Donald Beauchamp est touché. La nouvelle de son départ d’une entreprise aussi en vue que celle du Canadien a créé un tsunami de réactions qu’il n’avait pas anticipées.

Jeudi dernier, entre 14 heures et 16 h 30, selon Influence Communication, le sujet d’actualité numéro un au Québec dans les médias traditionnels a été l’annonce de sa rupture avec le Canadien. Sur Twitter, la nouvelle a généré 36 % de tous les messages d’intérêt pour Philippe Couillard durant une semaine entière.

Dans les médias sociaux, on l’a salué poliment en manifestant une certaine forme de reconnaissance pour un homme fidèle et loyal à un employeur qu’il a servi avec une indéfectible intégrité pendant un quart de siècle. Dans les bons moments comme dans les jours de tempête, il est resté le même : patient, imperturbable et respectueux du travail des médias. Il n’a pas toujours aimé ce qui a été dit ou écrit au sujet de l’équipe, mais il a rarement protesté. En somme, si les réactions à son endroit témoignent d’un certain respect, c’est d’abord parce qu’il a lui-même respecté les gens.

Dans les difficiles responsabilités que sont les siennes, il n’a pas toujours reçu le crédit qui lui revenait. Il a été l’homme effacé derrière une grosse machine. Dans la rigidité et le style hermétique qui le caractérisent se cache un homme chaleureux, un brin timide et d’une grande sensibilité.

Donald a été fidèle à tous ces gens qu’il a côtoyés durant ces 25 années fort remplies : trois propriétaires, trois présidents, neuf entraîneurs, six directeurs généraux et 306 joueurs. Il a consacré la majeure partie de son temps à les protéger contre une tentative d’intrusion des médias. Une de ses responsabilités était de prévenir son président, son directeur général et son entraîneur du genre de questions qu’on pouvait leur poser. Il pouvait parfois même leur suggérer une réponse leur permettant d’éviter les pièges. Il a soutenu des joueurs sur la sellette en leur conseillant de prendre congé des médias, question de laisser une controverse s’éteindre d’elle-même.

Il m’a déjà expliqué que l’entraîneur ne peut pas se présenter quotidiennement sur la tribune sans savoir dans quoi il s’embarque. Le support qu’il apporte lui permet de réfléchir sur des questions qu’il ne peut pas prévoir.

C’était un peu tout ça, Donald Beauchamp. Les journalistes lui en voulaient souvent de compliquer leur tâche en jouant, du haut de ses cinq pieds et quelques pouces, le rôle d’un intraitable garde du corps. On devine aussi qu’il s’est habilement moulé à la personnalité de ses divers patrons. Par exemple, il n’aurait jamais pu imposer quoi que ce soit à des « control freaks » comme Pierre Gauthier et Marc Bergevin qui donnent toujours l’impression d’être les seuls maîtres à bord. En revanche, si jamais Gauthier et Bergevin ont un jour compliqué son travail, rien n’y a paru. En somme, s’il fallait tracer le portrait-robot du parfait gars d’entreprise, c’est sa photo qu’il faudrait y accoler.

Beauchamp a été étourdi par les messages qu’il a reçus de diverses organisations de la Ligue nationale, dont toutes celles du Canada. C’est aussi venu de divers autres milieux. Il ne le dira pas, mais parmi les coups de fil et les écrits qui reçus, il y en a peut-être un ou deux qui ont pris la forme de : « Donald, parle-nous avant de t’engager ailleurs ».

Dans le marché de Montréal, les journalistes qu’il côtoyait fréquemment et qui l’ont critiqué dans certaines situations tendues ont été très élogieux à son égard. Réjean Tremblay, qui l’avait joyeusement secoué deux jours avant cette annonce, a parlé de lui comme d’un homme aimable et dévoué. Il l’a même remercié pour l’aide qu’il lui a apportée dans la préparation de certains dossiers ou chroniques.

Je peux moi aussi louer sa contribution. Il m’est arrivé d’aider des gens, des enfants surtout, avec sa précieuse collaboration. Il y a 15 ans, j’avais rencontré une famille très attachante dont les parents couvaient amoureusement 11 enfants. Ils arrivaient toujours, on ne sait trop comment, à boucler les fins de mois, mais à Noël, les enfants comprenaient et acceptaient fort bien le fait qu’il ne pouvait pas y avoir de cadeaux. Je les avais rencontrés à quelques jours de Noël en 2003. Touché par l’étonnante compréhension de ces enfants, j’avais imaginé une façon de leur faire vivre un Noël différent. C’était un mois après que la classique Héritage entre les Oilers et le Canadien eut causé une véritable folie autour de la tuque que Jose Théodore avait portée par-dessus son masque afin de garder sa tête au chaud durant ce match disputé par une température de moins 30 degrés.

Le Canadien avait vendu des milliers de tuques comme celle qu’avait portée son gardien. Il ne restait plus rien de la tuque à Théo dans les points de vente. Donald, toujours très touché par le sort des enfants (j’y reviendrai dans le cas de son fils), avait réussi un petit truc de magie. Les parents et leurs enfants avaient reçu en cadeau 13 de ces tuques très recherchées. Noël venait de passer chez eux grâce à Donald et au Canadien. Encore aujourd’hui, dites-vous que chaque enfant admis dans le vestiaire du Canadien en raison d’un motif particulier ne peut pas vivre ce moment de pur bonheur sans que Donald ait d’abord donné son accord. Dans ces circonstances, il est parfois plus ému que les enfants eux-mêmes. Il est comme ça, Donald. Rigide comme un soldat dans l’exercice de ses fonctions et le coeur sur la main dans les moments attendrissants.

Il est catégorique : c’est sa décision

Ce départ inattendu a donné naissance à diverses rumeurs. Selon certaines hypothèses, il aurait été poussé vers la sortie. À L’antichambre, Ray Lalonde, lui-même un ancien v.-p. du Canadien, a parlé d’une décision bizarre et surtout d’un très mauvais moment pour la rendre publique. Qu’est-ce qui pressait tant? N’aurait il pas été préférable d’attendre que le bilan de la saison soit complété pour confirmer son départ? À TVA Sports, samedi soir, on a parlé d’un congédiement déguisé.

Beauchamp est catégorique. Cette décision, annoncée à Geoff Molson en septembre dernier, est la sienne. Son président lui a alors demandé de compléter une dernière année en gérant les communications à tous les niveaux corporatifs de l’organisation, en mettant en branle un plan pour la Place Bell à Laval tout en travaillant étroitement avec le Groupe CH au Centre Bell.

« Si on avait attendu à la fin de la saison pour communiquer la nouvelle, les gens auraient conclu à un congédiement, ce qui est loin d’être le cas, dit le principal intéressé. Geoff a pensé que ce serait plus juste pour moi que la chose soit connue d’avance par respect pour mes 25 années avec le Canadien. »

Entre-temps, Marc Bergevin qui, on le répète, fait les choses uniquement à sa manière, a retenu les services d’un conseiller personnel en communications qui est venu se glisser entre Beauchamp et lui. Bon prince, le démissionnaire affirme que cette décision n’a nullement influencé sa décision de partir, mais essayons juste d’imaginer la réaction de Bergevin s’il avait fallu que Molson nomme un président hockey au-dessus de lui quand la barque était à la dérive cette saison. Serait-il encore en poste au moment où on se parle?

À la veille de son départ, Donald rend hommage à des gens qui lui sont chers. Il affirme qu’il n’oubliera jamais celui qui lui a donné ce boulot, Bernard Brisset. Il était jeune, mais il avait déjà toute une feuille de route quand il s’est amené à Montréal. Pendant huit ans, à Calgary, il avait orchestré les communications de Hockey Canada. Durant cette période, il avait travaillé durant les Jeux olympiques de Calgary, d’Albertville et de Lillehammer et à l’occasion de cinq championnats du monde. Il s’était impliqué en communications et marketing à l’occasion de 250 matchs internationaux présentés dans 125 villes différentes.

François Marchand, Donald Beauchamp et Dominik SaillantIl n’oublie pas ceux avec lesquels il travaille quotidiennement depuis nombre d’années : Dominick Saillant, Sylvie Lambert, François Marchand et Carl Lavigne, tous des gens qui, même en vacances, ne le sont jamais vraiment puisqu’ils doivent être disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Il est aussi très attaché à un ami de longue date, Réjean Houle, et à Geneviève Paquette qu’il retrouvera bientôt au sein de la Fondation du Canadien pour l’enfance. (Sur la photo : François Marchand, Donald Beauchamp et Dominick Saillant. Courtoisie : Club de hockey Canadien Inc)

« Nous avons peut-être l’une des plus petites équipes en communication dans le marché le plus exigeant de la ligue », précise-t-il avec fierté.

Plein de magnifiques souvenirs

Il conservera plein de magnifiques souvenirs de son association avec le Canadien. D’une façon assez étonnante, il classe en tête de liste les victoires en sept parties sur Washington et Pittsburgh, toutes les deux remportées sur la route, en 2010, en raison de la joie que ces deux évènements ont généré à la grandeur du Québec. À ses yeux, l’une des raisons d’exister de l’équipe est celle de semer du bonheur. Il mentionne aussi le retour au jeu très émotif de Saku Koivu, les funérailles de Maurice Richard et de Jean Béliveau et la mort de Bernard Geoffrion le jour du retrait de son dossard numéro 5.

Sa crise la plus difficile à gérer? Le départ de Patrick Roy.

Le joueur pour lequel il a eu le plus d’attachement? Joé Juneau qui avait habité le sous-sol de sa maison à Calgary à l’époque de l’équipe olympique canadienne. Il l’a retrouvé quelques années plus tard avec le Canadien.

Le match de ce soir contre Winnipeg sera son dernier puisqu’il n’accompagnera pas l’équipe pour les deux dernières parties du calendrier à Detroit et à Toronto. Il occupera pour la dernière fois le salon Jacques-Beauchamp ainsi nommé en l’honneur de son oncle. La légende du journalisme sportif québécois a couvert les activités du Canadien durant près de 40 ans. Il a même été le gardien réserviste de Jacques Plante tout en étant journaliste. Il n’a jamais disputé un match, mais il a participé à plusieurs entraînements à l’époque où les équipes ne comptaient souvent qu’un seul gardien. Ajoutez-y les 25 ans de son neveu à la même enseigne et on arrive à la conclusion qu’il y a eu un membre de la famille Beauchamp associé au Canadien durant plus de 65 ans.

« C’est un aspect qui rend notre famille extrêmement fière, mentionne-t-il. Si les Molson sont orgueilleux de leur longue association avec le Canadien, à un  niveau différent, nous le sommes tout autant. »

Une grande source de fierté

Donald Beauchamp ne part pas à la retraite. Il s’octroie une pause avant d’accepter un prochain défi, ce qui ne devrait pas tarder. Quand il mentionne son profond désir de s’accorder du temps de qualité en famille, ce ne sont pas de vains mots.

Catherine et lui ont été maintes fois éprouvés par les problèmes de santé de leur fils Émile, aujourd’hui âgé de 14 ans. C’est un garçon brillant, beau comme sa mère et sérieux comme son père, qui est malheureusement né avec une malformation cardiaque. Il a subi six opérations au coeur, dont la toute première destinée à lui sauver la vie trois jours après sa naissance. La sixième est survenue il y a un mois durant laquelle on lui a inséré une valve. Une semaine plus tard, il était de retour sur la glace pour aider son équipe, une formation équivalente à un bantam AA, au Collège Notre-Dame. Il a terminé la saison au quatrième rang des marqueurs de l’équipe.

Donald a fait la connaissance de Catherine, la soeur d’un ami de longue date, Benoît Johnson, à l’occasion du mariage de cet ex-animateur de télévision. À l’époque, elle enseignait en Art et technologie des médias au Cégep de Jonquière, ce qui signifie qu’elle a contribué à lancer la carrière de journalistes qui couvrent aujourd’hui les activités du Canadien.

« Je l’ai croisée à l’occasion de ce mariage, raconte-t-il. Je n’étais pas accompagné ce jour-là, mais je suis reparti de la cérémonie accompagné pour la vie. Quand nous avons eu notre unique enfant, j’avais 41 ans et elle en avait 39. Nous n’étions plus très jeunes. Nous voulions un enfant et nous en avons eu tout un. »

Dans le rôle de Beauchamp, il y a eu des journées difficiles, des gestions de crises, des centaines de points de presse à organiser et une critique abondante à affronter. Il lui est arrivé souvent de rentrer à la maison totalement épuisé. La présence d’Émile, dont il vante la résilience exceptionnelle, lui permettait de mettre un baume sur tout cela. Ce garçon, qui n’a jamais demandé à affronter autant d’adversité, leur rappelle constamment qu’il y a autre chose dans la vie qu’une période creuse du Canadien.

« C’était très important de protéger nos liens familiaux dans tout cela. On s’y est appliqué en tout temps. Notre plus grande source de réconfort était à la maison. Courage est le premier mot qui me vient à l’esprit, le seul mot qui convienne vraiment, quand je pense à Émile », précise son père.

Ce n’est plus maintenant qu’une question de temps avant que Beauchamp ne devienne un ancien Canadien. « Réjean Houle m’a dit que je serai toujours le bienvenu dans le salon des Anciens », lance-t-il dans un état de rire.

S’il y a quelqu’un qui n’a pas besoin d’invitation...