À 24 heures du premier match de la série Canadiens-Rangers, j’ai rendu visite au dernier entraîneur à avoir préparé et inspiré le Tricolore pour sa dernière coupe Stanley. Le dernier homme à l’avoir gagnée au Canada, par la même occasion.

L’état de santé de Jacques Demers est stable, ce qui signifie qu’il est toujours partiellement paralysé et qu’il ne parle toujours pas. Ce qui ne veut pas dire qu’il soit incapable de se faire comprendre quand un sujet de conversation le captive. Coach Demers, comme l’appellent ses amis et la majorité de ses ex-collègues du sénat, est encore et toujours « coach Demers ».

Il a effectué trois sorties publiques au Centre Bell depuis qu’il a été terrassé par un AVC. À la première occasion, on lui a demandé de remettre le flambeau au capitaine Max Pacioretty lors du match inaugural de la saison. La deuxième fois, il a été l’invité spécial de Marc Bergevin. Plus récemment, ses amis du club de golf Whitlock, à Hudson, dont il était membre, lui ont fait passer une magnifique soirée dans une loge. Chaque fois, il est reparti énergisé, oubliant temporairement que sa vie a beaucoup changé.

En lui rendant visite, je voulais savoir ce qu’il pensait de la série Montréal-New York et du sort qui attendait le Canadien, selon lui. On a jasé de la nette domination de Carey Price sur son vis-à-vis Henrik Lundqvist. Je lui ai rappelé que le gardien des Rangers, qui démontrait des signes de ralentissement, avait connu sa part de difficultés cette saison. Dans les circonstances, le Canadien partait favori.

Sa réaction a été instantanée. Il a froncé les sourcils et a fait la grimace. C’était assez évident qu’il ne partageait pas cette opinion. Mais alors, pas du tout.

« Quoi, Jacques, tu crois que Lundqvist pourrait s’avérer un obstacle majeur sur la route du Canadien? »
Il a acquiescé d’un signe de la tête.

« Tu crois vraiment qu’il pourrait causer des problèmes à ton ancienne équipe? »

Autre signe approbateur de sa part.

« Est-ce que tu es en train de me dire que les Rangers pourraient éliminer le Canadien? »

ContentId(3.1229554):Bertrand Raymond donne des nouvelles de Jacques Demers au 5 à 7
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En essayant de se faire bien comprendre par différentes mimiques, il n’a pas totalement approuvé cette fois. En utilisant un geste de la main qui voulait dire que les chances de gagner étaient couci-couça d’un côté comme de l’autre, il a démontré qu’il suivait encore de près le sport qui a contribué à faire de lui une des personnalités les plus en vue au Canada.

Si Jacques avait pu s’exprimer avec la facilité du verbomoteur qu’il était avant d’être durement frappé par la maladie, il m’aurait probablement expliqué avec moult détails pourquoi on ne pouvait pas prendre cette série à la légère. Et le connaissant, lui qui a toujours prêché l’efficacité du travail en équipe, il aurait probablement ajouté que le Canadien n’y arriverait pas sans y investir beaucoup d’énergie.

Jacques a dû bien dormir après le troisième match. L’effort constant déployé par la troupe de Claude Julien, qui n’a pas connu la moindre baisse de régime de la première à la 60e minute, a dû lui rappeler quelques-uns des matchs qui ont rendu possible sa coupe Stanley de 1993.

Il a encore un bon pif

Jusqu’ici, les choses se sont passées comme il avait tenté de me le faire comprendre. Même si Price avait le numéro de Lundqvist, qui semblait incapable de gagner au Centre Bell, c’est le Suédois qui est venu voler le premier match sur cette patinoire hostile. Deux jours plus tard, le Canadien est passé à 18 secondes près d’encaisser un deuxième revers de suite. Si cela s’était produit, les Rangers auraient été gonflés à bloc pendant que les joueurs du Canadien auraient été envahis par le doute. Dans les circonstances, le moral à plat, on peut se demander où ils auraient pu puiser l’énergie requise pour offrir la performance magistrale qui leur a permis de se procurer une avance de 2-1 dans la série.

C’est loin d’être gagné pour le Canadien, mais c’est fou à quel point l’équipe est passée près d’une catastrophe. Parce que le succès de l’équipe passait par Price et personne d’autre, parce que Montréal était peut-être la seule formation parmi les 16 en lice à ne pas posséder un joueur de centre étoile, parce que Max Pacioretty n’est pas très productif en séries et parce qu’on ne savait toujours pas quoi faire d’Alex Galchenyuk dans le moment le plus crucial de la saison, la confiance des amateurs était d’une grande fragilité. On l’a compris quand ils ont donné l’impression d’avoir abandonné après le premier but des Rangers.

Dans le salon Jacques-Beauchamp, après 40 minutes de jeu, le niveau de confiance des journalistes n’était pas très élevé lui non plus. Price avait accordé un but douteux et Lundqvist était redevenu un gardien de classe mondiale. On commençait déjà à épiloguer sur le chapeau que Bergevin et Price allaient devoir porter dans le cas d’une rapide élimination. Le directeur général avait ajouté plus de poids que de talent pour lui permettre de prolonger le mandat de son équipe en séries, lui à qui on a souvent reproché de présenter une trop petite équipe pour aller à la guerre. Quant à Price, le moment était venu de gagner quelque chose de significatif, à 29 ans, pour lui permettre d’entrer dans la légende des Bill Durnam, Jacques Plante, Ken Dryden et Patrick Roy.

Bergevin profite d’un sursis quasi providentiel. À cause du but in extremis de Tomas Plekanec, Alexander Radulov a pu donner la victoire au Canadien en prolongation. Le même Radulov qui a inspiré tout le monde à New York en assommant les Rangers grâce au but le plus spectaculaire de la saison, réussi d’une seule main. On réalise plus que jamais que Bergevin, qui s’est fait passer à la varlope par des fans amoureux de P.K. Subban, a obtenu comme anticipé un général capable de changer l’ambiance dans le vestiaire et de créer un impact majeur dans les séries. Shea Weber, qui a connu une saison à la hauteur de sa réputation, offre actuellement tout ce qu’on attendait de lui.

Radulov a tenu promesse

Même si Radulov s’est avéré la plus belle prise de la saison estivale dans la Ligue nationale, Bergevin a refusé de faire courir un risque financier considérable à l’organisation en se limitant prudemment à une entente d’une seule saison avec cet athlète au passé trouble, chassé des Predators de Nashville et pratiquement de la ligue par son incorrigible manque de discipline.

Radulov lui avait juré qu’il avait beaucoup changé après s’être marié et être devenu père, mais comment Bergevin pouvait-il le croire à 100 %? S’il en avait été convaincu, il l’aurait attaché au Canadien par le biais d’une entente lucrative de cinq ans. On sait maintenant que Radulov disait vrai. Ses coéquipiers sont unanimes à son sujet. Ils ne se contentent pas de vanter ses performances inspirantes. Ils insistent sur le fait qu’il est amoureux fou du hockey et qu’il désire autant gagner que ses fans rêvent de le faire à la 6/49.

Peu importe le prix, l’équipe qui compte très peu d’attaquants vedettes pourra difficilement le laisser filer s’il parvient à faire une très grande différence d’ici la fin. Radulov a largement contribué à placer l’équipe dans une position de force dans cette série.

Par la même occasion, on a eu une preuve tangible dimanche soir qu’en offrant une performance sans la moindre bavure, le Canadien peut jouer dans la cour des Rangers sans le moindre complexe.

Au départ, c’était loin d’être certain.