MONTRÉAL – Même si le Centre Bell était dénué de spectateurs, Michel Lacroix a annoncé le premier but de Cole Caufield avec sa magie unique. Ça n’a pas déclenché le crescendo habituel dans l’amphithéâtre montréalais, mais il s’imaginait que sa voix envoûtante se rendait jusque dans vos salons. 

Depuis des décennies, Lacroix agit comme un ampli pour les grands moments qui font vibrer les partisans du Canadien. En dépit des restrictions imposées par la COVID-19, il a choisi d’aborder la saison 2021 avec la même passion dans chacune de ses annonces. 

« Bien sûr, sans partisans, on avait un peu l'impression de parler dans le vide, mais je me suis imaginé qu’il y avait des gens qui m’entendaient en toile de fond à la télévision ou à la radio », a admis Lacroix dans une conversation amusante. 

« Tu t'aperçois assez vite que l'énergie des fans, c'est effectivement un élément clé. Il me manquait des repères avec à peine 100 personnes dans l’édifice, mais je me suis dit que j’irais dans le plancher comme s'il y avait 20 000 spectateurs », a-t-il ajouté. 

Le poste de travail de Michel Lacroix cette saisonLe contexte était propice pour le taquiner et ça tombe bien puisque Lacroix possède un grand sens de l’humour. 

« La première chose que les gens m'ont dit, c'est ‘Tu nous demande de nous lever et de retirer chapeaux et casquettes pour l'hymne national, mais à qui parles-tu?’ J’ai répondu que je disais aux gens dans leur salon de se lever », a rigolé Lacroix qui s’est amusé à ce sujet avec plusieurs personnes dont André Robitaille. 

Heureusement pour lui, la saison du Canadien a été ponctuée de quelques moments propices pour y mettre toute la gomme. Il a accepté de revisiter ces occasions sans lesquelles il aurait trouvé l’année longue dans son emplacement temporaire (à quelques rangées de hauteur dans un coin de la patinoire).  

« Le premier but de (Cole) Caufield, c’est arrivé juste devant moi. J'ai eu l'impression que tout le monde a réagi de la même façon que ce soit les journalistes sur la galerie de la presse ou les préposés de la patinoire. C'était l'annonce attendue, ç’aurait été la frénésie totale. Après des moments un peu difficiles pour l'équipe, boum, ce vent de fraîcheur. C'est déjà difficile de traverser la pandémie alors donnez-nous au moins quelque chose pour célébrer. L’arrivée de Caufield était juste à point », a commenté Lacroix. 

Si Tyler Toffoli a raconté qu’il était destiné à jouer pour le Canadien, il aurait déjà développé un lien plus profond avec les partisans grâce aux annonces endiablées de ses buts par Lacroix. 

« On peut s’imaginer la réaction de la foule en annonçant qu’il mérite la première étoile et qu’il vient procéder à l’entrevue sur la patinoire. C’est là que les joueurs se rapprochent davantage des spectateurs. (Dans mon rôle) Tu peux en mettre et tu peux étirer la sauce. Je pense aussi à Josh Anderson qui est arrivé avec toute son intensité, un gars qui va dans les coins. Ce n’est pas qu'on a des favoris, mais il y a des joueurs qu’on doit placer dans une niche spéciale comme eux et Caufield. Ce sont ces choses-là qui font en sorte que le trait d'union avec les amateurs se fait de façon naturelle. J'ouvre la porte et les gens sautent dans le train », a imagé Lacroix. 

Impossible de ne pas songer au 1000e match du capitaine Shea Weber qui a dû fêter sans les invités. 

« Il était mal à l'aise, il a salué un peu timidement pendant l’hommage. Ça faisait artificiel, on sentait qu'il n'était pas vraiment confortable (sans les applaudissements des spectateurs) », a noté Lacroix qui connaît bien Weber et son côté réservé.  Shea Weber avec Paul Byron et Brendan Gallagher

« Il y a des liens qui se tissent avec les amateurs et ce sont des moments comme ceux-ci qui vont faire en sorte qu’on va regarder cette saison-là avec un peu de regret », a-t-il poursuivi. 

Parlant de personnes qui ne recherchent pas l’attention, le gérant de l’équipement Pierre Gervais aurait mérité toute une ovation pour avoir franchi le plateau des 3000 matchs avec le club. Lacroix, qui est un ami de Gervais, était heureux de voir que l’émotion était tout de même au rendez-vous durant la soirée qui lui a été dédiée. 

« C'était un bel hommage et c'était bien senti. S’il y a un gars qui est estimé dans l'organisation et à travers la LNH, c'est Pierre. C’est vraiment extraordinaire. Tout ce qu'il me restait à faire c'était de lui donner un coup de coude puis d'espérer partager une bouteille de vin reçue en cadeau après la présentation », a réagi Lacroix qui aurait aussi adoré que le respecté juge de lignes québécois, Pierre Racicot, puisse vivre son dernier match à Montréal devant ses proches. 

Sur un ton différent, on a également pensé à l’absence de partisans lors du match de la lutte au cancer. La tradition veut que de nombreux jeunes touchés par cette maladie viennent vivre une soirée de rêve au Centre Bell. Le support de la foule peut parfois leur donner des ailes pour la suite. 

« Des cartons avaient été installés à la grandeur du Centre Bell, le coup d'œil était vraiment spécial d’autant plus que le chanteur de l’hymne national, Alexandre Sylvestre, avait celui de Guy Lafleur dans sa main. C’était bien de transmettre de tels messages à Guy Lafleur, à Guy Lapointe et à Yvon Lambert. On sait à quel point on admire nos anciens. Tant qu’on n’est pas privés de ces petits moments, on ne s'aperçoit pas que ce sont eux qui construisent une saison. Quand on arrive et on voit que c'est vide, ça nous manque », a déclaré Lacroix avec une pensée pour le retour du cancer de Saku Koivu et le décès de Jean Béliveau. 

Comme une doudou pour les partisans

Lacroix avoue candidement qu’il aurait aimé vivre les plus beaux moments de la saison avec les spectateurs. L’espèce de communion qu’il a développée avec eux lui a manqué. 

« Les gens me disent souvent ‘Une chance que tu es là, tu es une présence rassurante comme une doudou’ et ça me fait bien rire », a confié Lacroix en sachant que ce sont avant tout les joueurs qui ont besoin du soutien des partisans. 

Tranquillement, la normalité reviendra dans nos vies. Lacroix pourra chasser de son esprit les images surréalistes des corridors vides du Centre Bell entre les périodes. Personne pour commander un hot-dog, une pizza, une bière... Il retrouvera aussi le bonheur de croiser bien des gens qui rendent l’univers sportif si vivant. Il songe notamment à Élise Béliveau dont il a pris des nouvelles vendredi. 

Aux États-Unis, le retour des partisans suit une courbe plus accélérée qu’au Canada. Lacroix ne peut que ressentir l’excitation vécue par ses pairs dans certains arénas américains. 

« On communique ensemble et ils sont bien contents. Je vois aussi les foules qui augmentent aux tournois de la PGA. Les athlètes cherchent à tirer l'énergie de la foule qui leur manque cruellement. Mais la santé et la sécurité du public doivent primer et c’est ce qui va nous permettre de s'en sortir », a conclu Lacroix qui a hâte d’entendre le bonheur de la foule à la suite de ses annonces.