MONTRÉAL – Tout jeune, Nick Suzuki aimait s’asseoir sur les genoux de son père, Rob, pour regarder les parties des Blue Jays de Toronto à la télévision. Déjà, il observait les détails du jeu d’une manière fascinante.

En cours de route, des passions pour le soccer, le hockey et même la pâtisserie – grâce à l’émission Cake Boss - sont venues s’ajouter. Heureusement pour les partisans du Canadien, le hockey l’a emporté dans le cœur de cet athlète dont l’étendue du potentiel ne saute pas toujours immédiatement aux yeux.  

Très précis et réfléchi dans ses actions, il n’orchestre pas ses actions offensives en fonçant toujours à fond de train. Ce n’est pas sa manière d’arriver à ses fins et cette approche, qui déploie un rythme moins soutenu, déplaît parfois à des observateurs. 

Dans une certaine mesure, cette force était devenue un piège cette saison. Après un excellent départ, il a traversé une période creuse. Samedi soir dernier, l'entraîneur Dominique Ducharme a justement parlé de l'équilibre que Suzuki doit trouver.

« On l’a déjà dit, c’est un joueur très intelligent, mais il n’a pas besoin de réfléchir davantage parce que c'est déjà naturel pour lui. Il excelle quand il est très compétitif, rapide sur la rondelle, qu’il la vole à l’adversaire et qu’il joue à un rythme élevé. C’est là qu’on le voit à son meilleur », a commenté Ducharme à propos de son joueur qui a retrouvé son aplomb. 

« Il a vraiment fait un grand saut. Il a non seulement trouvé sa game, mais il se démarque match après match. Ce n’est pas évident d’être constant dans la LNH, mais il veut faire la différence et il y parvient », a vanté Phillip Danault. 

Dans le passé, son rythme, parfois moins élevé, lui a déjà nui. Ainsi, en 2015, dans le cadre du repêchage de la Ligue junior de l’Ontario, Suzuki n’a été choisi qu’au 14e rang par l’Attack d’Owen Sound qui lui avait même préféré un défenseur, Markus Phillips, au 9e échelon. Plusieurs attaquants talentueux ont été repêchés avant lui, mais moult clubs ont raté la cible avec les David Levin, Zach Gallant, Brady Gilmour etc. 

« On ne craignait pas trop de le perdre avant notre deuxième choix, on entendait que les équipes s’intéressaient surtout à d’autres attaquants. Il y avait de très bons joueurs dans cette cuvée, j’en conviens, mais je me souviens de m’être demandé comment certains ont pu être repêchés avant lui », s’est souvenu Dale Degray qui agit comme directeur général à Owen Sound depuis 2007. Nick Suzuki

« En prévision du repêchage, les gens parlaient d’une panoplie de joueurs, mais très peu de Nick et je n’en revenais pas. Pourtant, je n’avais pas vu de joueur comme lui depuis longtemps », s’est souvenu son entraîneur au niveau midget, Steve Benedetti. 

« C’était fou de voir qu’il n’était même pas classé en première ronde avant le dernier droit. Bien des personnes critiquaient son patinage ou son physique, mais trop d’observateurs regardent les faiblesses d’un joueur au lieu de regarder ses forces », a ajouté Benedetti qui rappelle que Suzuki n’est jamais tombé dans un style de jeu égoïste afin de récolter plus de points.  

Constat semblable, en 2017, au repêchage de la LNH. Bien sûr, Suzuki n’a pas à rougir d’avoir été sélectionné au 13e rang par les Golden Knights de Las Vegas. Même s’il est encore un peu tôt pour se lancer dans ce jeu, bien des organisations aimeraient recommencer ce repêchage. Nico Hischier et Nolan Patrick ne devanceraient assurément pas Miro Heiskanen, Cale Makar et Elias Pettersson si on accordait un Mulligan aux Devils et aux Flyers. 

Ensuite, Vegas n’aurait pas parié leur première sélection, la sixième au total, sur Cody Glass. Quant à Michael Rasmussen et Owen Tippett, ils auraient été devancés par Suzuki sur plusieurs listes. 

« Personne n’a vu ça venir sauf lui ! Il le savait »

Le scénario s’est reproduit après la conclusion de son parcours junior. Au printemps 2019, l’auteur de ces lignes avait croisé Marc Bergevin et Joël Bouchard qui s’étaient déplacés à Ottawa pour le premier match de la finale de la Ligue junior de l’Ontario. Le plan semblait clair pour les dirigeants du CH que Suzuki amorcerait la prochaine saison, dans la Ligue américaine, avec le Rocket de Laval. 

« Moi aussi, je pensais qu’il irait à Laval, s’empresse de préciser M. Suzuki en reconnaissant que c’était difficile, à ce moment, de prédire qu’il convaincrait ses nouveaux patrons de changer leur fusil d'épaule. 

« Personne n’a vu ça venir sauf lui ! Il le savait. On en a parlé durant l’été avant sa saison recrue avec le Canadien. Je voulais un peu le préparer à l’idée d’aller jouer à Laval. C’est une place normale pour commencer une carrière professionnelle à 20 ans. Mais, au fond de sa tête, il savait qu’il était capable de se tailler une place avec le Tricolore », a poursuivi son père. 

Si sa première année a été couronnée de succès, sa deuxième a manqué de constance. Mais, quand il est à son meilleur, comme c'est le cas depuis quelques matchs, le jeu semble ralentir autour de lui. 

Rob Suzuki entend souvent des louanges sur l’intelligence sportive de son fils, sauf qu’il peine à la juger pour une raison bien simple. Il a vu jouer Nick, et son jeune frère Ryan, si souvent, qu’il est en mesure d’anticiper leur prochaine action.

Nick SuzukiToutefois, il reconnaît que ça coule de source pour lui. Tel un joueur d’échecs qui prévoit, parfois, la suite. 

Degray n’est pas étonné quand on lui soumet cette comparaison. À vrai dire, il l’avait constaté dès le niveau midget en épiant Suzuki. Le dirigeant d’Owen Sound est d’avis que son potentiel a été propulsé à un autre niveau quand cet attribut a été jumelé aux enseignements de Ryan McGill, son entraîneur à ses deux premières saisons avec l’Attack. 

Petite précision, on aurait aimé en discuter avec McGill, qui est désormais adjoint avec les Golden Knights de Las Vegas, mais l’organisation a décliné la demande. 

« Ryan a été très bon pour Nick. Il voulait que ses joueurs offensifs comprennent le côté défensif du jeu. De plus, il a axé le jeu sur la possession de rondelle. Tout ça a aidé Nick à maximiser ses forces, c’est-à-dire son intelligence du hockey. Nick est une phénoménale ‘tête de hockey’! », a vanté Degray alors que le gardien Michael McNiven pouvait limiter les dégâts durant la période d’adaptation du club. 

De son côté, Benedetti a éveillé Suzuki très tôt aux responsabilités défensives et il l’a utilisé à l’aile pour le mener à mieux s’ajuster. 

Un patinage peu flamboyant qui l’a pénalisé

Ce serait erroné de croire que Suzuki n’est qu’un surdoué du hockey. Après tout, il ne possède pas un talent à la Connor McDavid ou Sidney Crosby. Au contraire, il a eu à raffiner son arsenal tout au long de son parcours et la saison actuelle démontre que son évolution se poursuit. 

Il y a d’abord longtemps composé avec un éléphant dans la pièce : son patinage. Avant toute chose, Suzuki a bûché là-dessus et ce fut payant. Mais, ce qui est particulier dans son cas, c’est que son style de patinage laisse présager qu’il est plus lent qu’il n’y paraît, même aux yeux d’experts. 

« Cet aspect me fait rire parce que Nick est un bon patineur, meilleur que la plupart des joueurs sur la planète. Il est agile, habile et solide sur ses patins, c’est difficile de lui enlever la rondelle », a cerné Benedetti.  

« Si Nick a une faiblesse, c’est son manque de vitesse pure, mais c’est devenu évident que son intelligence du jeu va compenser pour cette dimension », a, pour sa part, évalué Degray qui a joué 153 matchs dans la LNH. 

L’anecdote la plus savoureuse à ce sujet provient de son père qui souhaitait modifier légèrement son style. 

« Je me souviens d’avoir voulu qu’il garde ses jambes plus distancées. Je lui avais acheté une nouvelle coquille protectrice et je lui disais que son patinage paraissait mieux. Il m’avait répondu que c’était seulement parce qu’il ne pouvait pas rapprocher ses jambes davantage en raison de la nouvelle coquille ! », a rigolé M. Suzuki. 

Sur une note plus sérieuse, il a ajouté ceci. 

« Ses entraîneurs à TPH – où il développe ses habiletés lors de la saison morte - ont même tenté de trouver une manière pour que son patinage soit plus flamboyant. Il est rapide, c’est juste que ça ne paraît pas; il a une foulée différente. »Nick Suzuki

Une intelligence sportive développée par son père

Benedetti et McGill ont exercé une influence marquante sur Suzuki. Mais en grattant un peu plus loin, son paternel finit par admettre qu’il a également été au cœur de cette construction en le dirigeant au soccer.  

« Je n’ai pas inventé ça, mais je suis arrivé avec l’idée de faire des exercices avec le ballon dans les mains. Un peu comme au handball pour aider les jeunes à toujours réfléchir à leur prochain geste en avance. Savoir où aller avant même de recevoir le ballon », a précisé M. Suzuki qui se débrouillait bien au basketball, au football et au hockey.

À un certain point, Nick est devenu si dominant au soccer que son père a cru qu’il allait devoir l’envoyer en Angleterre pour poursuivre ce cheminement même si cette idée ne l’enchantait pas trop. Son chemin l’a plutôt mené à la LNH.

« Je n’ai jamais prévu qu’il se rendrait dans la LNH un jour. Je suis absolument enchanté qu’il se soit rendu là et que Ryan s’en approche. C’est incroyable à mes yeux, en fait », a conclu M. Suzuki émerveillé que ce soit maintenant au tour de son fils de jouer à la télévision et à un haut niveau de surcroît.