MONTRÉAL – Dans leurs longues et glorieuses histoires, le Canadien de Montréal et les Maple Leafs Toronto se sont affrontés cinq fois en finale de la coupe Stanley. Mais le plus épique de tous les affrontements entre les deux équipes est peut-être celui qui n’a jamais eu lieu.

En 1993, les deux grands rivaux filaient à toute allure vers la même destination, chacun en provenance d’une extrémité différente de la route, et une collision semblait inévitable. Le Canadien avait atteint la finale de l’Association Prince-de-Galles en renversant les Nordiques et en balayant les Sabres. Dans la province voisine, les Leafs avaient eu le meilleur sur les Red Wings et les Blues.

Comme les deux équipes originales évoluaient alors dans des sections différentes et ne se voyaient que deux fois par année, elles étaient chacune impliquées dans des rivalités plus brûlantes. Le Canadien était surtout occupé à éteindre des feux à Québec et Boston. Pour les Leafs, les plus gros combats étaient à Detroit, St. Louis et Chicago. Mais dans chacune des deux solitudes, la signification d’un possible choc entre les deux monuments n’échappait à personne.

« C’est probablement la série que tout le monde aurait voulu voir qui n’est jamais arrivée, reconnaît Félix Potvin 28 ans plus tard. Une Coupe Stanley Canadien-Leafs, ça aurait été incroyable. »

« Je ne peux même pas imaginer ce que la ville de Toronto serait devenue si on avait joué en finale contre Montréal, lance l’ancien défenseur Sylvain Lefebvre, que le Canadien avait échangé aux Leafs avant le début de la saison 1992-93. Quand on a gagné contre les Blues en deuxième ronde, les gens marchaient sur Yonge Street près du Garden, on avait eu de la misère à retourner chez nous. Et c’était juste la deuxième ronde! Les fans avaient faim pour succès dans les séries. Ils voyaient qu’on avait une bonne équipe et des chances d’aller loin. »

Le rêve n’a fait que s’approcher de la réalité lorsque la troisième ronde s’est amorcée. Le Canadien s’est rapidement débarrassé des Islanders de New York, confirmant sa place en finale en seulement cinq matchs.

« Je te dirais que c’est là que ça a commencé à me jouer dans la tête, si on peut dire », se rappelle Lefebvre.

Le lendemain de cette qualification, les Leafs battaient les Kings de Los Angeles en prolongation pour prendre une avance de 3-2 dans la finale de l’Ouest. Dans le match numéro 6, Wayne Gretzky a marqué en prolongation pour forcer la tenue d’un ultime duel. Un pays entier retenait son souffle.

« La veille du septième match, je te dirais que je n’ai pas dormi beaucoup, continue Lefebvre. J’étais nerveux. J’avais tellement hâte de jouer ce match-là pour savoir si on allait à Montréal. Je voulais tellement aller jouer à Montréal. Pour moi, c’était vraiment une grande motivation. Non seulement de retourner et jouer contre mon ancienne équipe, mes anciens coéquipiers, mais aussi pour mes amis, ma famille... Ça aurait été incroyable. Pour le hockey au Canada, ça aurait été toute une histoire. »

« C’est pas quelque chose dont on se parlait dans la chambre, allègue Potvin. Moi, j’étais à ma première année, j’essayais de rester concentré, de rester dans ma série. Mais écoute, je viens de Montréal, c’était sûr que le téléphone n’arrêterait pas de sonner. C’était mes parents, mes amis, ‘il faut que vous gagniez’. Du moment que le Canadien s’est qualifié pour la finale, ça s’est mis à en parler de plus en plus. C’était sûr qu’il fallait qu’on se rende. »

Même s’il était né à Anjou, dans l’est de l’île de Montréal, Potvin avait grandi dans une famille qui lui avait légué son dégoût pour l’équipe locale. « Quand j’étais jeune, ma première équipe avait été les Islanders. Tout le monde dans ma famille prenait pour les Nordiques. Je n’avais jamais été en admiration devant le Canadien. Mais c’est sûr que jouer contre Patrick [Roy], ça aurait été incroyable. »

Pour Pat

La présence de Pat Burns derrière le banc des Torontois était l’éléphant dans la pièce où le Canadien attendait patiemment l’arrivée de son adversaire. À la fin de la saison 1991-92, Burns avait démissionné de son poste d’entraîneur avec le Canadien. Il avait accepté une offre des Leafs peu de temps après.

Non seulement aurait-il été l’un des personnages principaux de l’immense cirque médiatique qui aurait fait la navette entre les deux métropoles, mais ses anciens joueurs savent qu’aucun entraîneur n’aurait pu les motiver davantage pour une occasion d’une si haute importance.

« Si t’as connu Pat Burns un peu, tu vas comprendre que c’était pas un grand parleur, rigole Lefebvre. Mais tu voyais dans ses yeux et dans sa façon de faire les choses, il était tellement intense et il voulait gagner à tout prix. De la façon dont il nous coachait, dont il agissait, il nous donnait confiance, mais aussi une certaine énergie. En même temps, tu ne voulais pas faire d’erreur parce que tu ne voulais pas qu’il se fâche après toi! C’était un mélange des deux. »

« Connaissant Pat, c’est certain que c’était dans sa tête, c’est certain qu’il voulait affronter le Canadien en finale de la coupe Stanley, estime Potvin. Et puis pas juste jouer contre eux, il voulait battre Montréal en finale. Il ne s’en servait pas comme élément de motivation, mais on voyait comment il était. C’est tellement un gars qui voulait gagner, qui voulait battre le Canadien. Automatiquement, on le sentait et on sortait toujours fort contre Montréal. »

Les Leafs avaient remporté leurs deux matchs contre le Canadien en saison régulière. Pour le retour de Burns au Forum, ils avaient marqué quatre buts sans riposte pour finalement gagné 5-4. Dans le match retour à Toronto, Potvin avait signé le premier jeu blanc de sa carrière dans la Ligue nationale.

« Ce sont toutes des choses qui rendent encore plus difficile à accepter le fait qu’on n’ait pas réussi à se rendre en finale, se désole le ‘Chat’. C’était la dernière fois que ça aurait pu arriver. Ça aurait été extraordinaire. »

« J’avais gardé contact avec certains gars et après qu’on ait perdu, je les ai appelés pour leur souhaiter bonne chance. Plusieurs gars m’avaient dit qu’ils étaient contents de jouer contre Los Angeles et pas contre nous autres, révèle Lefebvre. On avait une équipe physique, une équipe qui était bonne défensivement, avec un bon gardien. Et on avait des joueurs capables de mettre la rondelle dans le filet avec les Doug Gilmour, Wendel Clarke, Dave Andreychuk et Glenn Anderson. »

2021 :  penchant pour les Leafs

Potvin, qui vient de mettre fin à une association de 14 ans avec les Cantonniers de Magog de la Ligue Midget AAA du Québec, n’a jamais arrêté de suivre les activités de la LNH. « Je ne regarde pas tous les matchs à tous les soirs, mais je garde toujours un œil sur ce qui se passe à Toronto. C’est une équipe qui est importante pour moi. »

Personne ne sera donc surpris d’apprendre que celui qui a terminé au troisième rang du scrutin pour le trophée Calder en 1993 favorise son ancienne équipe quand les Rouges et les Bleus s’affronteront en séries pour la première fois en 42 ans à partir de jeudi.

« Je ne veux pas être méchant pour le Canadien, mais je le souhaite aux Leafs. Ça fait quatre ans qu’ils se font éliminer en première ronde, ils viennent de faire une belle saison, alors je leur souhaite de faire un bout en séries », dit celui qui peut quand même voir la confrontation se rendre à six matchs.

Lefebvre, qui termine sa troisième saison comme entraîneur-adjoint au sein du club-école des Ducks d’Anaheim, se qualifie quant à lui de « hockey nut » et ne passe pas une journée sans consommer sa dose de sport.

« Je pense que Toronto a une meilleure équipe, mais si un Carey Price en forme peut contrer les Marner, Matthews, Tavares et compagnie, le Canadien a des chances, analyse l’ancien entraîneur du Rocket de Laval. C’est certain qu’il devra jouer un système de jeu vraiment hermétique, un bon jeu défensif pour non seulement contrer ces joueurs-là mais aussi créer de l’offensive. C’était un peu mon questionnement avec Toronto, au niveau des gardiens et de la défensive, mais ils ont eu une excellente saison et Jack Campbell a montré qu’il était capable de bien faire les choses. Je vais donc y aller avec Toronto, mais mon cœur est avec le Canadien. »