Francis Bouillon s'en va à la guerre dans les séries, d'abord pour son équipe, ensuite pour lui-même. Contre le Lightning de Tampa Bay, le Canadien jouera gros, mais sûrement pas autant que son vétéran défenseur qui, lui, jouera ce qui lui reste de carrière dans la Ligue nationale.

Durant la saison, Bouillon a passé pas moins de 30 matchs sur les galeries de presse du circuit. Il a notamment connu une séquence de 11 absences en 15 parties et une deuxième de 15 congés forcés en 16 rencontres. Trente matchs, c'est plus du tiers du calendrier. Il n'a jamais eu la vie facile durant sa carrière, mais il n'aurait jamais cru vivre pareil cauchemar à la croisée des chemins. Surtout en étant dirigé par Michel Therrien, un entraîneur qui a toujours été très bon pour lui et pour sa carrière.

Peut-être qu'un autre que lui se serait plaint de cette situation. Peut-être qu'il aurait subtilement laissé filtrer son mécontentement dans les médias. Un autre que lui aurait pu céder au découragement, ce qui aurait contribué à empirer sa situation. Bouillon, lui, s'est cramponné.

Ce n'était pas évident, cependant. Il a passé des soirées à se ronger les ongles et des nuits blanches à se demander si ces absences répétées n'allaient pas finir par précipiter sa fin de carrière. Ce n'est jamais très bon quand un joueur, vétéran de surcroît, se fait oublier par les autres formations de la ligue parce qu'on ne le voit plus sur la glace.

« Mentalement, cette saison n'a pas été évidente, admet-il. Je pense avoir réussi à m'en sortir parce que je n'ai jamais accepté ma situation. C'est un peu l'histoire de ma carrière. À chaque camp d'entraînement, on me demandait si j'allais pouvoir conserver mon poste. À 33 ans, je me faisais demander si j'en étais à ma dernière saison, mais à 38 ans, je suis toujours là. Je vis bien avec ce que j'ai accompli. Personne ne croyait que je pouvais connaître ce genre de carrière. Par contre, durant mes absences, je me disais que si je ne jouais pas, aucune équipe ne se souviendrait que j'existe. Or, je veux poursuivre ma carrière. Je veux rester avec le Canadien, mais si ce n'est plus possible, je me dis que je pourrai encore frapper à la porte de 29 formations. »

Comme il l'a toujours fait depuis qu'il est en couple, c'est à deux que toute cette incertitude a été vécue à la maison. Sa femme et lui ont beaucoup jasé de leur avenir au cours des dernières semaines. Que se passera-t-il si le Canadien le libère durant l'été? En somme, ces 30 matchs dans un rôle de spectateur ont pris la forme d'un sérieux avertissement.

« On jasait, ma femme et moi, de ce qui pourrait m'arriver, souligne-t-il. Nous avons toujours été forts dans ce genre de situation car j'ai souvent eu des remises en question. Dans le cas présent, je veux tout faire pour prolonger ma carrière et elle est d'accord pour m'accompagner dans mon cheminement. Quand j'ai joué dans la Ligue internationale et dans la Ligue américaine, elle a quitté son emploi à Québec pour me suivre. Elle est encore prête à m'épauler. Elle sait que je serais malheureux si ça s'arrêtait là, la saison prochaine. »

Courageux et passionné

Quand on l'a invité à un camp d'entraînement du Titan de Laval, il y a 22 ans, c'était d'abord pour remplir un chandail parce qu'on manquait de monde. On planifiait de le libérer à la fin du camp. Contre toute attente, il a mérité un poste. Même si Bouillon a souvent traversé des périodes d'incertitude, il n'a jamais cessé de gravir des échelons. Jamais dans ses rêves les plus fous il n'aurait cru jouer au hockey à un salaire de 1.5 million de dollars par saison. Dans les circonstances, avec une femme et des jumeaux, on ne peut s'empêcher de penser qu'une saison additionnelle vaudrait son pesant d'or.

Il apporte vite une précision. « L'argent est un élément important, mais si je tiens absolument à poursuivre ma carrière l'an prochain, c'est d'abord parce que mon goût de jouer est encore très fort, précise-t-il. J'ai toujours été un gars honnête avec moi-même et avec les autres. Si la passion n'y était plus ou si je n'avais plus l'énergie pour jouer à ce niveau, je serais assez honnête pour me tasser et accepter que ce soit terminé. Or, je m'entraîne encore très fort et la passion est toujours bien présente. »

Samedi, on l'a vu s'en prendre à Derek Dorsett, des Rangers, un solide bagarreur qui venait de sortir le genou dans une tentative assez évidente pour blesser David Desharnais. Dorsett ne s'attendait sûrement pas à ce qu'un joueur de cinq pieds et huit pouces le fasse payer pour son geste. C'est ça, Francis Bouillon, un joueur d'équipe qui ne choisit pas ses adversaires.

À son retour au vestiaire, joueurs et entraîneurs lui ont témoigné leur appréciation. Des tapes dans le dos qu'il a appréciées. Encore une fois, il était allé à la guerre pour ses coéquipiers

« Les gens me connaissent; ils savent que je n'hésite jamais dans ces moments-là. L'an dernier, je me suis battu deux fois parce qu'on avait frappé Brendan Gallagher. Je me suis même déjà battu contre Colton Orr. C'est ce chien que j'ai dans le corps qui m'a permis de jouer dans la Ligue nationale. Dorsett venait de faire mal à un coéquipier, à un frère. Dans ce genre de situation, il faut qu'il y en ait un qui impose le respect. »

Les présentes séries pourraient lui donner un bon coup de pouce si jamais il se rendait utile à tous les matchs. Il y aura plusieurs défenseurs disponibles dans l'organisation l'an prochain, dont quelques jeunes sans expérience. Marc Bergevin aura des décisions très importantes à prendre durant l'été. Bouillon affirme qu'il respectera la décision qui sera prise à son sujet. Ce qui ne veut pas dire qu'il acceptera de remiser ses patins.

« Quand on m'a accordé des chances durant ma carrière, j'ai toujours su en profiter. Toute ma vie, je n'ai fait que ça, saisir mes chances. C'est une chose que d'obtenir une chance. C'en est une autre que de la saisir », conclut-il.

Bouillon, qui commencera le premier match avec un autre guerrier, Mike Weaver, espère profiter d'une véritable occasion de servir l'équipe durant les séries. Il en va de son avenir à court terme.