Quand on demande à André Savard ce qu'il pense du travail accompli par Marc Bergevin depuis qu'il est devenu l'architecte du Canadien, il trace de lui un bilan aussi positif que le rendement étonnant de son équipe.

Savard qui, avec les moyens réduits dont il disposait à l'époque, a été un directeur général imaginatif et efficace avec le Canadien, a donc une assez bonne idée des éléments qu'il faut posséder pour réussir dans le fauteuil du patron, secteur hockey, d'une organisation de la Ligue nationale. Il faut être déjà passé par là pour savoir à quel point le travail est difficile et la réussite parfois fragile. Il faut posséder les bons chevaux, un entraîneur capable de les faire produire et un habile mélange de jeunes et de vétérans qui ont autant soif de victoires que les membres de la direction. Une situation qui ressemble à celle que nous avons sous les yeux en ce moment.

« Il n'y a pas de doute que Marc accomplit du bon boulot, dit-il. Il a joui d'une bonne préparation avant d'en arriver où il est en ce moment. Il a joué dans la ligue; il a été sur le terrain. Il réfléchit avant de prendre des décisions et c'est certain qu'il consulte son monde. Il ne craint pas de passer aux actes quand c'est nécessaire. Mais en même temps, il a eu un bel héritage. Il y avait de belles cartes en place à son arrivée. Il a su bien les entourer. »

L'héritage en question était constitué de trois joueurs de concession, Price, Subban et Pacioretty, en plus de Markov, de Plekanec et de Desharnais, notamment. Galchenyuk et Gallagher étaient sur le point de percer la formation.

La traversée du désert de Savard a été plus laborieuse. À sa première saison, ses deux meilleurs marqueurs ont été Saku Koivu et Oleg Petrov avec 47 points chacun. Comment peut-on espérer connaître le succès avec des premiers marqueurs de 47 points? Son meilleur buteur a été Brian Savage avec 21 buts. Le corps défensif était formé de Patrice Brisebois, Sheldon Souray, Karl Dykhuis et Stéphane Robidas. La cage était défendue par Jose Théodore et Jeff Hackett.

Sans lui enlever une once de mérite, Bergevin était déjà au volant d'une voiture de luxe. Savard était assis dans une berline à prix modique.

De belles feuilles de route

Ce n'est pas tout de posséder des conditions gagnantes, selon le recruteur professionnel des Devils du New Jersey. Il faut posséder les habiletés requises pour enrober le talent et avoir la capacité de prévoir la suite des choses. À ses yeux, le succès d'un directeur général est rattaché à plusieurs facteurs.

« Il lui faut bien évaluer le présent, les perspectives d'avenir, les meilleurs espoirs et les réserves dans la filiale, précise-t-il. Si tu précipites les changements, tu peux te retrouver inutilement dans l'embarras. Parfois, il y a des joueurs de soutien qui deviennent des éléments importants. Par contre, si on manque de profondeur, l'équipe va s'en ressentir parce que ses meilleurs joueurs vont connaître des baisses de régime. Il est nécessaire de maintenir une compétition à l'interne. Il faut procéder à des ajustements et c'est l'expérience qui te permet de les faire. »

Savard n'a pas dirigé le Canadien assez longtemps pour espérer bénéficier d'une seconde chance au niveau de la ligue. Ce qui n'a pas aidé, c'est qu'il ne parlait pas la bonne langue. Quand il a perdu son emploi, il n'y avait qu'un seul autre directeur général francophone dans le circuit, Pierre Lacroix qui, lui, devait son poste aux Nordiques de Québec. Rien n'a changé depuis puisque Bergevin est aujourd'hui l'unique DG francophone dans le circuit.

Savard possédait pourtant une feuille de route enviable. Après avoir joué dans la ligue durant 12 ans, il avait été entraîneur-chef des Nordiques, entraîneur adjoint à Ottawa et à Pittsburgh, recruteur en chef à Ottawa et directeur du développement des joueurs à Montréal.

De son côté, Bergevin avait joué près de 1 200 matchs pendant 20 ans dans la Ligue nationale. Il avait ensuite fait ses classes au sein d'une équipe gagnnte, celle des Blackhawks de Chicago, assumant diverses fonctions dont celle d'adjoint au directeur général. Il avait profité au passage de la précieuse expertise du conseiller spécial de l'équipe, Scotty Bowman.

De son côté, Savard est fier de dire que c'est lui qui a embauché Trevor Timmins après l'avoir arraché aux Sénateurs d'Ottawa. Ce fut une décision heureuse car c'est Timmins qui a repêché les Price, Subban, Tinordi, Gallagher, Emelin, Beaulieu, Galchenyuk, Andrighetto et quelques autres. Et on ne parle pas de Ryan McDonagh, aujourd'hui capitaine chez les Rangers.

Sous la gouverne de Bergevin, le Canadien est passé de la 27e place à une formation aspirante à la coupe Stanley en l'espace de trois ans. Selon Savard, c'est nécessaire d'y mettre le temps avant que des joueurs atteignent la maturité requise. Le statut de Carey Price est notamment la conséquence de la contribution de trois entraîneurs, Roland Melanson, Pierre Groulx et Stéphane Waite. Price et Subban ont mûri et sont devenus des joueurs étoiles. Pacioretty est aujourd'hui le franc-tireur attitré de l'équipe.

« Ça prend aussi un certain temps pour devenir compétitif sur une base régulière, souligne-t-il. À Edmonton, par exemple, on voit que leurs jeunes joueurs ont de la difficulté à acquérir de la maturité. »

Une belle expérience malgré tout

André Savard aurait bien aimé diriger le Canadien plus longtemps. On se souvient de la très mauvaise mise en scène orchestrée par le Canadien lors de l'embauche de Bob Gainey. On avait tenté de faire croire que c'était Savard lui-même qui avait proposé de laisser sa place à Gainey. Forcé d'embarquer dans cette mascarade, Savard avait une face d'enterrement en prenant place aux côtés de son successeur durant le point de presse confirmant le retour de l'ancien capitaine.

Pierre Boivin, Bob Gainey et André SavardSavard ne tient pas vraiment à revenir sur ces évènements, sauf pour dire que dès qu'il a appris l'embauche de Gainey, il a tout de suite su qu'il avait trois prises contre lui.

C'est Réjean Houle qui était allé le chercher à Ottawa avec l'intention d'en faire son directeur du développement des joueurs. Savard avait hésité avant d'accepter sa proposition parce qu'il aimait son rôle au sein des Sénateurs. Il était loin de se douter que lui, un ancien Nordique, allait éventuellement devenir le directeur général du Canadien.

« J'ai aimé mon expérience, souligne-t-il. Je n'avais pas beaucoup de réserves et quand nous avons perdu Koivu, victime d'un cancer, j'ai utilisé l'argent des assurances pour poser certains gestes. Quand on m'a confié l'équipe, nous étions 30es et bon derniers au classement général. Il y avait de l'inquiétude à la grandeur de l'organisation. On avait de la misère avec notre base d'abonnements de saison et avec la location des loges corporatives. On pouvait acheter des billets en quantité. Dès l'année suivante, nous avons participé aux séries et éliminé les Bruins de Boston. Après cette victoire sur Boston, l'engouement est revenu. L'attachement des amateurs pour le Canadien n'a plus jamais fait de doutes.» Savard a raison. Cette victoire sur Boston avait semé l'hystérie dans la ville. L'ex-propriétaire George Gillett, qui marchait vers son hôtel en compagnie de sa femme après la victoire dans le septième match, avait vu un amateur abandonner son automobile en pleine rue pour aller lui serrer la main et le remercier. Depuis ce temps, le public rajeuni du Centre Bell danse dans les gradins, gagne ou perd.

Un public qui rêve maintenant de voir Bergevin compléter le travail.