Nous vous invitons à écouter l'émission Zone Langlois en compagnie de Joé Juneau.

Après avoir disputé le dernier match de sa carrière avec le Canadien, Joé Juneau n’a pas perdu une seconde à se demander ce qu’il allait faire du reste de sa vie. Il savait fort bien qu’il y avait un avenir pour lui à l’extérieur des glaces de la Ligue nationale. Il s’y était bien préparé, d’ailleurs.

Un gars brillant, intelligent, cérébral, Juneau était un joueur de hockey comme on en connaissait peu. Disons que dans un vestiaire comme celui du Canadien, il aurait pu facilement soutenir la conversation avec Ken Dryden sur les sujets les plus complexes, s’ils s’étaient côtoyés à la même époque. Ce n’était pas tout le monde qui pouvait hausser son niveau de connaissance de façon à capter l’attention de ce gardien à la fois cultivé et énigmatique.

Juneau, un ex-premier choix de repêchage des Bruins de Boston, est arrivé sur le tard avec le Canadien. C’était à l’époque où les directeurs généraux de l’équipe, Réjean Houle puis André Savard, faisaient des pieds et des mains pour débusquer des joueurs intéressés à évoluer dans une équipe en déroute et sans grandes ressources financières. À son arrivée au Centre Bell, l’équipe venait de rater les séries éliminatoires au cours des trois saisons précédentes. On n’avait pas le choix de colmater des brèches avec quelques vétérans en fin de carrière.

Cinq ans avant l’heure de la retraite, Juneau avait disputé une saison avec les Sénateurs d’Ottawa où il avait notamment fait la connaissance du directeur du recrutement André Savard avec lequel il avait développé une belle amitié. Il avait sans doute eu un préjugé favorable pour lui quand Savard, deux ans plus tard, lui avait fait une proposition. Il avait ainsi accepté un contrat de trois ans, le dernier de sa carrière.

« Pour un Québécois, l’occasion de terminer sa carrière avec le Canadien était une option difficile à ignorer, raconte-t-il. J’ai apprécié cette expérience. Nous avons participé aux séries deux ans sur trois. Nous avons été super bien traités par George Gillett. J’ai trouvé vraiment spécial d’appartenir à une équipe qui alignait une douzaine de Québécois. On s’exprimait beaucoup en français dans le vestiaire. Après tout, on jouait chez nous. Les coéquipiers, qui ne comprenaient pas ce qu’on se racontait, ne nous adressaient jamais le moindre reproche. L’évènement le plus marquant que j’ai vécu ici a été le cancer qui a frappé Saku Koivu et qui nous a tous touchés. Finalement, j’ai terminé ma carrière dans un rôle d’adjoint au capitaine. »

Diplômé ingénieur en aéronautique, il croyait que l’univers des sciences et de la technologie serait sa prochaine avenue. À la retraite, il a été embauché immédiatement par une firme de génie. Il ne s’en cache pas, il a détesté l’expérience.

Diplômé de l’Institut polytechnique Rensselaer, à Albany, en 1991, il a quitté le hockey 13 ans plus tard. Beaucoup de choses avaient changé entre-temps dans ce milieu. Il lui aurait fallu retourner aux études pour se mettre à la page, une perspective qui ne lui plaisait pas. Sans compter que ses services avaient été retenus par une entreprise davantage intéressée à utiliser son nom et sa réputation dans le but de mousser un produit dont il n’avait pas participé au développement. Son expérience dans le milieu des sciences s’est arrêtée là.

Le Grand Nord : une découverte

Il a passé l’année suivante à voyager avec sa compagne et leurs deux filles au cours de laquelle, ils ont convenu de s’offrir un cadeau de Noël inusité : un voyage au Nunavik. Dans le Grand Nord, Juneau a été témoin de situations qu’il a maintes fois racontées dans les médias. Il y a découvert des enfants qui jouaient au hockey dans la rue à deux heures du matin, sans surveillance, préférant passer plus de temps dehors que dans la maison où régnaient souvent détresse et violence. Il a eu le goût de s’investir dans l’avenir sportif de ces jeunes autochtones démunis. Bref, il a découvert qu’il pouvait être nettement plus utile dans ce secteur qu’en ingénierie.

Après six voyages là-bas durant lesquels il a visité huit villages, il a saisi les besoins les plus pressants pour ces jeunes. Dans le cadre d’activités visant à contrer le décrochage scolaire et à lutter contre le crime par le biais du hockey, il a contribué pendant 11 ans à l’édification d’un programme dont les mérites ont été salués par divers paliers de gouvernement et par Hockey Québec, notamment. Programme que les autorités locales ont saboté en lui coupant les vivres en novembre dernier.

« À moins que je sois dans l’erreur, ça ressemble à rien de moins qu’à du sabotage », souligne-t-il sur un ton posé, mais ferme.

La semaine dernière, dans le cadre d’un point de presse à Montréal, Juneau a expliqué en long et en large les conséquences d’un coup de Jarnac comme celui-là. À ses yeux, cette précieuse aventure a pris fin pour des raisons personnelles et politiques. Il ne sait pas trop ce qui va arriver aux enfants qu’il a laissés derrière lui. Juneau les aimait et les enfants l’aimaient. Ils ont beaucoup pleuré quand ils ont appris que le programme, qui les avait fait passer du hockey bottines dans la rue à celui des arénas, n’existerait plus. La structure mise en place les avait fait grandir. Après avoir mis un terme à cette aventure échelonnée dans 14 communautés autochtones, les dirigeants locaux ont promis aux jeunes qu’ils seraient dorénavant encadrés à l’intérieur d’activités locales. Malheureusement, peu de choses ont évolué depuis.

Il y a trois jours, Juneau a appris que dans neuf villages, le hockey n’y est pas pratiqué actuellement. Les portes de cinq arénas sont toujours fermées.

« On nous a écartés en prétextant que le développement du hockey avait eu très peu de répercussions sur la prévention du crime. Puis, on s’est retourné pour financer d’autres activités de hockey de moindre importance. Ça démontre le manque de jugement des gens qui prennent ce genre de décision », mentionne Juneau qui, loin de se laisser abattre, ira dispenser son savoir ailleurs dans le Grand Nord. À 50 ans, il en a encore beaucoup à donner.

Un parcours comme il s’en fait peu

Juneau a un parcours de vie dont il peut être fier : une carrière de 13 saisons dans la Ligue nationale, dont une saison recrue de 102 points avec les Bruins, une médaille d’argent aux Jeux olympiques d’Albertville, une décoration de chevalier de l’Ordre national du Québec, l’aréna de Pont-Rouge qui porte son nom, un rôle de capitaine adjoint avec le Canadien et la réalisation d’un programme d’enseignement du hockey au Nunavik qui a touché 700 jeunes Inuits dans 14 villages et 17 écoles. Aucun ancien joueur de la Ligue nationale de hockey ne peut s’enorgueillir d’une telle feuille de route.

« Les honneurs sont agréables à recevoir, mais on ne bâtit pas sa vie dans cette intention. Je les accepte surtout comme une marque de respect », conclut-il humblement.