Pierre Turgeon n’a que 48 ans, mais quand on écoute ce qu’il a à raconter, on a l’impression que sa carrière s’est déroulée à l’époque des vrais Glorieux. Même si son séjour avec le Canadien a été de courte durée, peut-être a-t-il été un Glorieux dans l’âme, lui qui a grandi dans l’admiration de cette organisation.

Il a endossé le chandail tricolore durant moins d’une saison et demie. Tout juste assez longtemps pour porter fièrement le « C » sur son chandail. Tout juste assez longtemps pour marquer l’histoire du hockey montréalais en quittant la patinoire mythique du Forum, le flambeau à bout de bras, pour aller faire une entrée spectaculaire au Centre Molson cinq jours plus tard. C’était dans le temps où le flambeau revêtait une très grande signification.

Il ressent encore de l’émotion en revivant ces moments magiques. Preuve qu’il n’a rien oublié de sa présence au sein de l’organisation, il admet avoir été pris de frissons en se présentant près de la patinoire avant l’entraînement des Kings de Los Angeles, il y a une dizaine de jours. Pourtant, il en a coulé de l’eau sous les ponts depuis son départ en 1996. Il a perdu une fille dans un accident de la route, sa mère est décédée il y a deux ans et son père, miné par la maladie d’Alzheimer, a dû être placé dans une maison spécialisée. Pour finir le plat, le voilà de retour dans la Ligue nationale dans un rôle d’adjoint chez les Kings.

Les frangins Turgeon, Sylvain et Pierre, ont acquis des valeurs familiales qu’ils n’ont jamais perdues au fil du temps. Ils se sont notamment distingués par leur humilité et leur classe. Pierre accorde tout le crédit à sa mère pour ce qu’ils sont devenus. Leur père, qui était bûcheron, est allé travailler en forêt dès l’âge de 11 ans parce qu’on avait besoin d’un soutien de famille.

« Ma mère a vraiment fait du bon travail avec nous, m’a-t-il raconté. Mon père était un homme créatif et vaillant. Quand il a quitté son travail en forêt, il a décroché un boulot à la ville de Rouyn. Il allait toujours faire ses journées avec le sourire. Mes parents étaient avant tout des gens humbles. J’imagine que c’est l’héritage qu’ils nous ont laissé. »

Je vous parle de lui parce qu’il représente assez bien le type de joueur qu’on devrait avoir sous les yeux à Montréal : un homme fier, talentueux, honnête envers son public, son équipe et lui-même. Je l’écoutais me raconter son aventure inoubliable avec le Canadien avec un tel enthousiasme que le contraste avec les joueurs actuels est plutôt frappant. Pendant que le Canadien n’en finissait plus de s’enliser durant les premières semaines du calendrier, sans être méchant, on ne percevait pas dans la réaction des joueurs un désarroi ou un écoeurement de perdre suffisamment fort pour que l’un d’eux prenne sur lui de ranimer le vestiaire.

Turgeon ne se pétait pas les bretelles en se remémorant les moments forts de son passage au Forum. Il ne faisat que relever ses plus beaux souvenirs. Il se souvenait surtout de la fierté qu’il avait ressentie à l’époque. Son frère Sylvain l’avait précédé deux ans plus tôt dans ce chandail. Les parents Turgeon ne comptaient que deux garçons qui, une fois sortis de leur Abitibi natale, avaient tous les deux abouti avec le Canadien. Elles n’étaient pas nombreuses les paires de frères québécois à avoir réussi pareil exploit : Henri et Maurice Richard, Sylvio et Georges Mantha, Jocelyn et Claude Lemieux, Patrick et Stephan Lebeau, notamment. Vous dire la fierté que ces deux-là ressentent encore aujourd’hui à la pensée d’avoir réussi pareil accomplissement. Ils ont d’ailleurs insisté là-dessus dans le cadre de leur récente intronisation au Panthéon de la Ligue Midget AAA, là où tout a vraiment commencé pour eux.

« À l’occasion de la fermeture du Forum, j’étais le kid de Rouyn-Noranda chargé de faire passer le flambeau d’un édifice à l’autre, a-t-il raconté. Je regardais tous les capitaines vivants du Canadien s’échanger le flambeau sur la patinoire avant de le recevoir à mon tour. J’étais transporté par l’émotion. »

Faire partie de la famille

La première fois qu’il a passé le chandail du Canadien par-dessus les épaules, il se souvient d’avoir baissé les yeux pour jeter un long regard sur le logo qui recouvrait sa poitrine. C’est à ce moment qu’il a compris qu’il faisait partie de la famille. Il évoluait au sein d’une formation prestigieuse, au passé parfois intimidant.

« Quand on arrivait à Montréal pour affronter le Canadien (il a appartenu à cinq autres formations), on regardait les bannières dans les hauteurs de l’édifice et on avait l’impression de tirer de l’arrière 2-0 avant même que ça commence » a-t-il rappelé.

Cette forme de respect n’existe plus. Le Canadien n’effraie plus personne. Quand on n’a pas gagné la coupe Stanley depuis un quart de siècle, comment s’offusquer que le Canadien soit considéré comme un adversaire qui peut-être battu n’importe quel soir de la semaine? L’équipe a bien joué contre Vegas mardi soir. Pourtant, il s’en est fallu de peu pour qu’elle soit remontée.

Turgeon était presque une vieille âme. Il pensait, se préparait et réagissait comme ceux qu’il admirait en donnant ses premiers coups de patin abitibiens. Il avait entendu parler de Maurice Richard, de son frère Henri, de Jean Béliveau, de Boom Boom Geoffrion, de Guy Lafleur et de tous les autres. Il a été particulièrement marqué par le style du Grand Jean dont l’élégance sur patins s’apparentait à la sienne.

« Quand Béliveau entrait dans la chambre, il ne disait pas un mot, mais on savait qu’il était là. Il avait une telle prestance. »

C’est un autre aspect qui manque aux joueurs d’aujourd’hui. Ils n’ont plus de géants vers qui se tourner, plus personne dont ils peuvent s’inspirer. Dans un vestiaire où il y a six nationalités différentes, la plupart savent peu de choses sur le passé de leur propre équipe. Pour Lucky Pete, les Richard, Béliveau et Lafleur n’avaient rien des PME d’aujourd’hui. C’était des athlètes qui laissaient leur coeur sur la patinoire en digérant fort mal la défaite.

« J’ai été privilégié, a admis Turgeon dans un élan d’humilité. J’observais ce qui se déroulait autour de moi et j’avais du mal à croire que je faisais vraiment partie de cela. Quand je réalise que j’ai été payé pour faire un job que j’adorais. Je n’ai patiné à Montréal que durant un an et demi, mais j’ai vécu la fermeture du Forum, l’ouverture du Centre Molson, le congédiement de Serge Savard, celui de Jacques Demers et le départ fracassant de Patrick Roy. Chaque fois que je me présentais à l’aréna, je me demandais ce qui allait encore nous arriver. »

Il n’a fait que passer, mais il a été là assez longtemps pour s’identifier totalement à l’équipe de son enfance. Turgeon jouissait d’un statut rare dans le hockey d’aujourd’hui. Il était un gars du Québec, si bien qu’il a respecté le Canadien bien avant d’en porter les couleurs.

Ils sont si peu nombreux à pouvoir en dire autant, si peu nombreux à afficher publiquement leur fierté de jouer ici. La fierté est un sentiment qui ne s’invente pas. Quand elle est absente, une équipe ne va jamais très loin.

Lindgren et sa possibilité de record

 

Charlie Lindgren s’approche de l’exploit de six victoires consécutives par un gardien recrue réussi par Ken Dryden en 1971. On croit à tort qu’il s’agit d’un record. Le record appartient plutôt à Wayne Thomas qui a remporté ses sept premiers matchs avec le Canadien en 1972-73.