MONTRÉAL - Contrairement à bien des parents qui rêvent à une retraite dorée lorsqu’ils réalisent que leur fils pourrait devenir un millionnaire du hockey, Lance Pitlick a été pris d’un vertige désagréable lorsqu’il a réalisé que son fils Rem développait une passion pour le hockey.

 

Ce même vertige l’a envahi lorsque son deuxième fils Rhett s’est mis à insister pour suivre son grand frère sur les patinoires.

 

« J’ai eu peur », raconte sans la moindre gêne et la moindre retenue Lance Pitlick joint par le RDS.ca vendredi, à son domicile de Minneapolis.

 

Peur de quoi?

 

« J’ai eu peur de ce qu’il pourrait leur arriver sur la patinoire. Mes gars ont toujours été parmi les plus petits dans leur groupe d’âge. Je me suis mis à me demander comment diable ils seraient en mesure de composer avec les mises en échec solides et les coups pas toujours légaux qu’ils encaisseraient s’ils devenaient bons au point d’être des cibles pour leurs adversaires. »

 

Plus simplement, Lance Pitlick avait peur que ses fils croisent d’autres... Lance Pitlick!

Pour ceux et celles qui l’auraient oublié, Lance Pitlick a disputé 393 matchs dans la LNH au fil des cinq saisons qu’il a passées dans l’uniforme des Sénateurs d’Ottawa et des trois autres dans celui des Panthers de la Floride.

 

Repêché en 9e ronde en 1986, Pitlick en a bavé avant d’atteindre la LNH. Étiqueté joueur des ligues mineures, ce défenseur col bleu a disputé son premier match dans la grande ligue à l’âge vénérable de 27 ans, alors que les Sénateurs étaient pourtant toujours l’un des pires clubs du circuit.

 

Il est le premier à reconnaître que ce sont ses épaules, son désir de vaincre et sa volonté de faire tout ce qui lui était demandé de faire qui lui ont permis de jouer dans la grande ligue et d’y rester.

 

« À force d’avoir peur de ce qui arriverait à mes gars s’ils croisaient des défenseurs à l’image du défenseur que j’étais, j’ai réalisé que j’analysais la situation du mauvais côté de la patinoire. À un moment donné, je me suis dit que je devais cesser de penser aux joueurs que je réussissais à neutraliser sur la patinoire pour penser plutôt à ceux qui je n’arrivais jamais à frapper. Ceux que je ne pouvais pas frapper patinaient vite et bien. Ils avaient des mains. Ils avaient du talent. »

 

Cette réflexion a tout changé.

 

Du jour au lendemain, Lance Pitlick a compris qu’il serait bien plus profitable de développer le talent de ses fils plutôt que de leur apprendre à composer avec les contrecoups des assauts que leur père redoutait tant. Il s’est donc donné comme mandat d’armer ses fils de talent afin de les aider à mieux se défendre.

 

L’idée était bonne. Les moyens pour mener à bien ce projet l’étaient moins. Car en fait de talent brut, Lance Pitlick était limité. Très limité.

 

Les mains qui ont permis à son fils Rem de surprendre le gardien Ilya Sorokin et d’enfiler le but décisif en prolongation aux dépens des Islanders le 20 février à New York, les mains qui lui ont permis de marquer dix buts en 35 matchs jusqu’ici cette saison dont quatre en 15 rencontres disputées avec le Canadien depuis qu’il a été acquis au ballottage le 12 janvier dernier ne viennent donc pas de l’ADN du père. Elles viennent peut-être de leur mère, Lisa, qui a mis de côté son rêve de devenir médecin pour suivre son mari de ville en ville à la recherche de l’équipe qui allait lui donner une vraie chance. Mais elles ne viennent pas du père. Ça, c’est certain!

 

Repartir à zéro

 

À défaut de pouvoir léguer à Rem et à son frère cadet les munitions nécessaires pour gagner les batailles et finalement les guerres sur la patinoire, Lance Pitlick a pris les moyens pour s’assurer que ses fils développent leur talent.

 

« Je pouvais facilement expliquer les vertus de la force de caractère, expliquer l’importance de garder la tête haute et de toujours être conscient d’où pouvaient venir les dangers. Mais j’étais bien mal placé pour donner des leçons dans l’art de patiner. Encore moins dans l’art de manier et de contrôler la rondelle », convient Lance Pitlick qui a fait ni un ni deux : après avoir trimé dur pour atteindre la LNH, l’ancien défenseur à la volonté de fer et aux mains d’acier est retourné sur les bancs d’école.

 

« Il n’y avait pas d’internet dans le temps. Je me suis donc inscrit à tout ce que je pouvais trouver en formation de coach. J’ai acheté des tas de DVD que j’ai regardés religieusement. J’ai parlé à plein d’entraîneurs de tous les niveaux qui m’ont aidé à mettre en pratique ce que j’ai appris au fil des ans et qui m’ont permis d’enseigner le hockey, de montrer à des jeunes comment développer leur talent, leurs mains, leur coup de patin, comment mettre toutes ces armes à profit pour gagner les batailles qu’ils allaient livrer contre ceux qui tenteraient de les empêcher d’avoir du succès sur la patinoire et de réaliser leurs rêves.»

 

Le défenseur aux mains de fer s’est même imposé le défi d’apprendre à manier la rondelle de la gauche. Un exploit pour un gars de talent. Un miracle pour un gars qui en avait bien peu.

 

« Je sentais que je devais y arriver pour aider davantage les gauchers à comprendre ce qu’ils devaient faire pour améliorer leur maniement de rondelle. Ce n’a pas été facile, mais ça me sert beaucoup et ça m’a permis d’être un bien meilleur professeur », assure Pitlick.

 

Il a bien sûr enseigné à ses fils Rem et Rhett que le Canadien a repêché en cinquième (131e sélection) en 2019. Leur cousin Tyler acquis par le Canadien dans la transaction qui a envoyé Tyler Toffoli à Calgary est aussi passé par là.

 

Mais il ne s’est pas arrêté là. Que non!

 

Par le biais de plusieurs écoles de hockey qu’il a fondées et développées depuis 2009, Lance Pitlick, mieux connu dans l’état qui est le berceau du hockey aux USA comme « Coach Lance » compte ses élèves par centaines, voire par milliers.

 

Grace Zumwinkle et Dani Cameranesi, deux membres de l’équipe olympique américaine qui ont perdu le match de médaille d’or aux mains de Marie-Philip Poulin et de l’équipe canadienne aux derniers JO de Pékin, sont passées par l’une ou l’autre de ses écoles.

 

« Nous entrons dans les grands tournois de hockey scolaires au Minnesota et j’ai des tas de jeunes dans toutes ces équipes. Ça me rend très fier de voir autant de garçons et de filles réaliser leur passion de jouer au hockey. Peu importe le niveau. Je ne pense jamais que tel garçon a ce qu’il faut pour atteindre la LNH ou que telle fille pourra défendre les couleurs des USA aux Jeux. Je pense à leur permettre de développer leurs aptitudes afin qu’ils et qu’elles puissent se rendre aussi loin qu’ils et qu’elles le peuvent. J’ai eu la chance de vivre du hockey. J’ai eu la chance de transmettre ma passion à mes fils. Et j’ai encore aujourd’hui la chance d’aider tous ceux et celles qui adorent ce sport à le pratiquer. »

 

Un émule de Martin St-Louis

 

Bien qu’il ait contribué au développement de son fils aîné, Lance Pitlick refuse de prendre le moindre crédit dans les succès de Rem.

 

« J’enseigne, mais ce sont les jeunes qui font le reste. Qui s’imposent les sacrifices et vont plus loin encore dans leur quête d’excellence », assure Lance Pitlick en ajoutant qu’il est sensationnel de voir Martin St-Louis diriger son fils chez le Canadien.

 

« Rem a toujours été un émule de Martin St-Louis. Parce qu’il était plus petit que les autres, Rem s’est souvent inspiré que ce que faisait Marty sur la patinoire pour comprendre ce qu’il devrait faire lui aussi. On va se le dire, si tu vises une place dans un top-6 dans la LNH, s’inspirer de ce qu’a accompli un aussi grand joueur que Martin St-Louis peut certainement aider », souligne Pitlick.

 

Peut-être parce qu’il a passé une grande partie de sa vie dans les arénas à titre de joueur et qu’il en passe encore beaucoup comme enseignant – il fait aussi beaucoup de travail en gymnase et sur vidéo – Lance Pitlick ne voyage pas aux quatre coins de la planète hockey pour épier ses fils.

 

« J’ai assisté au premier match de Rem avec le Wild du Minnesota l’an dernier. Je suis allé au premier match de Rhett avec les Gophers – le club de l’Université du Minnesota – cette année. C’est tout. Avec deux fils et un neveu dans l’uniforme du CH, je vais sans doute devoir aller faire un tour à Montréal un moment donné. Mais comme parents, mon épouse (Lisa) et moi avons toujours été plus préoccupés par l’importance d’être tous regroupés autour de la table le plus souvent possible que par l’importance d’assister aux matchs de hockey de nos fils.»

 

Bien qu’il ne sera pas à Ottawa, là où Rem est né en avril 1997 alors que son père défendait les couleurs des Sénateurs, Lance Pitlick comptera sur la présence d’une espionne dans les gradins du Centre Canadian Tire.

 

« La marraine de Rem, Carla St-Germain, vit toujours à Ottawa. C’est une grande partisane des Sénateurs depuis toujours. Elle s’est fait confectionner un chandail aux couleurs des Sens d’un côté et du Canadien, la nouvelle équipe de son filleul, de l’autre côté. Je recevrai ses commentaires et analyses en temps réels au fil du match. »

 

Peu importe qu’il soit présent ou non aux matchs de ses fils, Lance Pitlick n’est plus déstabilisé par la peur qui lui donnait des vertiges lorsque ses fils ont donné les premiers signes qu’ils pourraient être bons, voire très bons, au hockey. Bon! Comme tous leurs coéquipiers et adversaires, Rem et Rhett ne seront jamais à l’abri d’une blessure. Mais « Coach Lance » sait que ses fils sont armés du talent nécessaire pour non seulement se défendre sur la glace, mais d’y réaliser leurs rêves.