Chaque fois que Marc Bergevin fait un geste dans l’espoir d’améliorer l’équipe, ses décisions causent les réactions les plus diverses. On peut être d’accord ou totalement en désaccord, mais une chose est certaine, on ne réagit jamais avec détachement dans le cas d’un directeur général qui tarde à faire gagner le Canadien.

On pourrait dire que le même phénomène s’applique à Carey Price. Quand il est incapable de faire la différence dans un match, il en prend pour son rhume. Quand l’équipe gagne 5-4, on s’attarde plus sur les quatre buts qu’il a accordés que sur le résultat du match. Bref, il en faut beaucoup pour que les deux souffre-douleurs du Canadien reçoivent des fleurs.

D’une façon générale, quand on est mécontent de ce qui se passe, on chiale, on proteste et on critique dans des envolées de passion pas très bien contrôlées. Le discernement n’est pas toujours au rendez-vous.

Les transactions animent les conversations les plus animées des Québécois. Quand elles ne se produisent pas, on ne cesse d’en réclamer et quand elles se concrétisent, on est rarement satisfait. Très souvent, avec un recul de quelques mois, on comprend qu’on a erré un peu en analysant les décisions qui ont été prises. C’est aussi vrai pour les échanges mineurs que pour les coups d’éclat.

Tiens, prenons le cas du défenseur Karl Alzner. C’est facile de reconnaître aujourd’hui que ce vétéran est totalement dépassé dans le style de jeu électrisant de la Ligue nationale, mais quand Bergevin l’a déraciné de Washington (sans la moindre opposition des Capitals, faut-il le préciser), on a d’abord vu se poindre à Montréal un défenseur jouissant d’une vaste expérience. En plein le genre d’atout dont le Canadien avait un urgent besoin, croyait-on, pour suppléer notamment au départ d’Andreï Markov. Quand, de surcroît, Bergevin lui a consenti un riche contrat, on a eu vaguement l’impression qu’il avait commis un vol. Après tout, on ne se comporte pas d’une façon aussi empressée si on n’est pas absolument convaincu que ce joueur fera une différence.

Or, on le sait maintenant, l’embauche d’Alzner s’est avérée une erreur magistrale. Personne n’a adressé trop de reproches à Bergevin sur le coup, même si le Canadien se voit forcé aujourd’hui de faire de ce défenseur sur la pente descendante le joueur le plus richement payé du Rocket de Laval et de toute la Ligue américaine. Bergevin n’est pas le premier directeur général à commettre ce genre de bourde coûteuse pour son organisation. Qui ne risque rien n’a rien dans ce métier.

La situation d’Alzner nous rappelle encore une fois la nécessité d’analyser les transactions avec pondération dans un marché aussi passionné que le nôtre. Les exemples ne manquent pas depuis que Bergevin est en poste.

— Quand il a acquis Dale Weise de Vancouver en retour de Raphael Diaz, on n’a pas vraiment compris ce qu’il faisait. Weise était un joueur très marginal que les Canucks et John Tortorella n’utilisaient que sporadiquement. Par contre, on voyait en Diaz un défenseur capable d’avoir une certaine utilité. Pourtant, Diaz a joué brièvement avec trois formations différentes avant d’aller poursuivre sa carrière en Suisse. Weise, de son côté, a rendu de bons services au Canadien durant trois ans avant de servir de monnaie d’échange dans une transaction avec Chicago, l’une des meilleures de Bergevin, d’ailleurs. Pourtant, il n’a pas été encensé pour celle-là.

— Cet échange avec les Hawks a fait la démonstration que le mal-aimé de l’organisation est aussi capable d’une belle imagination. Bergevin a roulé dans la farine son ancien patron Stan Bowman en lui refilant deux joueurs qui n’étaient plus d’aucune utilité, Tomas Fleischmann et Weise, en retour de Phillip Danault et d’un second choix au repêchage qui est devenu le défenseur Alexander Romanov, considéré comme un bel espoir. Danault s’est établi comme l’un des joueurs les plus utiles et les plus fiables de l’équipe tandis que les deux joueurs cédés n’ont pas eu le moindre impact avec les Blackhawks en ne jouant respectivement que 17 et 15 parties à cet endroit. Blessé, Danault a été incapable de se justifier à son arrivée, de sorte qu’on a surtout vu dans cet échange une façon d’ajouter un Québécois dans un chandail tricolore. Bergevin n’a sûrement pas reçu tout le crédit qu’il aurait mérité à la suite de cette trouvaille.

— Paul Byron a été obtenu pour le prix d’une chanson au ballottage. Totalement inconnu jusque-là, il est devenu à ce point un élément inspirant qu’on a greffé un A sur son chandail. Une acquisition qui s’est faite sans grand fla-fla encore, malheureusement pour le DG.

— On ignore ce que deviendra Nicolas Deslauriers à Montréal, mais peu importe son utilité, il faudra se souvenir qu’on a cédé pour ses services un défenseur, Zach Redmond, qui a disputé trois parties dans la Ligue nationale depuis trois ans.

— Finalement, on peut dire tout ce qu’on voudra de Jordie Benn, mais il s’est avéré une prise respectable en retour d’un autre défenseur, Greg Pateryn, que Dallas a vite laissé tomber.

Plus de pots que de fleurs

Tout cela pour dire qu’un directeur général qui ne gagne pas à Montréal a rarement droit à un préjugé favorable. Il y a beaucoup trop « d’analystes » dans les médias sociaux qui se chargent de lui faire savoir qu’il répond rarement à leurs attentes. Pour toutes les transactions précédemment mentionnées, force est d’admettre que les compliments à l’endroit de Bergevin ont été rarissimes.

Plus récemment, on a reconnu ses mérites à la suite du départ de Max Pacioretty parce que la transaction lui a permis de mettre en banque un très bel espoir au centre en Nick Suzuki. Par contre, on était loin d’être aussi convaincu dans le cas de Max Domi, obtenu en échange d’Alex Galchenyuk. Dans un autre cas, on a aimé au départ ce que le directeur général a réussi dans le cas de Jonathan Drouin et de Mikhail Sergachev, mais le doute s’est rapidement manifesté quand Drouin a connu une première saison de misère avec le Canadien. Si Drouin ne s’était pas replacé, on présume que l’architecte de cette transaction majeure aurait été cloué au pilori.

Les essais à court terme qu’il a tentés avec Alexander Semin, Jiri Sekac, Ales Hemsky et Mark Streit lui ont valu de recevoir une volée de bois vert, même si on se doutait bien qu’il ne cherchait qu’à colmater temporairement des brèches.

Finalement, Bergevin traînera comme un boulet au pied pour le reste de son terme à Montréal sa décision de se départir de P.K. Subban, et ce, même s’il a obtenu le joueur étoile et capitaine des Predators de Nashville dans l’échange. Remporter la coupe Stanley avec Shea Weber dans la formation serait probablement l’unique façon pour lui de se faire pardonner.

S’il a lu et entendu tout ce qu’on a dit à son sujet, principalement durant la dernière année, Bergevin a sans doute été affecté par les attaques parfois vicieuses dont il a fait l’objet. Certes, il a fait la démonstration qu’il a la couenne dure, mais s’il est toujours là, il le doit surtout à la prudence financière de Geoff Molson qui, après l’avoir mis à l’abri par le biais d’un mirobolant contrat jusqu’en 2022, ne pouvait quand même pas balancer autant de millions par-dessus bord dans le but de faire taire la grogne publique.

Molson sait une chose, maintenant. Son directeur général ne sera jamais un homme unanimement populaire dans cette ville, mais il pourrait être enclin à le laisser respirer encore un peu la prochaine fois qu’il lui annoncera qu’il a un plan.

On appelle cela acheter du temps. Sur ce plan, Bergevin est un premier de classe.