démontrer du flair à l'occasion des séances de repêchage et de développer le talent des plus beaux espoirs. Le Canadien a cessé d'être la risée de la ligue au repêchage au cours des six dernières années et Bergevin a mis beaucoup d'emphase sur le développement en retenant les services de Patrice Brisebois et Martin Lapointe dans ce but bien précis.

Pacioretty, Subban, Dumont, Tinordi, Gallagher, Beaulieu et Galchenyuk, auquels il faut ajouter les noms de Kristo, Leblanc, Collberg, Bozon et Hudon, est une preuve assez évidente des progrès qui ont été réalisés depuis 2007 par l'équipe de recruteurs dirigée par Trevor Timmins.

Ainsi, on comprend mieux pourquoi le directeur général recrue est prêt à y mettre le temps pour bâtir une équipe solide capable de mettre fin éventuellement à plus de deux décennies d'insuccès. Un autre que Bergevin se serait peut-être senti obligé de réagir aux transactions majeures des Penguins et des Bruins. Je ne veux pas mettre des mots dans sa bouche, mais je crois qu'il ne veut pas être un Jay Feaster, un Paul Holmgren, un Bryan Murray ou, mieux encore, un Ray Shero ou un Peter Chiarelli.

Il veut juste être Marc Bergevin. Et il l'a été jusqu'ici.