On fait allusion à la fatigue accumulée et à la pression du moment en cherchant des explications à l’inquiétant ralentissement du Canadien. On prétend aussi que la chimie, qui avait contribué à cimenter un groupe d’athlètes croyant fermement en ses chances de participer à la danse du printemps, a été un brin sabotée quand le directeur général de l’équipe, comme il le fait souvent, s’est satisfait d’ajouter de la profondeur à sa formation. Soudainement, des joueurs marginaux, qui avaient à coeur le logo du CH sur leur chandail, ne semblaient plus avoir la cote auprès de leurs dirigeants. Ils sont malheureusement devenus des compagnons d’infortune sur la passerelle.

 

Bergevin a déniché des joueurs absents de la colonne des statistiques enviables dans la Ligue nationale (Nate Thompson, Jordan Weal, Dale Weise et Christian Folin), qui sont venus priver Nicolas Deslauriers, Charles Hudon et Matthew Peca de leurs présences occasionnelles dans la formation, tout en chassant Michael Chaput et Kenny Agostino du Centre Bell. Folin offre une contribution honnête à la ligne bleue, mais depuis qu’il est là, Brett Kulak et Mike Reilly ont compris qu’ils peuvent être plus facilement délogés. Bref, ça fait beaucoup de monde vivant dans l’incertitude.

 

Il n’était pas interdit à Marc Bergevin de colmater des brèches, mais tous ceux qui s’étaient vidés à la tâche pour faire du Canadien l’une des grandes surprises de la saison sont peut-être en train de se demander pourquoi des joueurs si peu utilisés ailleurs peuvent leur être à ce point supérieurs.

 

Ils auraient sans doute vu arriver avec énormément de soulagement un ou deux attaquants capables de remplumer l’un des trois premiers trios, des joueurs ayant déjà fait leurs preuves en supériorité numérique, de préférence.

 

Quand un groupe d’athlètes ne gagnent plus, la frustration s’installe. Les langues se délient. Il ne serait pas étonnant d’apprendre que certains d’entre eux remettent en question les décisions de l’entraîneur. C’est fréquent ce genre de réaction.

 

Mais malgré tout ce qu’on en dit, il y a une réalité qu’on ne reconnaît pas toujours. Le Canadien n’a pas tout ce qu’il faut pour entrer en séries. Il n’a ni l’attitude générale (trop de joueurs restent invisibles) ni la prestance physique pour espérer y entrer par la grande porte. Personnellement, j’ai décroché le jour où Julien a accordé un congé injustifié à Carey Price contre les Sharks de San Jose avec l’intention non avouée de remporter une victoire plus facile, 24 heures plus tard, contre Anaheim. Le message envoyé à toute l’équipe n’a pas été très édifiant.

 

On se serait plutôt attendu à un vibrant discours de motivation de sa part. L’entraîneur aurait eu avantage à leur faire réaliser qu’ils étaient en mission, en guerre contre le reste de la ligue. Une énorme bataille qu’il fallait gagner avec son meilleur soldat, Carey Price, pour ces deux affrontements en autant de soirs.

 

Quand on se bat pour sa survie, on ne joue pas avec des probabilités. On n’invoque jamais le facteur fatigue. On ne craint pas l’adversaire, peu importe sa réputation. Ce jour-là, les joueurs ont peut-être compris que dans l’optique du coach, c’était peine perdue contre San Jose et dans la poche avec Price contre les Ducks. La tactique a été royalement ratée.

 

Quelle importance les joueurs peuvent-ils accorder aux discours de motivation de l’entraîneur après cela? Allez donc les convaincre qu’ils sont en mission après des décisions comme celles-là.

 

C’était une question de temps

 

On s’est vite emballé quand l’équipe est partie à l’épouvante dans la première portion du calendrier. Domi soulevait les foules, Drouin et lui formaient le duo explosif de l’avenir. Tatar en donnait plus que Bergevin lui-même l’avait espéré, Gallagher se dirigeait vers une autre saison inespérée pour un type de son gabarit, Danault brillait dans toutes les situations, la défense n’était pas aussi poreuse qu’on le craignait et derrière tout ce monde-là, on pouvait compter sur Price et Weber, un duo de leaders faisant saliver la concurrence.

 

ContentId(3.1312559):LNH : le Canadien demeure dans la course après sa victoire face aux Flyers
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Même si ce départ fulgurant semblait annoncer de grandes choses, les plus réalistes se doutaient bien que les Rouges n’allaient pas maintenir cette cadence effrénée. Durant la seconde demie d’une éreintante saison, quand les meilleures formations retrouvent leur rythme de croisière et quand les plus grosses machines fonctionnent à plein régime, le Canadien aurait du mal à les suivre, on s’en doutait bien. Ce n’est pas le sentiment d’urgence qui fait défaut en ce moment. Une petite lumière rouge indique qu’il n’y a plus beaucoup de carburant dans le réservoir.

 

Tous les joueurs de la ligue sont épuisés à ce stade de la saison. La situation est la même pour tout le monde. Pour sa part, si le Canadien éprouve autant de difficulté, c’est parce qu’il n’est pas une équipe bâtie pour les séries éliminatoires. Pas encore. L’affaissement des dernières semaines nous donne une assez bonne idée de qui se passerait si les séries s’amorçaient aujourd’hui. Par exemple, contre le super talentueux Lightning de Tampa Bay, qui préconise un style discipliné, sans robustesse, premier de classe pour les buts marqués, pour les filets en supériorité numérique et pour l’efficacité à court d’un joueur, Montréal ne veillerait pas tard. Imaginez maintenant des confrontations de sept parties à se faire brasser le pommier contre Winnipeg, San Jose, Calgary, Las Vegas ou Nashville. Bergevin est l’un des rares à croire qu’une fois entrée en séries, son équipe pourrait logiquement rêver à la coupe Stanley.

 

Il n’y a rien qui permette de croire que ce sera différent l’an prochain si le directeur général se contente de cette belle petite équipe, sans y apporter deux ou trois changements majeurs. À l’heure limite des transactions, on a compris ses craintes de toucher à un personnel qui lui en avait déjà beaucoup donné. Après tout, personne n’a jamais cru qu’il était possible pour une équipe en déroute l’an dernier d’envisager une présence en séries quelques mois plus tard. Bergevin est aujourd’hui beaucoup mieux placé pour procéder à une évaluation plus rationnelle de ses effectifs. C’est à lui que revient l’entière responsabilité de compléter la composition d’une équipe qui ne s’essoufflera pas dans le moment le plus important de la saison, comme c’est le cas en ce moment.

 

Il y a au moins un facteur positif dans tout ça. L’équipe n’est pas ralentie par la perte d’éléments importants. Si jamais ça tourne mal, on ne pourra pas invoquer la perte d’un Price, d’un Weber ou d’un Domi pour expliquer pourquoi on est passé à côté de l’objectif. Cette excuse-là, on l’a entendue trop souvent dans le passé.

 

À la suite de la victoire contre les Flyers, il n’y a rien de changé. Le Canadien est toujours à la limite de chuter dans un précipice. Après tous ces mois à se laisser bercer par l’euphorie de la victoire et la perspective de vivre un printemps excitant, l’incertitude est devenue le quotidien du Canadien.

 

Tant d’effort pour en arriver là. C’est désolant quand on y pense.