MONTRÉAL - Claude Julien n’avait pas perdu son vestiaire et il savait communiquer avec ses joueurs. Marc Bergevin en est convaincu. Claude Julien demeure un très bon entraîneur-chef. Un « coach » très respecté aux quatre coins de la LNH. Ça aussi le directeur général du Canadien en est convaincu.

 

Pourquoi alors a-t-il décidé de le congédier?

 

« Parce que le message ne passait plus », a convenu le DG du Tricolore en guise de motif principal justifiant le changement d’entraîneur-chef qu’il a effectué mercredi matin au lendemain de la défaite de 5-4 encaissée en tirs de barrage aux mains des Sénateurs d’Ottawa.

 

Le message envoyé aux joueurs était donc le bon, mais il était mal compris? Ou ne passait plus un point c’est tout? Ça semble mince comme motif pour congédier ton coach et son associé puisque Kirk Muller – le chef d’orchestre d’une attaque massive qui jouait faux depuis quelques semaines et qu’Alex Burrows, l’ancien joueur devenu adjoint de Joel Bouchard avec le Rocket de Laval, tentera maintenant de remettre au diapason – est passé dans le « tordeur » lui aussi.

 

Au fait : si la Ligue n’avait pas annulé le but marqué par Brendan Gallagher avec trois secondes à faire au match mardi soir, un but qui aurait donné la victoire au Tricolore au lieu de prolonger la rencontre jusqu’aux tirs de barrage? Si Carey Price avait accordé ne serait-ce qu’un mauvais but de moins pour ainsi mousser les chances de victoire de son équipe? Julien et Muller auraient-ils effectué l’envolée vers Winnipeg avec le club au lieu d’être largués à l’hôtel?

 

Est-ce que c’est cette défaite qui a fait casser un élastique que les insuccès des derniers matchs avaient dangereusement étiré?

 

La question a dérangé Marc Bergevin.

 

« Il y a des erreurs qui revenaient au fil des derniers matchs. L’effort était là, mais des mauvaises habitudes s’installaient. Les unités spéciales étaient moins efficaces. Notre fiche à domicile doit être meilleure. Nos gars écopent beaucoup trop de pénalités », a défilé le DG.

 

Le spectre des deux séquences de huit matchs consécutifs sans victoire que le Canadien a traversées l’an dernier a donc pesé très lourd dans la décision. Et c’est normal. Car dans une saison de 56 matchs, un club ne peut se permettre une seule séquence du genre. Et comme le Canadien n’affiche qu’une victoire à ses six derniers matchs (1-3-1-1), le temps était venu de faire un changement.

 

Les détracteurs de Claude Julien qui souhaitaient son congédiement depuis longtemps applaudiront la décision.

 

Ceux qui, comme moi, l’ont défendu depuis le début de son deuxième séjour à la barre du Canadien il y a déjà quatre ans, conviendront – c’est du moins mon cas – que les insuccès des dernières semaines justifiaient un coup de barre. Car après tout, dans la Ligue nationale, comme toute ligue professionnelle, ce sont les résultats qui dictent la direction à prendre à moins qu’une organisation ait décidé de tout rebâtir et de donner le temps à son contremaître d’exécuter les travaux.

 

Ce n’était pas le cas du Canadien cette année. Avec les joueurs que Marc Bergevin a greffés à son équipe, le Tricolore doit obtenir des résultats. Les séries ne sont plus un rêve. Elles sont une obligation.

 

La glissade des six à huit derniers matchs ne met pas en péril les chances du Canadien d’accéder aux séries. Du moins pas encore. Mais Bergevin ne pouvait pas courir le risque que la léthargie se prolonge encore et que l’équipe se complaise dans les insuccès. Car soudainement, l’obligation d’atteindre les séries aurait été plus difficile à remplir.

 

Surtout que l’équipe a été épargnée par les blessures et la Covid jusqu’ici et qu’on ne sait jamais quand elles se pointeront le nez.

 

Claude Julien n’a donc pas été victime d’une injustice. Il est sans doute déçu. Comme tous les coachs qui ont vécu l’expérience avant lui – une expérience qu’il vit pour la quatrième fois de sa carrière – Claude Julien aurait certainement voulu se rendre jusqu’au bout. Relever le défi de faire gagner le vrai club qu’il avait enfin sous la main à Montréal. De guider cette équipe jusqu’aux séries.

 

Cela dit, la perte de son job est loin de mettre sa sécurité financière en péril. Il a touché cinq millions $ chaque année depuis son retour à Montréal en 2017. Il touchera cette somme encore l’an prochain même s’il est à la maison.

 

Quand je pense aux problèmes cardiaques qui l’ont forcé à quitter d’urgence son équipe l’été dernier, quand je revois le visage pâle aux traits tirés qu’il affichait après la défaite de mardi à Ottawa, je me demande si ce congédiement n’est pas la meilleure chose qui pouvait lui arriver.

 

Du moins sur le plan personnel.

 

Pourquoi avoir attendu?

 

Si je comprends tous les motifs qui ont poussé Marc Bergevin à congédier son coach, je comprends moins bien le fait qu’il ait pris sa décision mercredi matin.

 

Pourquoi avoir attendu après la semaine de congé pour effectuer un changement d’entraîneur-chef alors que cette semaine aurait été une bénédiction pour Dominique Ducharme afin de lui donner du temps pour modifier les stratégies qu’il entend mettre de l’avant? Du temps qu’il n’a plus à sa disposition maintenant que le Canadien jouera pratiquement tous les deux soirs d’ici la fin de la saison.

 

« Je voulais donner l’occasion à Claude et à Kirk de ramener le club vers la victoire. Je croyais qu’on sortirait de la semaine de congé en force. Qu’on recommencerait à jouer comme on le faisait en début de saison : avec cohésion et vitesse. On ne l’a pas fait. Et ça m’a convaincu qu’il était temps de servir un survoltage à l’équipe. Tu ne prends pas la décision de changer ton coach quand tu es sûr à seulement 98 %. Tu dois être convaincu à 100% et je le suis devenu au cours de la nuit », que Bergevin a tranché.

 

Secoué, mais bien préparé

 

Je n’ai pas le moindre doute sur les compétences de Dominique Ducharme. Il a gagné dans les rangs juniors. Il a mené les meilleurs joueurs juniors du Canada à la médaille d’or au Championnat mondial.

 

Ce n’est pas rien.

 

L’expérience acquise en partageant le travail avec Claude Julien et Kirk Muller l’a bien préparé à relever le défi que Marc Bergevin lui a offert.

 

En passant l’intérim sera bon pour le reste de la saison. Ducharme n’a pas pris la relève de l’équipe afin de permettre à un candidat de traverser la frontière et de se soumettre à une quarantaine avant de débarquer derrière le banc. Il est en poste pour le reste de l’année. Et comme l’ont fait Craig Berube à St.Louis, Rick Bowness, à Dallas, Bob Boughner, à San Jose, ou Geoff Ward, à Calgary, Ducharne n’a qu’à prouver qu’il en mesure de faire le travail et l’intérim associé à son nom tombera.

 

S’il ne fait pas le travail?

 

Marc Bergevin partira en quête d’un nouveau coach. Une recherche qu’il n’a toutefois pas l’intention d’amorcer avant que Ducharme n’ait eu tout le temps nécessaire de faire ses preuves.

 

Dominique Ducharme sera-t-il en mesure de faire ses preuves. Sera-t-il en mesure de surmonter le défi déjà immense de diriger le Canadien de Montréal? Un défi plus colossal encore dans les circonstances actuelles?

 

Des circonstances que le principal intéressé aurait préféré éviter. « Diriger dans la LNH et se retrouver entraîneur-chef du Canadien de Montréal est le rêve de tout coach de hockey. Mais si j’avais écrit le scénario qui m’amenait ici aujourd’hui, ce n’est sans doute pas de cette façon que je l’aurais écrit », que Ducharme a admis avec une franchise qui l’honore.

 

Visiblement secoué par les dernières heures au cours desquelles sa vie à complètement changé, Ducharme donnait l’impression d’être même dépassé par moments. Mais derrière cette fragilité apparente qu’il ne peut se permettre d’afficher devant ses joueurs, Ducharme a lancé quelques réponses qui permettent de croire qu’il saura reprendre le cap et surtout le garder malgré la tourmente qui secoue « son » équipe.

 

« Quand tu es bien préparé, tu n’as pas peur des questions susceptibles d’être posées à un examen. C’est quand tu n’as pas étudié que tu arrives nerveux. J’ai emprunté bien des routes secondaires et non des autoroutes pour me rendre à la Ligue nationale. Je suis fier du parcours que j’ai pris et je sais que je suis prêt. »

 

Quel sera le message de Ducharme?

 

Aussi prêt soit-il qu’est-ce que Ducharme changera dans l’approche, dans le système, dans les détails, dans son message qui permettront « à nos six joueurs qui sont sur la glace d’être meilleurs que les six autres de l’autre côté »?

 

Le nouveau n’a pas voulu ouvrir son jeu. Il tient à dévoiler ses plans aux joueurs – la rencontre doit avoir lieu en soirée mercredi à Winnipeg – avant de les étaler devant les partisans.

 

Mais on ne doit pas s’attendre à de grands changements si l’on se fie aux propos du nouveau coach de et son nouveau patron.

 

« On fera de petits ajustements dans les trois zones et dans toutes les facettes du jeu. On va simplifier certaines approches. On va en implanter d’autres. On va prendre le temps nécessaire pour que notre équipe soit un peu meilleure chaque jour », que Ducharme a dit.

 

Bien hâte de voir comment ses paroles se traduiront en actions concrètes sur la patinoire.

 

« Dominique est plus jeune. Sa manière de faire sera différente. Je ne suis pas en train de dire que Claude n’était pas un bon communicateur. Pas du tout. Mais Dominique est plus jeune. Il amènera une approche différente. C’est pour cette raison que je l’ai choisi. C’est pour cette raison qu’il a toute ma confiance. Et parfois, de petits changements peuvent faire une grosse différence », que Marc Bergevin a martelé.

 

Les prochaines semaines nous diront si les changements effectués se traduiront par de petites, de moyennes ou de grandes différences dans le jeu du Canadien. Ou par pas de changements du tout!

 

Car il ne faut pas oublier une chose importante : au-delà les qualités et les défauts des coachs qui viennent et qui s’en vont, ce sont les joueurs qui ont le mot final.

 

Si Carey Price accorde un ou deux mauvais buts dans un match, les chances de réussite d’un coach diminuent d’autant. Si, en plus, les joueurs multiplient les pénalités, les mauvaises décisions sur la patinoire, les pertes de batailles le long des rampes et bousillent des occasions de marquer, le coach, peu importe son nom ou la langue qu’il parle, ne peut faire de miracles.

 

C’est pour cette raison que Marc Bergevin, après avoir congédié le duo Julien-Muller pour le remplacer par le duo Ducharme-Burrows, s’est adressé à ses joueurs.

 

« On a mis la barre très haute cette année. Je crois en cette équipe. Mais tous les joueurs, pas juste un ou deux, doivent en donner plus pour que nous puissions former un club de premier plan. Nos gars devront accepter de faire des choses difficiles sur la patinoire et je crois que " Dom " peut amener les gars à faire tout ce qui doit être fait pour gagner. C’est pour cette raison que j’étais convaincu que le temps était venu de faire ce que j’ai fait », a indiqué Bergevin.

 

Après bientôt neuf ans à la direction générale du Canadien, après avoir multiplié les changements de joueurs au sein de son équipe – Carey Price et Brendan Gallagher sont les deux seuls joueurs qui occupaient le vestiaire avant son arrivée – après avoir remplacé Michel Therrien par Claude Julien qu’il vient de remplacer par Dominique Ducharme, Marc Bergevin sait qu’il sera plus que jamais le point de mire des critiques. Que les résultats de la présente saison auront un impact direct sur ses chances de demeurer à la tête du Canadien ou de perdre son job à son tour.

 

« J’assume pleinement les décisions que j’ai prises depuis que je suis ici. J’ai la tête sur la bûche. La pression vient avec la job. Ça ne m’empêche pas de travailler et je vais continuer à faire tout ce que je considère nécessaire pour améliorer l’équipe », que Bergevin a conclu.

 

Une chose est claire à mes yeux. Si le Canadien doit se mettre à la recherche d’un coach l’été prochain parce que Dominique Ducharme n’a pas été en mesure de louvoyer entre tous les pièges qui jonchent le parcours qui l’attend d’ici la fin de la saison, ce n’est peut-être pas Marc Bergevin qui aura le mandat de lui trouver un successeur.