Ces derniers temps, on a beaucoup célébré le centenaire de la Ligue nationale de hockey. On a relevé de grands exploits, on a fait parader des légendes et on a mis en valeur certaines expositions historiques.

À ma connaissance, pas une seule fois le nom d’Henri Richard n’a été mentionné. L’un des très rares exploits assurés de résister à l’usure du temps, ses 11 coupes Stanley, a été ignoré. Qui sait, peut-être l’aurait-on vu côtoyer quelques grands noms de notre sport national s’il n’était pas miné par la terrible maladie d’Alzheimer qui l’oblige à terminer ses jours dans un quasi-anonymat.

Richard est aujourd’hui enfermé dans un monde où les héros n’existent pas, où il n’y a pas de chandails tricolores, pas de bannières, pas de coupes Stanley, pas d’ovations et pas de panthéon. Pourtant entouré des gens qui l’aiment, il n’a jamais été aussi seul. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’a été sa carrière et du bonheur que ses exploits ont généré.

Pour tout le monde, il a été Richard coeur de lion. Un joueur de petite stature qui ne reculait devant personne, surtout pas devant les plus gros, il jouait pour gagner, comme si sa propre vie en dépendait. Quand il perdait un match, ses colères étaient parfois marquantes.

Sa famille traverse très difficilement cette cruelle épreuve. Lise, son épouse des 61 dernières années, le visite quotidiennement. L’expérience est si difficile pour elle qu’elle affecte sa santé un peu plus chaque fois, tellement la condition de l’unique amoureux qu’elle ait eu dans sa vie gruge son moral. Parfois, en lui adressant un léger sourire, Henri donne l’impression de la reconnaître. Souvent, il ne sait pas qui elle est. Ses cinq enfants vivent cela, eux aussi. Pour les proches d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, ce sont des moments excessivement difficiles à traverser.

Lise ne s’est pas offusquée que le record de son illustre mari n’ait pas été relevé durant les fêtes du centenaire de la ligue. Elle reste une mordue de hockey qui dit suivre tout ce qui se passe au Centre Bell, même si elle n’a pas le goût d’y retourner sans Henri à ses côtés. Avec ses enfants, elle préfère fréquenter le nouvel amphithéâtre de Laval où se produit une formation qui porte le nom d’un autre Richard, le Rocket.

Elle avait six ans quand elle l’a connu. Ils jouaient régulièrement dehors, Henri et elle. Ils patinaient au parc. L’été, ils faisaient du vélo. Ils étaient toujours ensemble, mais dans le plus pur style d’un Richard, il ne lui parlait pas.

« On patinait ensemble sans rien se dire, raconte-t-elle en souriant. Il ne me demandait pas de patiner avec lui. Il arrivait, me prenait la main et on patinait en silence. Je pense qu’on a commencé à se parler au début de nos réelles fréquentations, à 14 ans. »

Elle n’a pas tout de suite été témoin de son tempérament chaud et de son agressivité mal contrôlée. Quand elle allait le voir jouer au tennis, il devenait furieux après avoir raté un coup. Au début, elle trouvait cela plutôt comique, mais quand il est devenu un professionnel du hockey, elle l’a trouvé moins drôle. Henri était totalement incapable d’accepter la défaite. Quand ils rentraient à la maison après une mauvaise soirée, il exigeait le silence dans l’auto pendant qu’il s’accusait intérieurement d’avoir mal joué.

« C’est un homme qui n’avait pas de filtre, ajoute-t-elle. Quand il avait quelque chose à dire, il le disait (avec nos salutations à Al MacNeil). Il était aussi un homme très généreux. Personnellement, je ne l’ai jamais considéré comme un héros sportif. À mes yeux, il gagnait sa vie normalement. Ce qu’il réussissait ne m’impressionnait pas, probablement parce que nous avions toujours grandi dans le hockey. Pour moi, Maurice Richard était une vedette, pas Henri. Lui, il était d’abord mon mari, mon amoureux. »

Elle l’avoue, il lui a fallu beaucoup d’amour et de patience pour vivre aussi longtemps aux côtés d’un homme aussi explosif. Depuis les premiers coups de patin qu’ils ont donnés ensemble, main dans la main, il n’y a jamais eu un autre homme que lui dans sa vie. Ils se sont épousés à 19 ans. Elle l’aime encore profondément, malgré toutes les sautes d’humeur qu’il lui a fait vivre. Elle parle même de l’existence extraordinaire qu’ils ont vécue ensemble.

« Ce ne fut pas toujours facile, admet-elle. C’est l’amour qui nous a soudés. Si j’avais à recommencer ma vie, c’est sûrement avec lui que je le ferais. Henri, c’est Henri. »

Elle réussit à traverser cette épreuve au quotidien grâce au soutien et à l’amour que lui apportent ses cinq enfants, ses 10 petits-enfants et ses trois arrière-petits-enfants. Il n’y a pas une journée que ses enfants ne l’appellent pas. Dans les moments les plus difficiles, ils lui ont fait comprendre que la famille devait rester unie, solide. Henri l’a beaucoup aimée, ça, elle le sait. Il a également adoré ses enfants. C’est de cela dont ils veulent tous se souvenir.

Du haut de ses 5 pieds, 7 pouces et de ses 160 livres, il a été un géant. Il était animé d’une telle rage de gagner qu’il créait parfois de l’inconfort autour de lui. Même s’il s’est retrouvé au bon endroit au bon moment, ce n’est peut-être pas une coïncidence s’il est l’unique joueur à avoir remporté 11 coupes Stanley. Onze coupes qu’il ne se souvient pas d’avoir gagnées. Toutes ces coupes, toutes ces célébrations entre coéquipiers dans le vestiaire et tous ces défilés dans les rues de la ville représentent une page blanche dans sa tête. Plus rien de cela n’existe dans ses souvenirs. Pour les siens, pour ses ex-coéquipiers et pour les fans qui l’ont aimé, c’est un drame d’une infinie tristesse.

« Parfois, je ris, parfois j’ai le goût de pleurer. Je lui apporte des photos qu’il regarde sans exprimer la moindre réaction. C’est difficile de réaliser qu’il ne se souvient de rien, mais je considère que son record qui ne sera jamais répété représente un honneur pour la famille. Quand il avait la santé, Henri était fier de cet accomplissement, même s’il n’en parlait jamais.

Il aura droit à un grand hommage

La ville de Laval, où Lise et Henri Richard résident depuis plus de 50 ans, rendra hommage à l’un de ses plus illustres citoyens quand une statue représentant l’ex-capitaine du Canadien et membre du Panthéon du hockey sera érigée à l’entrée principale de la nouvelle Place Bell, immortalisant à jamais les nombreux exploits de celui qui a notamment marqué les buts gagnants de la coupe Stanley en 1966 et 1971.

On a même proposé à Lise Richard qu’une rue avoisinant la Place Bell porte son nom. Elle a décliné la proposition par respect pour la personnalité déjà identifiée dans cette rue et qu’elle a vaguement connue il y a très longtemps. Si jamais cette personne a une famille, des enfants, elle voyait mal comment on pouvait lui retirer cet honneur.

« À tort ou à raison, j’ai été incapable d’accepter cette offre, souligne-t-elle. Je fais ma vie comme je l’entends. Je sais qu’on va rendre à Henri un hommage particulier, mais j’ai toujours une certaine réticence pour ces choses-là. Je suis très heureuse de tout ce qu’il a accompli, mais je ne le crie pas sur les toits. Je sais qu’il serait très fier de l’honneur qui lui sera rendu, mais il en serait aussi très gêné. »

Comme elle le dit si bien, Henri, c’est Henri.