N'allons pas chercher très loin pourquoi Saku Koivu sera honoré par le Canadien ce soir. Il s'agit sans doute d'une marque d'appréciation pour tout ce qu'il a apporté à l'organisation durant ses 13 saisons à Montréal, dont 9 avec un « C » greffé à son chandail.

Mais il n'y a pas que cela. On va d'abord saluer son courage et la source d'inspiration qu'il a représentée quand il est retourné au jeu après avoir été blessé sérieusement à un oeil, sans jamais avoir recouvré 100 % de son champ de vision, et après avoir soigné un cancer si sérieux qu'il aurait pu en mourir. D'autres en sont morts avant lui.

La chaleureuse réception qu'il recevra sera aussi une façon tangible de le remercier pour l'héritage qu'il a laissé aux Québécois avant de quitter la ville qui l'a adopté en 1995. Le très précieux équipement de médecine TEP-Scan, dont profite aujourd'hui l'hôpital Général de Montréal, a été son projet. Quand il avait été soigné pour ce cancer, il avait dû se taper l'autoroute 10 à quelques occasions parce que le seul appareil du genre au Québec était à Sherbrooke.

Il considère d'ailleurs comme l'un des plus grands jours de sa vie la nouvelle qu'il a reçue lors de sa dernière visite à Sherbrooke. Après s'être soumis une nouvelle fois au TEP-Scan, il avait appris qu'il n'y avait plus aucune trace de son cancer.

Plus tard, il a approché le docteur David Mulder avec une idée géniale. Ça ne faisait aucun sens à ses yeux qu'une ville comme Montréal ne soit pas équipée d'un outil aussi important. Il lui a mentionné son intention de doter l'hôpital Général, où on lui avait littéralement sauvé la vie, de ce scan sophistiqué.

« Tu sais, Saku, c'est un appareil qui coûte très cher, lui avait fait remarquer le docteur Mulder. Au bas mot, on parle de huit millions de dollars. »

« On va y arriver », avait-il répliqué.

Koivu n'acceptait pas un non comme réponse. C'est d'ailleurs ce qui l'avait incité à déclarer, dans un point de presse à la suite de sa première sortie publique après son cancer, qu'il allait retourner éventuellement sur la patinoire. Il y avait des sceptiques. Il les a confondus.

La campagne de financement s'est avérée un succès. Saku visait à amasser les deux premiers millions. La réponse du public a porté son objectif à trois millions. La contribution de quelques fonds importants a permis d'aller chercher des millions additionnels et le gouvernement du Québec a fait le reste.

« Il n'y a absolument aucun doute dans mon esprit que le TEP-Scan a permis de sauver la vie de plusieurs dizaines de Québécois jusqu'ici », précise le docteur Mulder.

Mario BrosseauCe soir, l'un de ces survivants, Mario Brosseau, sera en devoir à quelques pas du vestiaire. Brosseau (Photo : Courtoisie Club de hockey Canadien Inc), un agent de sécurité, est le deuxième employé comptant le plus d'années de service à l'emploi du Canadien. Il a obtenu son premier job au Forum, il y a 46 ans.

Il y a huit ou neuf ans, il a développé un cancer du colon, puis un autre au foie, puis un troisième à un poumon. Le docteur Mulder lui a suggéré de se soumettre au TEP-Scan, ce qu'il a fait. Cet appareil passe le corps humain au peigne fin, des orteils à la pointe des cheveux. Rien ne lui échappe. Brosseau s'y soumet tous les ans dans le cadre d'un examen de routine.

En janvier dernier, on lui appris que le colon s'était inséré dans son foie. L'intervention chirurgicale, au cours de laquelle on devait séparer ces deux organes vitaux, était si délicate qu'elle a été faite conjointement par les deux spécialistes qui soignaient respectivement son foie et son colon. L'opération a duré 11 heures. On l'a ensuite gardé dans un coma provoqué pendant quatre à cinq jours pour éviter qu'il ne fasse le moindre mouvement.

« Un médecin a confié à ma femme qu'ils ont failli me perdre durant l'opération. Le bon Dieu ne veut pas de moi et le diable non plus », lance-t-il en souriant.

Faut dire que Mario Brosseau rit souvent. C'est un Roger Bon Temps. Une bonne nature comme on dit. Un gars chaleureux qui adore jaser avec le monde. Et du monde, il en a vu passer depuis 46 ans.

Pendant plus de 15 ans, on pouvait l'apercevoir à proximité du banc du Canadien. Depuis un an et demi, il est affecté au salon du propriétaire, Geoff Molson.

La vie en cadeau

Brosseau a bénéficié de cette machine à quatre occasions. C'est elle qui lui a permis d'apprendre qu'un poumon était attaqué. Un peu comme cela s'était produit avec Koivu à Sherbrooke, c'est également ce scan qui lui a confirmé que toute trace de ses cancers était disparue.

« Le scan de Saku m'a sauvé la vie parce qu'il a permis de détecter dans les moindres détails tous mes problèmes de santé », affirme-t-il.

Si le petit Finlandais lui a fait cadeau de la vie le jour où il a eu l'idée de doter Montréal du TEP-Scan, en signe de reconnaissance pour tous les Québécois qui l'ont appuyé et qui lui ont démontré de belles marques d'affection dans le moment le plus difficile de sa vie, Brosseau précise, un sourire en coin, que c'est la seule fois où il a reçu quelque chose d'un joueur, malgré les quelques centaines qu'il a croisés durant plus de quatre décennies passées dans leur entourage.

L'une des grandes choses que son boulot privilégié lui a apportée, c'est l'amitié de Jean Béliveau. Ils ont souvent jasé ensemble. Ils se remontaient mutuellement le moral quand ils avaient tous les deux des problèmes de santé.

« Jean, c'était comme mon frère, souligne-t-il. On ne ratait jamais une belle occasion de se parler. En se quittant, je lui disais souvent : « Lâche pas, Jean ». Il répliquait : « Toi non plus, Mario ».

Le seul joueur pour lequel il ressent de l'attachement est évidemment Koivu. « À cause de sa machine et parce qu'il était amical avec moi », dit-il, simplement.

À 78 ans, pendant combien de temps encore souhaite-t-il rester à l'emploi du Canadien? Ses trois cancers qui sont aujourd'hui derrière lui, sa très longue opération au cours de laquelle il a failli y rester et ses deux autres interventions au foie n'incitent-ils pas ce survivant à s'éloigner de la patinoire pour aller apprécier davantage la vie avec les siens?

« Je vais mourir dans le hockey. C'est ma vie. J'aime travailler dans l'entourage des gens. On dit de moi que je suis le fantôme du Centre Bell », lance-t-il dans un éclat de rire.

Il est parfaitement à l'aise avec cela. Les fantômes, c'est bien connu, ne meurent jamais.