MONTRÉAL – Le Canadien a eu la main heureuse avec deux joueurs qui pouvaient être qualifiés de « projet » au cours des dernières années. Deux choix de septième ronde dont l’avenir à Montréal était statistiquement improbable, mais qui sont parvenus à débroussailler leur chemin jusqu’à la Ligue nationale.

Jake Evans est arrivé à ses fins en suivant patiemment chacune des étapes qui lui étaient prédites. Cayden Primeau l’a fait en défonçant les portes et en ébranlant les conventions. Vous ne les verrez probablement jamais prendre leur café dans l’une de ces tasses bon marché tatouées de l’adage populaire voulant que c’est le voyage qui compte et non la destination. Si vous êtes capable de faire le travail dans la LNH, personne ne vous demandera d’où vous venez ou de combien de temps vous avez eu besoin pour vous y rendre.

Maintenant qu’ils ont fait leur entrée dans le club, Evans et Primeau sont peut-être mieux de réserver une place à leur table parce qu’il n’est pas impossible que Brett Stapley les y rejoigne prochainement pour un petit breuvage chaud.

Plus les années passent et plus le parcours de Stapley ressemble à celui d’Evans. Les deux étaient de chétifs joueurs de centre lorsqu’ils ont été repêchés, Evans à quelques jours de la majorité et Stapley quelques mois après son 19e anniversaire. Le CH a investi son dernier droit de parole en 2014 pour sélectionner Evans au 207e rang. Quatre ans plus tard, il a utilisé le 190e choix de l’encan pour s’approprier les droits de Stapley.

Evans a refusé les avances des Rangers de Kitchener pour s’enrôler à l’Université Notre Dame. Stapley a opté pour la même stratégie, renonçant à une invitation des Hitmen de Calgary afin de préserver son admissibilité dans la NCAA. Il a ultimement choisi l’Université de Denver.

Evans a connu une première année tranquille sur le campus, mais est sorti de sa coquille l’automne suivant. À ses deux premières saisons à South Bend, sa moyenne de points par match est passée de 0,41 à 0,89. Celui que nous avons identifié comme son émule suit une courbe similaire : de 0,59 point par partie à son année recrue, il a haussé sa production à 0,85 point par partie cette année.

Evans a atteint la LNH à 23 ans, après un peu plus d’une saison et demie dans la Ligue américaine. Il revient maintenant à Stapley d’écrire le reste de son histoire. « C’est lui qui tient le bâton », dirait Joël Bouchard, qui a supervisé une partie de l’ascension d’Evans comme entraîneur-chef du Rocket de Laval.

Selon un observateur qui nous a demandé de taire son nom, ses chances d’y arriver sont bonnes... en autant que ses ambitions demeurent modestes. Aux yeux de notre source, Evans et Stapley sont voués au même avenir, celui d’un joueur de soutien qui pourrait grappiller ici et là sa part de matchs dans la LNH, mais qui ne fera jamais partie des plans d’une équipe qui aspire à jouer jusqu’en juin. « Evans est plus intelligent, Stapley a plus de vitesse », conclut notre homme.

Un brillant passeur

Ce pronostic un peu raide n’enlève rien à la belle carrière universitaire que Stapley est en train de se forger. À 21 ans, l’attaquant de 5 pieds 10 pouces et 177 livres vient de terminer l’année au troisième rang du classement des pointeurs de l’une des meilleures équipes de ce qui est considéré comme la plus forte conférence du circuit universitaire américaine. Il a été utilisé au centre de la deuxième ligne d’attaque des Pioneers, souvent aux côtés du jeune espoir des Flyers de Philadelphie Bobby Brinks, en plus d’être appelé à contribuer sur sur les deux fronts des unités spéciales.

« Ça fait un petit bout que je le connais puisque je l’avais vu jouer dans la BCHL à mon retour dans la NCAA, raconte le Québécois Dave Noël-Bernier, qui occupe depuis trois ans le poste d’entraîneur-adjoint des Mavericks de l’Université d’Omaha. Je me demandais si son style de jeu cadrerait bien dans notre conférence, mais il a vraiment réussi la transition. Denver a une équipe remplie de joueurs petits, mais rapides. C’est un match parfait pour lui. Son trio était toujours dangereux. Tu ne pouvais pas t’endormir contre eux. »

Stapley, on le comprend vite en observant ses statistiques, est d’abord et avant tout un passeur. David Carle, son entraîneur-chef, le dit doté d’une habile paire de mains et d’un sixième sens pour repérer un coéquipier démarqué.

« Mais il y a une troisième chose et c’est qu’il a un don pour tendre des pièges à ses adversaires, ajoute-t-il. En descendant simplement une épaule ou avec un subtil mouvement des mains, il est capable de créer lui-même ses lignes de passes. Vous le voyez ralentir un brin, ramener la rondelle sur son côté fort et forcer un défenseur à se commettre. Rien de tout ça n’est chaotique, ça se fait tout en douceur. Je crois que c’est un talent très particulier qu’il possède. »

On pourrait croire que Stapley, qui n’a marqué que cinq buts à chacune de ses deux saisons universitaires, a les défauts de ses qualités. Que ce passeur inné a la fâcheuse tendance à lever le nez sur une chance de qualité pour chercher un partenaire afin de compléter un jeu esthétiquement plus satisfaisant. Ce n’est pas le cas, défend Carle.

« Sa prise de décision est généralement très bonne. J’aimerais certainement le voir marquer plus de buts! Mais je crois qu’il a un meilleur tir que ce que ses chiffres indiquent. Je crois qu’il était quatrième au sein de notre équipe dans la colonne des tirs au but [NDLR après vérification, il était en fait au sixième rang avec 83 tirs], alors ce n’est pas comme s’il ne lançait pas au but. Mais c’est l’un des messages que je lui ai transmis pour cet été : il doit travailler sur sa précision et la vitesse avec laquelle il décoche ses tirs. Il est trop bon pour ne marquer que cinq buts par saison et ça ferait de lui un passeur encore plus dangereux si son tir représentait une réelle menace. »  

Entre bonnes mains à Denver

Dave Starman, qui est analyste des matchs de hockey universitaire au réseau américain CBS, dresse lui aussi un portrait élogieux de Stapley. Il le décrit non seulement comme un joueur rapide doté de bonnes mains, mais un joueur de centre intelligent et responsable qui excelle au cercle des mises en jeu.

Il voit également en lui une combativité qui compense largement pour sa petite taille, une observation qui a aussi trouvé écho chez nos autres intervenants. « Il va falloir qu’il devienne plus pesant, mais il a l’intelligence et le chien pour jouer dans le trafic », nous a résumé Dave Noël-Bernier.

« La question, c’est bien sûr de savoir si ses habiletés lui permettront de faire sa place dans la LNH malgré son gabarit, développe Starman, qui a déjà été employé au sein du département du recrutement professionnel du Canadien. Son développement dans les deux prochaines années nous donnera une partie de la réponse, mais il a l’avantage de jouer pour un personnel d’entraîneurs qui est reconnu pour bien enseigner et soutirer le meilleur de ses joueurs. Si je dirige une équipe de la LNH, je dors tranquille en sachant qu’un de mes espoirs est à Denver. Ça a été l’une des forces de ce programme pendant des années avec George Gwozdecky, ça a continué de l’être avec Jim Montgomery et ça l’est toujours aujourd’hui avec Carle. »

« L’une des choses qui a beaucoup aidé Brett, c’est tout le temps de jeu que Carle lui a donné l’an passé – à lui comme à toutes ses autres recrues d’ailleurs – dans le but d’avoir une équipe plus aguerrie dans un futur proche. Son calme crevait les yeux sur la patinoire cette année et ça ne fait aucun doute que c’est un effet direct de la confiance que le personnel d’entraîneurs lui a témoignée à sa première saison, alors qu’il jouait un rôle important pour l’une des cinq meilleures équipes au pays. »

« Brett a fait d’énormes progrès cette année. Il est sur le bon chemin », se permet de prédire David Carle.