D’un jour à l’autre, le sujet de discussion ne s’éteint pas. Jonathan Drouin, qui aurait pu devenir « the talk of the town » s’il avait connu une saison à la hauteur de son talent, fait plutôt les manchettes pour ce qu’il n’apporte pas à son équipe.

Si on était à la mi-saison, on s’inquiéterait moins à son sujet. On parlerait d’une simple période léthargique qui, aux yeux de la majorité, ne s’éterniserait pas. Trop de ressources pour ne pas s’en sortir, aurait-on dit. Mais la situation est bien différente cette fois. Le Canadien se bat avec acharnement pour entrer en séries. L’objectif est guidé par la fierté de chacun, mais les séries, c’est aussi une affaire de gros sous pour son propriétaire. Un proprio qui a fait de Drouin son attaquant le mieux rémunéré.

Ce n’est pas de l’acharnement médiatique à son sujet. S’il se fait régulièrement sonner les cloches dans les médias et les réseaux sociaux, c’est parce qu’il est, qu’on le veuille ou non, l’attaquant numéro un de l’organisation. On prétend avec raison que l’équipe est à la remorque de Carey Price, mais le gardien qui, lui, s’est levé quand ça comptait vraiment, a besoin d’aide. Il peut juste stopper des rondelles. Quand des attaquants n’effectuent pas leur travail, ses chances de faire la différence restent minces.

Observez ce qui se passe du côté de la Caroline cette saison. Si les Hurricanes connaissent autant de succès, c’est avant tout parce que tout le monde contribue. Il n’y a pas de passagers dans cette formation. À Montréal, la majorité des regards sont rivés sur Drouin parce qu’il est indéniablement le passager le plus visible.

Claude Julien encaisse sa part de critiques à cause de lui. Depuis quelques matchs, exception faite de celui de mardi contre la Floride, Drouin joue peu. Trop peu. Au sein d’une formation ne possédant pas beaucoup de minutions en attaque, clouer son meilleur élément offensif au banc ne constitue certainement pas une partie de plaisir pour l’entraîneur. L’inefficacité de Drouin complique sa tâche. Elle met en péril ses chances de mener sa troupe en séries. Julien a donc choisi les joueurs qui se sacrifient et qui lui en donnent davantage.

Il est inconcevable qu’un athlète aussi doué, pour ne pas dire surdoué, ait disputé 43 parties sans obtenir un seul point. Il a été blanchi dans 56.5 % des matchs qu’il a disputés. S’il avait marqué un but par-ci, par-là, et s’il en avait préparé quelques-uns de plus pour ses coéquipiers, l’équipe n’aurait pas à se battre pour une présence en séries. Elle y serait déjà depuis un bon moment.

Si Drouin était un joueur de troisième trio, il ne capterait pas autant l’attention. On ne s’attendrait pas autant à ce qu’il fasse une différence. Certes, on lui reprocherait encore de manquer de concentration, de jouer mollement, de provoquer des revirements et de ne pas trop se soucier de sa défensive, mais il ne ferait pas les manchettes aussi régulièrement pour les mauvaises raisons. Sans compter qu’à titre de membre régulier d’un troisième trio, il n’encaisserait pas 5,5 millions par saison.

Deux espoirs, deux attitudes

Quand Nathan MacKinnon et lui ont été respectivement les premier et troisième choix de la séance amateur de 2013, ils étaient perçus comme deux des plus beaux espoirs dans la Ligue nationale. Dans les circonstances, est-ce normal aujourd’hui que la grande vedette de l’Avalanche du Colorado connaît une deuxième saison consécutive de plus de 90 points pendant que Drouin est l’attaquant le moins utilisé à Montréal?

Talent similaire, mais ambition et caractère différents, probablement. Quand un jeune athlète a la chance et le privilège d’évoluer dans la meilleure ligue de hockey et qu’il ne s’entend pas avec les dirigeants de son équipe sans avoir encore prouvé quoi que ce soit, cela nous en dit long sur sa personnalité. À 20 ans, Drouin a envoyé paître l’organisation du Lightning de Tampa Bay en se permettant une grève pendant que son agent exigeait qu’on l’échange. Se placer dans cette situation à 20 ans, avec le nombril très vert, ça dépasse tout entendement.

En faisant leurs premiers pas dans le hockey, tous les jeunes feraient n’importe quoi pour atteindre la Ligue nationale. Ils en feraient l’ultime objectif de leur vie. Drouin, lui, a fait les choses à sa manière. On ne peut pas dire qu’il ait démontré beaucoup de maturité depuis qu’il a quitté les rangs juniors. Même s’il aura 24 ans demain, le temps commence à presser s’il désire asseoir sa carrière sur des bases solides.

La Ligue nationale est un gros village. C’est un milieu où les nouvelles courent vite, surtout quand elles sont négatives. On peut présumer qu’on sait déjà un peu partout quel genre d’athlète il est. Si Marc Bergevin tentait de l’impliquer dans une transaction au cours de l’été, pas sûr qu’il obtiendrait une pleine valeur pour ses services. Méchant gâchis quand on y pense.

À l’observer, il est permis de se demander s’il est toujours aussi excité d’évoluer dans sa cour. S’il l’est, il aurait avantage à le confirmer en étant plus enthousiaste, plus impliqué. Lors de son arrivée au Centre Bell, il n’y a pas un journaliste qui ne lui a pas demandé s’il se sentait capable de faire face à la pression qui l’attendait. Il a toujours répondu avec désinvolture que la pression ne le dérangeait pas le moindrement du monde. Or, il se comporte actuellement comme si le chandail qu’il porte pesait de plus en plus lourd sur ses épaules. Le CH n’est pas un logo facile à défendre. Il est accompagné de grandes responsabilités.

Néanmoins, la pression dans le marché le plus médiatisé de la ligue n’est pas aussi écrasante qu’on tente de le faire croire. Souvent, elle sert d’excuse. « Chez ceux qui agissent en professionnels, elle est très peu ressentie », me souligne un intervenant près de la scène.

Selon lui, les joueurs devraient plutôt se réjouir de pouvoir se produire devant des gens qui les adulent. Allez demander à Brendan Gallagher s’il ressent de la pression. Max Domi donne l’impression d’être débarqué dans la plus belle des cours de récréation. Tomas Tatar s’amuse dans son nouvel uniforme. Phillip Danault ne souhaiterait pas être ailleurs. Le sourire de Jesperi Kotkaniemi semble accroché en permanence sur son visage. Si Drouin se prend en mains avec l’intention bien arrêtée de devenir la vedette numéro un de l’équipe, il deviendra vite l’athlète le plus populaire en ville.

L’exemple de Guy Lafleur

Personne n’a évolué sous une plus forte pression que Guy Lafleur dans cette ville. Personne n’y a mieux répondu. Il ressentait quotidiennement l’obligation d’être le meilleur. Le meilleur de la ligue durant une décennie. Il se présentait dans le vestiaire à 15 heures en s’accordant un temps précieux pour penser à ce qu’il allait accomplir. Il avait hâte au match. Quand la cloche sonnait, il était fin prêt. Cette pression écrasante dans son cas ne l’a pas empêché de remporter trois championnats des marqueurs, deux trophées Hart, en plus de réussir six saisons consécutives de plus de 50 buts. Ce n’est pas un hasard si 35 ans après son départ du Forum, les gens l’aiment encore.

Lafleur a brillé à une époque où les meilleurs éléments du Canadien restaient des joueurs d’impact toute leur carrière durant. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs leurs chandails accrochés dans les hauteurs du Centre Bell. Ce serait agréable si Drouin y voyait une source d’inspiration.

En ce moment, sa confiance est à plat. Il semble à la limite du découragement. Qui peut l’aider à s’en sortir dans les circonstances? Est-ce qu’on lui a offert une aide psychologique? Personnellement, en ressent-il l’utilité? Qui sait, peut-être aurait-il besoin d’une personne de confiance à ses côtés, capable de refaire avec lui le chemin parcouru depuis le jour 1 de son association avec Tampa Bay tout en lui demandant ce qu’il souhaite faire du reste de sa carrière.

Drouin ne traverse pas une simple période léthargique. Il explose à l’occasion, mais ça ne dure pas. Le problème serait-il d’un autre ordre? Si sa carrière vivote, c’est peut-être parce qu’il ne lui accorde pas toute l’importance voulue. À 24 ans, il est déjà quelques fois millionnaire. Il en a pour des années à empiler les millions, une indication que le Canadien a misé très gros sur lui.

Dans l’immédiat, il a encore cinq matchs devant lui pour s’éviter une élimination et un été misérable. Ça, on peut dire que c’est de la pression. Une pression qu’il s’est lui-même imposée, faut-il le préciser.