MONTRÉAL – Quand son cousin Éric lui a partagé ce qu’il avait trouvé sur Facebook, Robert Ménès a d’abord cru à une blague. Et quand il raconte où toute cette histoire l’a mené, il obtient généralement la même réaction.

« Il y a beaucoup de monde qui ne savent pas, constate le Montréalais de 45 ans. Quand je dis ça au "average Joe", on me regarde et me demande : "T’es allé jouer au hockey où? Pour qui?" »   

Tout ça n’a pourtant rien d’un mirage. Depuis qu’il a répondu à l’annonce du groupe « Egypt Ice Hockey », Ménès vit en quelque sorte un rêve de jeunesse. Avec trois autres Québécois de descendance égyptienne, il se retrouve au cœur des efforts initiés par un quintette qui tente d’attirer l’attention de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) et de faire reconnaître la place de leur pays sur l’échiquier mondial.

L'équipe égyptienne de hockey sur glaceAu sein d’une équipe complétée par des expatriés américains et quelques joueurs locaux, Ménès et ses compatriotes Mathieu Courchesne, Philippe Tadros et Michel Tebechrani ont participé au début du mois d’avril à la Coupe arabe de hockey, un tournoi à cinq clubs qui avait lieu à Abou Dhabi. La formation égyptienne était disparate. Ses plus jeunes joueurs avaient 19 ans, ses plus vieux en avaient presque 50. Certains avaient déjà évolué dans des circuits professionnels, d’autres patinaient depuis seulement deux ans. Et oubliez les systèmes de jeu! Non seulement n’avaient-ils jamais pratiqué ensemble, mais la plupart de ses membres ont fait connaissance pour la première fois à l’aéroport, à leur arrivée dans le désert.

Contre des équipes plus matures et plus talentueuses, les Pharaons n’ont pas fait le poids. Ils ont subi des dégelées contre la Tunisie, le Liban et les Émirats arabes unis avant de terminer la compétition avec une victoire de 8-7 contre l’Algérie. Le succès de leur mission, toutefois, ne se mesurait pas sur un tableau indicateur.

« L’expérience comme telle était le fun, c’est indéniable, raconte Ménès. Mais tous les gars qui étaient là comprenaient que c’était plus gros que juste nous autres. L’objectif, c’était de mettre notre pays sur la mappe. On a écrit l’histoire du hockey égyptien. »

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Aussi improbable que cela puisse paraître, l’idée de créer la Coupe arabe de hockey et d’y inscrire une équipe formée de joueurs égyptiens est née à l’Aréna Raymond-Bourque, dans l’arrondissement Saint-Laurent à Montréal.

En 2016, Sameh Ramadan, un fan fini des Rangers de New York établi au New Jersey, rejoint son ami Yasser Ahmed pour un tournoi au Maroc. L’expérience est, disons, enrichissante. Leur équipe ne compte que neuf joueurs, dont trois adolescents. Le gardien de but se blesse dès le premier match. Sur la glace, c’est un vrai désastre. « Mais cet événement est probablement la meilleure chose qui pouvait arriver pour le développement du hockey sur glace en Égypte », cible Ramadan.

Un mois plus tard, Ramadan s’envole pour Le Caire, où sont situées les trois seules surfaces glacées du pays, pour une réunion avec les quatre hommes qui deviendront ses complices dans un enthousiasmant projet. La direction est donnée et les tâches réparties. Diplômé en marketing, Ramadan est mis en charge de peaufiner l’image de marque du programme – le logo qu’il concocte fait rapidement fureur – et d’en faire la promotion. Les autres, basés en Égypte, concentrent leurs efforts sur le recrutement et les sollicitations auprès des différents paliers de gouvernement.

Rapidement, il devient évident que le salut du projet passe par l’abolition des frontières. Sans l’aide d’expatriés ayant grandi avec des patins aux pieds, une équipe de hockey égyptienne ne serait jamais rien d’autre qu’une utopie. Avec ce constat en tête, le marché montréalais, où avait déjà été coulée la fondation de quelques équipes du Maghreb, devient une avenue incontournable.

En septembre 2017, l’équipe égyptienne vient disputer quelques matchs amicaux au Québec. Sameh Ramadan y fait la rencontre de Mohamed Aref, un membre du comité asiatique de l’IIHF aussi chargé du développement du sport au Moyen-Orient et dans le nord de l’Afrique. C’est lors de cette consultation qu’est lancée pour la première fois l’idée d’une Coupe arabe de hockey.

Un appel à tous est lancé. Tous les Québécois dont les parents ou les grands-parents ont la nationalité égyptienne sont les bienvenus dans l’aventure. C’est ainsi qu’est interpellé Mathieu Courchesne, un attaquant qui jouait junior A à Saint-Bruno. À Abou Dhabi, c’est le nom de sa mère, Samia Ishak, qu’il portait fièrement dans son dos.

Maintenant que cette expérience exploratoire est chose du passé, « on commence le vrai recrutement, dit Robert Ménès. On essaie de faire du bruit, de se faire voir et entendre. Et ça marche. Les mains se lèvent. »

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Pendant que la clique de Montréal recrute, Sameh Ramadan travaille avec acharnement pour s’assurer que la locomotive ne manque pas de charbon.

« Le Conseil des sports d’Abou Dhabi enverra une lettre à notre ministre au Caire pour lui signifier tous les efforts que nous faisons pour faire croître notre sport dans les pays arabes. Nous ne voulons pas d’argent. Notre but ultime, à la suite de notre participation au tournoi, c’est que notre gouvernement reconnaisse "Egypt Ice Hockey" comme l’institution officielle de promotion du hockey au pays. On pourrait alors travailler avec l’IIHF en tant que membre affilié. »

L’Afrique du Sud et le Maroc sont présentement les seuls pays africains intégrés dans les cadres de l’IIHF.

« Évidemment, on ne peut pas être un membre à part entière sans avoir une patinoire réglementaire, une équipe masculine établie et une équipe féminine. Mais ça serait un début », expose Ramadan.

Le travail de recrutement se poursuit donc en sol montréalais, cette fois dans le but de trouver des jeunes filles qui seraient intéressées à porter les couleurs de l’Égypte dans différents tournois. L’idée est de rassembler un groupe de jeunes adolescentes qui, dans dix ans, pourraient former l’équipe nationale officielle du pays de leurs ancêtres.

« Sameh en a cinq ou six et moi j’en ai déjà quelques-unes à Montréal, calcule Robert Ménès, qui est lui-même le père de deux hockeyeurs. Je viens de la région de Lakeshore, dans le Lac St-Louis. Il y en a plein de petites filles de descendance égyptienne. Je ne veux pas dire que ça va être facile. Il va falloir qu’on fouille, va falloir qu’on cherche, mais il y en a. »

Sameh Ramadan voit grand pour les Pharaons. En collaboration avec l’organisme « Hockey Foundation », qui a récemment organisé un match à plus de 4000 mètres d’altitude, dans le nord de l’Inde, il souhaite à son tour frapper l’imaginaire en prenant la mise en jeu aux pieds des grandes pyramides égyptiennes.

Ses ambitions vont aussi au-delà du hockey. En novembre dernier, il s’est rendu au Forum jeunesse mondial, en Égypte, pour étaler ses idées devant les politiciens du pays.

« On a proposé la création d’une fédération de sports d’hiver, claironne-t-il. Pourquoi pas? Si vous nous bâtissez une patinoire au Caire, nous pourrions développer le curling, le patinage artistique, le patinage de vitesse et le hockey sous un même toit. C’est le projet à long terme dans lequel on désire s’embarquer. »

Des sports d’hiver dans le désert? Pour Sameh Ramadan, tout ça n’a vraiment rien d’un mirage.