Au beau milieu de la tempête qui a secoué le Canadien au cours des six premières semaines de la saison et qui a bien failli engloutir le Tricolore, Claude Julien, comme le reste de l’état-major du Canadien, a été cloué au pilori par des partisans outrés.

 

En plus de réclamer le congédiement illico du directeur général Marc Bergevin et des échanges majeurs impliquant tantôt Carey Price, tantôt Max Pacioretty, tantôt Shea Weber et les autres vedettes sous-productives du Canadien en retour de jeunes espoirs et de choix au repêchage, plusieurs partisans et quelques commentateurs également ont remis en cause l’embauche de Claude Julien en février dernier.

 

On a même lu et entendu que le Canadien aurait finalement dû garder Michel Therrien à la barre de l’équipe l’an dernier tant Julien n’était pas en mesure de trouver des solutions aux ennuis qui minaient l’équipe.

 

Et pourtant!

 

En demeurant loin des critiques et des remises en question qui mitraillaient son travail et celui de son équipe, Claude Julien a démontré qu’il était l’homme de la situation.

 

Comment? En évitant de paniquer.

 

Claude Julien fulminait quand son équipe empilait les mauvais matchs, multipliait les buts accordés en cascades et du coup les défaites. Mais s’il a affiché de l’impatience à quelques occasions – le contraire aurait été désolant – il n’a jamais perdu les pédales.

 

Lorsque le Canadien a « célébré » son 20e match de la saison en s’inclinant 5-4 – en temps réglementaire – devant les misérables Coyotes de l’Arizona, il aurait été facile de paniquer.

 

Julien ne l’a pas fait.

 

Il a regroupé ses joueurs et les a invités à revenir sur un premier quart de saison presque catastrophique au cours duquel ils n’avaient remporté que huit victoires (8-10-2).

 

Une fois la réflexion sur ces 20 matchs complétée, une réflexion qui visait à comprendre ce qui n’avait pas bien été et surtout à trouver des pistes de solution pour s’en sortir, Claude Julien a demandé à ses joueurs de balancer par-dessus bord cette séquence de 20 matchs pour se concentrer sur les défis plus importants qui se dressaient devant eux.

 

Bon! Les résultats initiaux n’ont pas été concluants alors que le Canadien s’est fait blanchir 6-0 par Toronto dans un Centre Bell tapissé de partisans des Leafs. Le Canadien a ensuite perdu à Dallas avant de sauver un point dans un revers en tirs de barrage à Nashville.

 

Depuis, il a enfilé cinq victoires.

 

Le retour en forme et en force de Carey Price a bien entendu aider la cause du Canadien. Et par ricochet celle de Claude Julien. C’est normal. De fait, je ne me souviens pas de la dernière fois qu’un entraîneur-chef a soulevé le trophée Jack-Adams ou conduit son équipe à la coupe Stanley sans la complicité d’un gardien au sommet de son art.

 

Mais le Canadien a su gagner sans l’apport offensif de Jonathan Drouin qui a raté les deux derniers matchs et sans la présence de Shea Weber, la pierre d’assise à la ligne bleue, qui a raté six parties. Il serait donc injuste et un brin malhonnête de ne pas donner à Claude Julien le mérite qui lui revient : celui d’avoir su garder son groupe uni ou d’avoir su garder un certain niveau de confiance afin que cette équipe croie encore en ses chances de revenir dans la course aux séries alors que plusieurs y croyaient très peu, voire pas du tout.

 

La patience a payé

 

Claude Julien a pris des décisions difficiles au cours des 20 premiers matchs. Il a confiné Alex Galchenyuk à un quatrième trio préférant faire confiance à des gars comme Paul Byron, Andrew Shaw, Charles Hudon et Artturi Lehkonen avant qu’il ne se blesse pour remplir des rôles qui devaient aller à un gars plus talentueux comme Galchenyuk.

 

Il a jonglé avec ses trios, tout en affichant de la patience alors que les résultats ne venaient pas. Ou ne venaient pas assez vite. Cette patience de Julien lui a valu des tas de critiques de la part de partisans impatients. Il est normal que les partisans soient impatients. Mais pour vraiment tirer des conclusions fiables des essais qu’il a multipliés, Claude Julien ne pouvait gérer en girouette. Il devait attendre d’avoir sous les yeux un échantillonnage suffisant pour lui permettre d’arriver à des conclusions justes qui le guideraient vers des décisions meilleures au lieu de le contraindre à tourner en rond en ressayant des combinaisons au cas où la deuxième, la troisième ou la cinquième fois serait la bonne.

 

Est-ce que la gestion d’un Claude Julien est moins spectaculaire que celle d’un coach, peu importe son nom, qui chambarde tout au moindre signe d’impatience?

 

Bien sûr.

 

Est-ce que les commentaires réservés pour être polis d’un Claude Julien même lorsque les choses étaient au plus mal étaient loin de rassasier des fans et des journalistes qui auraient préféré entendre et enregistrer des sorties fracassantes à l’endroit des joueurs?

 

Bien sûr.

 

Mais c’est justement cette forme de gestion qui permet à Claude Julien et aux autres entraîneurs-chefs qui affichent la même philosophie que le coach du Canadien de maintenir un niveau de respect nécessaire pour survivre dans le vestiaire.

 

Congé salutaire

 

Après le revers de 6-0 aux mains des Leafs – revers qui jusqu’à maintenant a sans doute été le point le plus bas atteint par le Tricolore cette saison – Claude Julien a donné des signes d’impatience. Il a déploré le fait qu’il devait accorder un congé dominical afin de respecter la convention collective au lieu de convoquer ses joueurs à un entraînement qui aurait pu être punitif.

 

Peut-être que cette obligation de maintenir un congé aura été salutaire et pour Julien et pour ses joueurs.

 

Obligé lui aussi de s’astreindre à un dimanche de congé – je le soupçonne quand même d’avoir travaillé pour multiplier les scénarios visant à sortir son club du pétrin et à les analyser – Julien a pu évacuer colère et frustration associées au jeu blanc de la veille alors qu’une partie des joueurs réunis au domicile de Shea Weber ont pu faire la même chose. Weber et les coéquipiers ayant accepté son invitation n’ont pas tenu de réunion d’urgence ou créé une cellule de crise. Ils ont simplement fait comme ils le font la plupart du temps le dimanche : ils ont regardé des matchs de la NFL. Mais entre deux gorgées de bière et deux ailes de poulet, ils ont pu échanger sur quelques ennuis collectifs et surtout maintenir à flot un esprit d’équipe sans lequel aucune équipe de sport ne peut se sortir d’un merdier comme celui qui engloutissait alors le Canadien.

 

Au-delà les stratégies à établir, un entraîneur-chef doit être en mesure de convaincre ses joueurs qu’il est toujours en plein contrôle de la situation. Qu’il a encore confiance en son équipe et en ses joueurs. Il doit être ferme. Il doit prendre des décisions difficiles et parfois impopulaires pour « récompenser » des joueurs de soutien qu’il croit en mesure d’aider son équipe ou fouetter des vedettes qui n’en donnent pas assez. Il doit aussi respecter le fait qu’on doive parfois être plus patient à l’égard d’un vétéran ou d’une vedette qu’à l’égard d’un plombier ou d’une recrue. Car oui, c’est une des injustices du sport.

 

Il doit éviter de perdre le contrôle donnant ainsi à ses joueurs des raisons de se déculpabiliser, de partir chacun de leur côté, d’abandonner.

 

C’est tout ça que Claude Julien a su faire pendant que son club était au plus mal.

 

Maintenant que son club a tourné le coin comme le confirment ses cinq victoires collées, il doit s’assurer de les ramener à l’ordre en les laissant célébrer un peu, mais surtout en leur faisant prendre conscience que le pire reste à venir. Que le calendrier – que ce soit en fonction des adversaires à croiser ou des matchs sur la route – ne sera pas toujours aussi favorable qu’il l’a été.

 

Claude Julien devra garder la main mise sur son club. Parce qu’il l’a gardé sous contrôle alors que les choses étaient au plus, on peut prévoir qu’il ne l’échappera pas maintenant que les choses vont un peu mieux.

 

Surtout que Julien est le premier à savoir que l’avenir est parsemé d’embûches et qu’une séquence de deux, trois ou quatre revers de suite referait plonger le Canadien loin au classement.

 

Si la tendance se maintient, la troisième place de la division atlantique représente la bouée sur laquelle le Canadien, les Bruins et les Sénateurs s’accrocheront pour accéder aux séries. Mais il n’y a qu’une place sur cette bouée.

 

Si la place est prise, le Canadien comme tous les clubs obligés de passer par le repêchage pour accéder aux séries devra viser une récolte d’environ 95 points pour y arriver.

 

Affichant une récolte de 29 points après 28 matchs, le Canadien devra en récolter 66 lors des 54 prochaines rencontres pour atteindre le plateau de 95 points. Récolter 66 points sur les 108 encore disponibles obligera le Canadien à maintenir une efficacité de ,611. En victoires et défaites, ça veut dire quoi? Ça veut dire de maintenir un dossier qui ressemblerait à 29-17-8.

 

Signer 12 victoires de plus que de défaites c’est impossible? Non! Mais ce ne sera certainement pas facile. Pour y arriver, il faut un Price en forme, un Weber solide devant lui, une attaque productive et un club en santé. En passant, Jonathan Drouin a patiné en solitaire ce matin ce qui devrait être une bonne nouvelle alors que Jeff Petry a profité d’un repos.

 

Il faudra aussi, derrière le banc, un coach capable d’éviter de paniquer pour maintenir le cap. Ce que Claude Julien a prouvé avec éloquence jusqu’ici cette saison.